A 46 ans, Me Fabrice Di Vizio est devenu lors de l’épidémie de Covid-19 l’avocat le plus médiatisé de France, enchaînant les interviews sur les plateaux télé ou dans les colonnes des plus grands journaux. Indigné par le manque de considération pour les médecins libéraux engagés sur le front, le spécialiste de la défense des soignants s’est attaqué, dès le printemps, aux plus hauts représentants de l’Etat. Au risque parfois d'irriter ceux qui jugeaient que le “temps de la justice” n’était pas venu. Fin octobre, c’est en attaquant l'Agence nationale de sécurité du médicament pour le compte du Pr Raoult que Me Di Vizio s’est attiré les foudres de certains médecins, essuyant des dizaines de menaces de mort qui ne l’ont pourtant pas fait décrocher. Portrait d’un homme engagé. “Quand je défends, je défends. Il ne faut pas trop me chercher.” D’emblée, l’avocat parisien d’origine italienne annonce la couleur. Sous son apparence réservée, Maître Fabrice Di Vizio, 46 ans, n’est pas du genre à se faire marcher dessus. Et ce n’est pas le poster en noir et blanc de Rocky posé à même le sol dans son cabinet qui nous fera en douter : ici, on mène aussi de durs combats. Affaire du Mediator, Subutex, des gélules amaigrissantes, l’avocat spécialisé dans la défense des professionnels de santé, également intervenant ponctuel en faculté de médecine, a été de tous les grands procès de scandales sanitaires. Mais c’est pour son engagement auprès des médecins pendant l’épidémie de coronavirus qu’il a été propulsé sur les devants de la scène, invité régulièrement sur les plateaux télévisés. Et pour cause : dès le mois de mars, alors que le Gouvernement s’apprêtait à annoncer le confinement de tous les Français, Me Di Vizio, persuadé dès le 25 février que “ça allait flamber”, n’a pas hésité à porter la plainte du collectif de médecins “C19”, attaquant l’Etat pour obtenir des masques pour les libéraux. Peu après, ce sont l’ancienne ministre de la Santé Agnès Buzyn et le Premier ministre Edouard Philippe qu’il étrille pour mise en danger des personnes, pointant du doigt les mesures insuffisantes prises pour endiguer l’épidémie.
“Cette crise est intéressante parce qu’elle a révélé puissamment quelque chose que je savais : c’est qu’au fond, les médecins ne sont pas défendus”, s’indigne l’avocat, dont le ton apaisé du début d’entretien laisse place à l’agacement. “Des médecins sont morts, ils ont manqué de tout et aucune organisation représentative n’est allée saisir le moindre juge !” Dans son viseur : l’Ordre des médecins, “qui a fait le choix de ne jamais contrarier le politique dans cette crise”, mais aussi les syndicats, qui “mettent leurs mains dans la culotte du politique”. “Pourquoi aucun syndicat n’a déposé un référé pour avoir des masques ?, fulmine-t-il, tapant du poing sur son bureau. Si je n’avais pas été là, qui aurait défendu ces mecs ? [...] Le médecin a besoin de se souvenir qu’il n’est pas une sous-catégorie de citoyen.” "Quand un médecin bouge pour obtenir un droit, c’est presque un salaud” Me Di Vizio n’épargne personne. Et tant pis si cela ne plaît pas. Nombreux sont ceux qui ont, en effet, jugé qu’il était malvenu d’intenter des actions en justice alors que l’épidémie ravageait le pays. Début novembre, Vincent Trémolet de Villers, directeur adjoint de la rédaction du Figaro, s’indignait de la perquisition menée au domicile du ministre de la Santé alors que celui-ci s'apprêtait à annoncer les détails du couvre-feu. “Le temps de la justice ne doit pas être là pour contrarier et empêcher le temps politique”, estimait-il sur LCI. La réaction de l’homme de loi, à l’origine de cette perquisition, ne s’était pas fait attendre. “Quand vous empêchez la justice de fonctionner, au motif qu’elle pourrait intervenir ou interférer dans l’exercice du pouvoir, et bien supprimez les juges !”, avait-il alors répondu, recadrant l’ensemble des personnes présentes ce jour-là sur le plateau. Enfoncé dans son fauteuil, l’avocat parisien contient toujours aujourd’hui sa colère à ce sujet : “Tous ceux qui disent ça sont mûrs pour vivre dans un Etat totalitaire. C’est quand le moment alors ? Qui décide ? À qui il faut demander l’autorisation?”
