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"Surhomme"
Aux yeux de Didier enfant, son père est un surhomme. Plus tard, il apprendra que le capitaine partage les qualités et les défauts de tous ceux qui ont été envoyés dans les colonies au sortir de la Santé navale [...] La plupart de ces toubibs formés à la Santé navale sont aussi passés par le Centre d’instruction du Service de santé des troupes coloniales [...]. “Les médecins coloniaux, peut-on lire aujourd’hui dans les archives de cet institut, ont appris à s’organiser seuls. Parfois frondeurs, volontiers indépendants, privilégiant l’action, ils ont constitué pendant un siècle ce que d’aucuns ont appelé un bataillon d’excentriques. Pour trouver des solutions aux problèmes médicaux ou logistiques, il leur fallait prendre des initiatives loin des repères métropolitains.” Presque un portrait de Didier Raoult qui en son IHU s’inspire des “médecins de brousse” contre ceux dits “de bureau” et répond aux confrères offusqués par ses essais thérapeutiques à la chloroquine : “À la guerre comme à la guerre”.
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"Déconvenue"
“Didier est revenu”. Il accepte d’entrer dans la carrière. Médecin comme papa. Ce que le patron de l’IHU préfère traduire aujourd’hui par : “J’ai fini par rejoindre mon destin” [...] le loup de mer prend, en 1972, la direction de la faculté de médecine, à deux pas - clin d’oeil de la géographie - de l’ancien asile d’aliénés, dit aussi l’“hôpital des insensés”. C’est peu dire qu’il n’a pas la vocation. D’accord, en bon fils de son père, et même à reculons, il deviendra docteur. Mais en quoi ? [...] “L’estime de sa généalogie rend complexe l’estime de soi” laisse parfois échapper le patron de l’IHU. À propos des “fils de”, il peut également lâcher : “Ce n’est compliqué que pour les ratés.” [...] C’est peut-être cela sa véritable hantise : être un raté. Pis, un raté avec un QI de 180. Ainsi rien n’agace plus le patron de l’IHU que l’idée selon laquelle il se serait rabattu sur l’infectiologie faute de mieux, son classement au concours de l’internat ne lui permettant pas d’obtenir une spécialité alors plus courue [...] Quand il évoque le sujet, il transforme sa déconvenue en la tirant vers le haut, le très haut même.
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"Succès"
[En 2003, alors qu’il a récemment découvert un virus géant qu’il appellera Mimivirus], il entre alors dans sa cinquantième et unième année et vient d’être nommé quelque temps plus tôt, “professeur de classe exceptionnelle” [...] sa carrière est sans conteste brillante et bien remplie. En 2009, un autre TRUC [thing resisting to uncompleted classifications, NDLR] se révèle à ses yeux : un virus encore, mais “virophage” [...] Ces découvertes valent à leur “inventeur” une stature jamais encore atteinte jusque-là. Le 30 novembre 2010, celui-ci reçoit, au Collège de France, l’une des plus hautes distinctions scientifiques françaises : le Grand Prix de l’Inserm. [...] Cette décennie est la sienne. C’est celle des succès [...] En 2000, Jacques Chirac l’avait déjà fait chevalier [de la Légion d’honneur, NDLR]. Dix ans plus tard, et à peine un mois après son prix de l’Inserm, il est...
promu officier [...] Au même moment, et comme dans un parfait alignement de planètes, l’Etat vient de lancer un appel à projets pour la création de plusieurs “instituts hospitalo-universitaires, autrement des IHU [...]
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"Sonnette d'alarme"
Nous sommes alors à quelques mois du déferlement depuis la Chine d’une pandémie que nul ne voit venir mais dont Didier Raoult - là encore est l’extraordinaire dans ce personnage - a décrit les mécanismes et a anticipé les effets… en 2003 ! Cette année-là, l’IHU est encore dans les limbes. Mais le Marseillais Jean-François Mattei, à l’époque ministre de la Santé, propose à son ami Raoult de se pencher sur la question du “bioterrorisme”. Le professeur s’attelle alors à la rédaction d’un document de plus de trois cents pages mais détourne un brin la commande et, plaidant déjà pour son IHU, y ajoute un chapitre sur un danger tout aussi grand selon lui : les épidémies. Il faut relire les principaux extraits de ce rapport. Didier Raoult tire la sonnette d’alarme sur “l’impréparation” de la France face au risque d’apparition de nouvelles maladies contagieuses [...] Dix-sept ans avant l’apparition de l’épidémie de Covid-19, Didier Raoult fait partie de ceux qui ont presque tout prévu [...]
