Arrêts de travail, lutte contre la fraude et régulation à l'installation : ce que vous réserve l'Assurance maladie cette année
Sept milliards d'euros. C'est le montant estimé du déficit de la Sécurité sociale pour l'année 2023. La fin de la période Covid (marquée par une explosion des dépenses), la reprise de l'activité et l'inflation (génératrices de recettes) ont permis de réduire de 14 milliards d'euros le déficit par rapport à l'année 2022, mais le retour à l'équilibre est encore loin. Alors que le Gouvernement planche sur le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2024, la Cnam devrait quant à elle présenter son traditionnel rapport "Charges et produits" la semaine prochaine, afin d'éclairer le débat public. Dans une version provisoire qu'Egora a pu consulter, la Cnam émet ainsi 24 propositions visant à renforcer la "qualité du système de santé" et à dégager 1.265 milliard d'euros d'économies l'an prochain : 230 millions d'euros avec l'amélioration de la prise en charge de pathologies ciblées (diabète, maladies cardio-vasculaires, santé mentale, antibiorésistance) ou de publics fragiles (jeunes et personnes âgées), 690 millions avec l'efficience des prescriptions médicamenteuses ou des prestations en espèces et 345 millions d'euros avec la lutte contre la fraude. Enrayer la hausse des IJ par un renforcement des contrôles et de l'accompagnement Si l'année 2023 a marqué la fin des dispositifs dérogatoires mis en place face au Covid, la crise sanitaire ne doit pas masquer la dynamique à la hausse des dépenses d'indemnités journalières (IJ), qui ont augmenté en moyenne chaque année de 3.8% entre 2010 et 2022 pour atteindre 16 milliards d'euros. Si l'effet démographique (augmentation et vieillissement de la population active) et la hausse des salaires (donc des IJ) jouent indéniablement, contribuant pour moitié à cet emballement, l'augmentation de la durée moyenne des arrêts de travail et surtout celle du taux de recours échappent au moins en partie à cette logique et constituent pour la Cnam un enjeu de maîtrise important. L'Assurance maladie porte ainsi un plan d'actions, qui permettra d'atteindre 200 millions d'euros d'économies en 2023 et 230 millions en 2024. Deux maîtres-mots : contrôles et pédagogie. Elle prévoit ainsi un "approfondissement" des actions menées auprès des médecins, qu'il s'agisse de mises sous objectif (environ 1000 généralistes concernés par la campagne 2023, soit les 1.5% des "prescripteurs les plus atypiques") ou "d'entretiens d'alerte" avec les médecins-conseils (5000 généralistes) ou d'échanges avec les délégués d'Assurance maladie. Elle souhaite également diffuser plus largement les recommandations du Collège de médecine générale sur la prescription d'arrêt de travail en santé mentale et accompagner les médecins en début d'exercice sur l'ensemble du territoire. Les actions cibleront également les médecins hospitaliers, les usagers et les employeurs. Visant également les gros prescripteurs d'arrêt à distance, l'Assurance maladie appelle enfin à limiter à 3 jours au maximum la durée des arrêts prescrits à la suite d'un examen réalisé en téléconsultation. Pas de télécabines dans les supermarchés Alors que le volume des téléconsultations, après le pic de la crise sanitaire, s'est stabilisé autour de 4% des consultations réalisées sur le territoire, l'Assurance maladie estime qu'il est nécessaire de mieux encadrer les pratiques, face à certaines "dérives" : téléconsultations de très courte durée, facturation de frais supplémentaires sans rapport avec le soin ou encore installation de télécabines dans des locaux commerciaux… Mais sur la question, la balle est dans le camp du législateur. Etendre la régulation à l'installation Certes, on ne régule pas une profession en pénurie, comme c'est le cas des médecins. Mais pour les autres professions, l'Assurance maladie n'a pas hésité à activer ce levier et entend bien passer à la vitesse supérieure. Pour les kinés, soutient-elle, l'instauration du principe une installation pour un départ a produit de premiers effets encourageants avec une hausse de 6% des effectifs dans les zones très sous-dotées, contre +0.2% dans les zones régulées (3% au total). Si la Cnam a échoué à instaurer un conditionnement au conventionnement pour les futurs diplômés de la profession début 2023 (l'avenant signé a été dénoncé par deux syndicats), elle compte bien remettre le sujet sur le tapis à la reprise des négociations. Une réflexion est également en cours dans le cadre des négociations avec les chirurgiens-dentistes. Pour éviter le contournement des règles d'installation, l'Assurance maladie juge par ailleurs indispensable d'étendre le mécanisme aux professionnels salariés des centres de santé, ainsi qu'à ceux qui sont embauchés par des structures ou des libéraux. Un dépistage précoce et systématique du diabète de type 2 Alors que d'ici à 2027, la France devrait compter 520 000 diabétiques en plus et qu'à l'heure actuelle, 30% des cas de diabète de type 2 sont découverts tardivement par le biais d'une complication, la Cnam propose de développer avec