Celui qui connaît parfaitement le système italien pour y avoir vécu plus de six ans (de 2012 à 2019) demeure stupéfait par la passivité de la France lorsqu'il s’agit de faire valoir des droits. “En France, on a réussi cet exploit : quand un médecin bouge pour obtenir un droit, c’est presque un salaud.” C’est notamment pour cette raison qu’il a accepté de prendre en charge la défense du très controversé Pr Didier Raoult, poursuivi par l’Ordre des médecins suite à une série de signalements provenant de médecins, d’associations, mais aussi de la Société de pathologie infectieuse de langue française (Spilf). Ce dernier avait déjà pris en charge la plainte de l’infectiologue marseillais contre l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) après son refus d’étendre l’utilisation de l’hydroxychloroquine. “On pense ce qu’on veut de Raoult, mais il a des droits. On lui reproche ses prises de position, ses vidéos, admettons, mais il est vraiment seul”, lance l’expert en droit de la santé, qui assure être très éloigné du débat autour de l’hydroxychloroquine. Mais le mal était fait pour ses détracteurs. “Quand on a su que j’étais l’avocat du Pr Raoult, j'ai reçu plein de menaces de mort de la part de médecins.” “Victime consentante” “Je vais te péter la ****”, “Vous devriez faire gaffe à votre famille”... Père de trois enfants, Maître Di Vizio essuie des dizaines d’attaques personnelles sans jamais porter plainte. Très croyant, l’homme dénonce “l’hystérie qui s’est emparée de cette crise”. “C'est les donneurs de leçons, les oies blanches de la profession, les gens qui n’ont rien à se reprocher qui font tout bien, mais qui menacent de mort quand même!”, ironise-t-il, dénonçant une “médecine spectacle”. Au fil de la conversation, l’homme de loi confesse toutefois qu’il est “une victime consentante”, comme Raoult, et comme “un certain nombre de personnalités”. “Je m’en plains beaucoup, mais je récolte ce que j’ai semé. Au fond, je ne cherche pas à savoir comment ma parole va être interprétée. Je dis ce que j’ai à dire et je m’en fous. Ce n’est pas bon d’être comme ça. Une fois que vous le savez, si vous ne changez pas, c’est que vous êtes forcément victime consentante.”
Me Di Vizio confie aussi avoir mal vécu la situation au cœur de l’épidémie. Sur tous les fronts pour défendre les médecins, l’avocat en agace plus d’un. A commencer par ses confrères qui l'accusent d’avoir utilisé la crise pour acquérir de la notoriété. “Quand on m’explique que je me serais battu dans cette crise pour avoir une reconnaissance financière, je trouve ça marrant”, se défend-t-il, répétant à maintes reprises qu’il ne s’est pas versé un centime depuis cinq mois. Sa façon de participer “à l’effort de guerre”. Peu importe les polémiques, le quadragénaire le certifie : il préférait se prendre les coups, plutôt que les médecins libéraux, et notamment les généralistes, des “gens passionnants et passionnés”, mais que “l’Etat a été incapable de protéger”. “J’ai une admiration pour les médecins généralistes parce qu’ils font le job”, explique l’avocat, montrant une vidéo tournée avec son épouse, productrice, auprès de plusieurs médecins de France. “Un des meilleurs moments de ma vie.” Tour de France des médecins C’est lorsqu’il part s’installer à Tours, après avoir prêté serment en 2003, que le tout jeune avocat, diplômé en philosophie et en droit public science administrative, va être plongé un peu par hasard dans l’univers médical. Là, il prend “un bref engagement politique” au Parti chrétien démocrate. En 2006, on lui propose d’être secrétaire national justice. “On me demande alors de m’intéresser à la réforme de la carte judiciaire. Mais ça ne m’intéresse pas tellement, se rappelle-t-il. Je triche un peu, et j’obtiens le droit de m’intéresser à la carte sanitaire.” Fort de ces rencontres