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"Visionnaire"
Trois Chinois qui meurent, ça fait une alerte mondiale [...] Ainsi parle Didier Raoult le 21 janvier 2020. Le professeur “visionnaire” semble tout à coup aveugle. Il n’est pas le seul. Menteur qui dirait aujourd’hui avoir compris à cette époque que le Covid-19 annonçait, peut-être pas la fin du monde, mais au moins celle d’un monde. Pourtant venant du patron de l’IHU, on pouvait s’attendre à autre chose [...] [Il] semble avoir rangé tout au fond d’un placard son rapport de 2003 [...] Ces projections anticipatrices l’avaient aidé, à l’époque, à convaincre les politiques de lui “donner” son IHU. Justement, il pourrait profiter de ces images venues de Chine, faire la pub pour son Institut, dire à tous ses détracteurs : “Voyez combien j’avais raison de me battre pour le construire.” Non, c’est tout le contraire. Surprenant professeur. Il semble même avoir perdu son goût presque névrotique pour la contradiction. Le franc-tireur, aussi docile qu’un mouton de Panurge, se range dans le camp des “rassuristes” [...]
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"Scoop"
Ce 25 février, à midi, Didier Raoult déboule dans le grand amphi de l’IHU [...] Le boss paraît un brin essoufflé, mais son œil brille plus que d’ordinaire. Et à peine sur l’estrade, il annonce, sans reprendre sa respiration, “un scoop de dernière minute, une nouvelle très importante. Les Chinois [...] ont trouvé que, sur leur nouveau corona, la chloroquine est active in vitro” [...] “Avec 500 mg de chloroquine par jour pendant dix jours, il y a une amélioration spectaculaire. C’est probablement l’infection respiratoire la plus facile à traiter de toutes.” [...] “Pas la peine de s’exciter pour trouver des vaccins dans dix ans”, dit Super Raoult [...] L’annonce faite par Didier Raoult a duré...
une minute quarante-cinq secondes. Mais elle a été filmée en bonne et due forme par son service de communication et, dès quinze heures, le site de l’IHU la met en ligne. “Coronavirus : fin de partie !” C’est son titre, et sur les réseaux sociaux, ça buzze déjà. Les journalistes veulent savoir d’où le professeur tient son “scoop mondial” [...]
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"Hors des clous"
À peine revenu de sa virée à l’Elysée [le 5 mars, NDLR], Didier Raoult s’est aussitôt remis au “travail”. Que les autres réunionnent” entre eux ; lui a la chloroquine et soignera les malades. Il a relu le serment d’Hippocrate qu’il a prêté il y a trente ans pour exercer la médecine [...] Le 16 mars, le voilà donc qui, avant vingt heures, sort son deuxième scoop : contre le Covid, la chloroquine n’est pas seulement efficace in vitro, mais aussi in vivo [...] la vidéo - qui cumulera 1,3 million de vues en quelques jours - est déjà en ligne lorsque, le 17 mars, au lendemain du discours télévisé d’Emmanuel Macron, la France entre dans son premier confinement. “Nous sommes en guerre”, dit désormais le président. J’ai les armes, lui répond en substance le professeur. Sa voix couvre encore les réactions suscitées par son essai clinique. Les plus optimistes ou indulgents de ses confrères estiment les résultats encourageants mais non suffisants. Les plus remontés soulignent qu’aucun “comité de lecture” n’a apprécié le sérieux de l’étude avant qu’elle soit rendue publique. Et pour cause, disent-ils, la méthodologie est hors des clous.
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"Raison"
On peut se moquer du professeur qui attire les foules. Le caricaturer en thaumaturge, en “saint Didier”, en “Mégalomix”. Il est le seul en France qui applique à la lettre les recommandations de l’OMS, et sur ce plan-là, l’histoire a déjà jugé, il a eu raison avant tout le monde. “Testez, testez, testez”, répète l’Organisation mondiale de la santé depuis le 16 mars. “Isolez les positifs, trouvez les personnes en contact avec eux, testez à nouveau.” C’est ce que fait le patron de l’IHU qui pourtant n’est en général d’accord avec personne. [...] Il le répète depuis que l’épidémie s’étend : “il faut généraliser les tests, on a les moyens de le faire”. Il suffit, a-t-il déjà dit à l’Elysée le 5 mars, de “s’organiser” et de le vouloir. [...] de précieuses semaines ont été perdues pendant lesquelles l’épidémie aurait pu être ralentie [...] Blocages réglementaires, luttes de chapelles, atermoiements des ministères, de Matignon, de l’Elysée… La machine a été trop lourde à se mettre en marche et l’intendance n’a pas suivi.
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"Hydroxychloroquine"
5 juin 2020, les conclusions très attendues du vaste essai britannique Recovery (le seul à avoir poursuivi ses recherches sur la molécule après l’étude du Lancet) sont rendues publiques. Après 28 jours de traitement, il n’y a aucune différence entre le premier groupe (1 542 patients) soigné à l’hydroxychloroquine et celui (3 132 patients) qui a bénéficié des soins standards. “Ça ne marche pas !” résume à Oxford l’un des dirigeants de l’essai. Ça ne marche pas, confirment toutes les études qui se succèdent les unes après les autres. Mais sans parvenir à convaincre les croisés de la fameuse molécule.
"Raoult, Une folie française", Ariane Chemin et Marie-France Etchegoin (Editions Gallimard).
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