la HAS et le ministère un programme de repérage systématique du diabète entre 45 et 50 ans. Elle envisage pour cela d'actionner trois leviers : la promotion du score Findrisc, les rendez-vous de prévention aux âges clés de la vie - qui doivent se déployer à l'automne prochain - et la possibilité pour les pharmaciens de remettre un bon "glycémie à jeun" en cas de score Findrisc élevé. Génération "sans carie" L'Assurance maladie déplore le retard français en matière de santé bucco-dentaire des populations jeunes : 56% seulement des jeunes Français sont sans carie à 12 ans, contre 81% des jeunes Allemands et le taux de recours annuel moyen au chirurgien-dentiste plafonne à 43%, contre 70% en Suède ou encore aux Pays-Bas. Regrettant la priorité accordée aux soins prothétiques, la Cnam veut opérer une bascule sur la prévention au travers des négociations avec les dentistes : sur le modèle du 100% santé, les actes de prévention et les actes conservateurs réalisés sur les 3-24 ans pourraient être remboursés intégralement et davantage valorisés pour les professionnels. Un bilan de prévention annuel serait par ailleurs proposé aux enfants, adolescents et jeunes adultes. Médicaments : IPP, biosimilaires, perte de poids… Source d'économies importantes, les biosimilaires peinent à décoller, malgré les dispositifs d'intéressement à la prescription en ville et à l'hôpital et à la substitution en pharmacie, regrette l'Assurance maladie. Pour les molécules concernées, le taux de pénétration est de 41%, bien loin des 80% visés. Comme pour les génériques, l'Assurance maladie propose donc de conditionner la prise en charge en tiers payant à la substitution par le biosimilaire. Le nombre de molécules substituables serait également élargi. En matière de bon usage du médicament, l'Assurance maladie a identifié plusieurs enjeux...
l'antibiorésistance ; la polymédication des personnes âgées (en moyenne 7 boites consommées par mois…) contre laquelle elle veut promouvoir un outil d'aide à la déprescription ; la surprescription des inhibiteurs de pompes à protons dans le traitement du RGO chez les nourrissons ; les prescriptions d'opioïdes ou encore la lutte contre le mésusage des médicaments entrainant une perte de poids (Ozempic et bientôt Wegovy). Par ailleurs, l'Assurance maladie voudrait faire évoluer la politique de fixation des prix des médicaments en réduisant ceux dont l'ASMR est mineure (+1.6 milliard d'euros de dépenses sur les ASMR IV entre 2017 et 2022) afin de dégager des marges pour les médicaments innovants (ASMR I à III) et les médicaments "matures" présentant un risque de rupture de stock. Lutte contre la fraude et les abus Poursuivant ses efforts de lutte contre la fraude, l'Assurance maladie veut s'attaquer au secteur des audioprothèses, après l'appel d'air provoqué par la mise en place du 100% santé. Elle continuera de surveiller de près l'activité atypique des centres de santé, en particulier dentaire et ophtalmologique. Elle entend par ailleurs poursuivre l'accompagnement au respect des règles de facturation pour les nouveaux professionnels libéraux installés, et optimiser les "contrôles pédagogiques" a posteriori de leurs facturations. La Cnam souhaite également renforcer les contrôles en matière de chirurgie esthétique, plastique ou réparatrice et de chirurgie bariatrique, en rénovant les dispositifs de demande d'accord préalable. Rembourser l'activité physique adaptée En lien avec les complémentaires, l'Assurance maladie propose d'ouvrir le remboursement de cycles de prestations d'activité physique adaptée (APA) pour les personnes atteintes de cancer ou de diabète, sur prescription d'un médecin, lorsque leur état de santé le justifie. L'objectif est d'évaluer la pertinence de cette thérapie non-médicamenteuse. Cystite et angine : les pharmaciens autorisés à délivrer des antibiotiques sans ordonnance ? Soutenant l'évolution des missions du pharmacien d'officine, la Cnam propose d'autoriser ces derniers, dument formés, à délivrer des antibiotiques en cas de cystite aiguë dépistée par bandelette urinaire, ou d'angine bactérienne révélée par un Trod. Cette possibilité est aujourd'hui permise dans le cadre du dispositif de l'ordonnance conditionnelle, qui nécessite toujours passage chez un médecin. La Cnam souhaite donc mettre en place un accès direct. Haro sur les centres de soins programmés Regrettant le développement, un peu partout sur le territoire, de centres de soins non programmés qui désorganisent le parcours de soins et aspirent des ressources médicales, l'Assurance maladie appelle à un encadrement législatif pour en limiter la création : pas de centres en dehors des maisons médicales de garde interfacées avec les établissements de santé (qui fonctionnent sur les horaires de la PDSA) ou en dehors de l'organisation validée par la CPTS…
La sélection de la rédaction
Limiter la durée de remplacement peut-il favoriser l'installation des médecins ?
François Pl
Non
Toute "tracasserie administrative" ajoutée ne fera que dissuader de s'installer dans les zones peu desservies (et moins rentables)... Lire plus