avec le Dr Emmanuel Sarrazin, aujourd’hui membre actif du collectif C19, ou encore le Dr Talal Annani, président du syndicat des médecins à diplôme étranger, Me Di Vizio, qui dit n’avoir “jamais vraiment compris grand chose à la politique”, entreprend de faire “Le Tour de France des médecins” pour rédiger un rapport pour les candidats à l’élection présidentielle. Lors de cette tournée, il s’aperçoit du décalage entre la réalité du terrain et les propositions des candidats, et des syndicats. Il ne rendra finalement jamais ce rapport. “Je ne savais pas comment traduire politiquement ce que j’avais entendu et vu”, explique-t-il. “J’ai compris qu’ils étaient dans une espèce de conflit de loyauté parce que d’un côté, les médecins avaient ce désir du soin, mais de l’autre, ils avaient l’injonction de coûter moins.” A son retour, l’avocat, alerté par “la souffrance, la solitude et l’impression qu’ils sont les boucs émissaires du système”, s’intéresse au contrôle de l'activité sur le plan judiciaire. Il fera du rapport entre les médecins et la Sécu l’un de ses chevaux de bataille. Sans oublier la lutte contre l'interdiction totale de publicité pour les médecins.
L'une de ces affaires aurait pourtant bien pu le faire décrocher. C’était il y a un peu plus de cinq ans. Alors qu’il défendait un médecin grenoblois, “complètement dévoué et travaillant d’arrache-pied”, accusé de prescriptions abusives, l’avocat s’est heurté à un mur, se voyant incapable de sauver son client de la sanction. “Je n’ai jamais réussi à inverser la tendance devant la chambre disciplinaire. J’ai eu l’impression de ne servir à rien”, raconte Me Di Vizio, tête baissée. Il ressort toutefois un enseignement de cet échec : “J’ai compris ce jour-là qu’il fallait offrir aux médecins une formation.” “Un oeil sur la planète” Lassé de traiter ces “petites affaires”, le spécialiste en droit de la santé s’apprête ainsi à lancer, en janvier prochain, sa chaîne télévisée. L’objectif : apprendre aux médecins un certain nombre de comportements préventifs qui vont leur éviter des procédures. “Je pourrais m’en foutre. Après tout, je gagne ma vie en faisant des procès. Mais ce n'est pas ma manière de voir les choses”, expose l’avocat. Celui qui se considère comme un acteur de la crise Covid de part son lien avec les soignants en est persuadé : “Défendre les médecins est une mission de service public”. “Je considère que pour qu’ils aillent mieux, nous avons une obligation de les aider en les prenant en charge sur le plan de la formation. Ce que personne ne leur dira. Aucun master de droit de la santé aujourd’hui ne s’intéresse aux libéraux !” Par la création de son propre média en ligne, l’avocat qui a exercé aux quatre coins du globe (en Italie, aux Etats-Unis, en Israël), et se targue d’avoir “un œil sur la planète”, espère aussi “ouvrir des débats”. A commencer par comprendre pourquoi “la médecine française a été tenue en échec et s’est trahie dans cette crise”. “La médecine a découvert quelque chose, c’est que ça intéressait les gens et qu’ils étaient écoutés. Et un certain nombre de personnes ont adoré être écoutées”, déplore l’homme de loi, qui, malgré “l’amour pour son métier”, entend laisser la robe noire au placard d’ici 10 ans pour se consacrer à l’équitation et à ses écuries.
Revenant sur l’affaire Raoult, Me Di Vizio l’assure : “Il va forcément en sortir quelque chose de cette affaire. S’il est condamné, ce que je n'imagine pas, ça veut dire que nous avons un recul de la santé publique dans ce pays. Ce qui va poser problème, c’est que lui on le poursuit là où on n’a pas poursuivi tous les autres. Dans ce cas, ça voudra dire que la forme compte plus que le fond. S’il est relaxé, c’est un désaveu total de la part de toutes les institutions ordinales.”
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