"Le Gouvernement ne prend pas conscience de la crise dans laquelle il emmène la médecine ambulatoire"

27/10/2020 Par Aveline Marques
Syndicalisme

Dénonçant le “mépris” vis-à-vis de la médecine libérale, la CSMF s’est retirée des négociations conventionnelles de l’avenant 9, jugées “inutiles et marginales”. Le Dr Luc Duquesnel, Président des Généralistes-CSMF, revient sur les points de blocage majeurs qui subsistent avec la CNAM et le Gouvernement, privant les médecins généralistes d’une revalorisation significative à court ou moyen terme.   La CSMF a quitté la table des négociations conventionnelles le 7 octobre dernier. Les discussions avec la CNAM ont-elles repris depuis ? Dr Luc Duquesnel : Ce qui est important, c’est de bien comprendre pourquoi la CSMF a quitté la table des négociations. Il y a trois raisons qui sont intimement liées. D’abord, on s’est aperçu que dans le Projet de Loi de Financement de la Sécurité Sociale (PLFSS) pour 2021, il n’y avait que 300 millions d’euros pour le secteur ambulatoire ; classiquement, c’est 50% pour la médecine libérale, soit 150 millions d’euros. Avec ça, très clairement, on ne fait rien ou presque. Ensuite, le contenu des séances de négociations n’est pas à la hauteur, alors que les demandes des médecins généralistes sont nombreuses : il y a la revalorisation de la visite, bien sûr, mais aussi la revalorisation de l’acte de base, dont le tarif a été fixé en 2017, et de toutes les consultations complexes que l’on fait. Ce n’est plus possible de faire des consultations de 30 à 40 minutes pour 25 euros. Il y aussi le sujet du soin non programmé : la caisse nous a opposé une fin de recevoir à la majoration de l’acte. De même, pour la télé-expertise, à chaque fois c’était non : on leur a dit qu’on n’allait pas faire des télé-expertises avec une rémunération de 5 euros pour le médecin généraliste requérant, vu le temps passé ! A chaque fois, c’était niet.

Et enfin, le Gouvernement refuse d’entamer les négociations pour une nouvelle convention l’an prochain, après les élections professionnelles comme il est d’usage. Elles sont reportées après...

les élections présidentielles de 2022. Si on commence ces négociations en septembre 2022, on terminera six mois plus tard, avec des majorations qui ne s'appliqueraient que fin 2023. La CSMF n’est pas dupe. Ce report ne se justifie que par la volonté de ce gouvernement de ne pas accorder en 2022 les revalorisations demandées tout en espérant ne pas se mettre à dos les médecins libéraux avant les élections présidentielles. Donc ce qui ne va pas être dans l’avenant 9 devra attendre au moins 10 ans.   Que réclamez-vous pour reprendre les discussions ? Nous avons trois revendications : premièrement, pas moins d’un milliard d’euros pour la médecine libérale dans l’avenant 9. Deuxièmement, faire disparaitre la clause des 6 mois pour l’application des mesures de la prochaine convention. Et troisièmement, engager les négociations conventionnelles dès l’été 2021. Il y a des choses qui avancent. On nous dit qu’il y a plus d’argent sur la table, mais on se méfie. Olivier Véran évoque les 2 milliards dévolus au développement du numérique en santé, dont une partie reviendra à la médecine libérale. Mais en fait, ce sera donné aux éditeurs de logiciels pour faire évoluer les outils, pas aux médecins libéraux... On sait que le Gouvernement est prêt à faire sauter la clause des 6 mois. En revanche, il est arcbouté sur le refus d’engager des négociations conventionnelles en 2021. Pour nous, c’est le signe qu’en 2022 il n’y aura rien sur la table. On ne va pas rester avec une consultation à 25 euros durant 10 ans. Il était hors de question de rester à la table des négociations dans ces conditions-là. Bien sûr que la revalorisation de la visite est attendue mais on ne peut pas prendre le risque de signer un tel avenant qui engagerait la profession pour 10 ans. Ce n’est pas acceptable et c’est très méprisant pour la médecine libérale, quand on voit notre mobilisation dans cette crise sanitaire, et ce qui a été donné à l’Hôpital dans le cadre du Ségur de la Santé. Un praticien hospitalier en début de carrière bénéficiera d’une augmentation de 7% ; un praticien qui a 32 ans d’ancienneté aura 19%. Tout ça pour continuer à faire ce qu’ils font aujourd’hui…

  Alors que les médecins libéraux vont se voir confier de nouvelles missions… Oui, comme le soin non programmé ou encore de nouvelles missions dans le cadre du numérique : le DMP, le volet médical de synthèse. Le temps de travail des médecins généralistes étant déjà très élevé -le plus élevé de l’ensemble des médecins libéraux- ces nouvelles missions vont se substituer en partie à...

leurs tâches actuelles. Il y a une telle inégalité de traitement entre l’Hôpital et la médecine ambulatoire. Je suis très surpris. Le Gouvernement ne prend pas conscience de la crise dans laquelle il emmène la médecine ambulatoire.   La CNAM propose de revaloriser la majoration de déplacement ou encore d’étendre la visite longue… Qu’en pensez-vous ? Cela fait partie des demandes des Généralistes-CSMF mais le compte n’y est pas. On sait que le nombre de visites ne cesse de diminuer, pourtant la majorité des médecins généralistes continuent d’en faire dans le cadre du maintien à domicile. La rémunération actuelle n’est pas acceptable. On le voit dans le cadre de la crise sanitaire dans les EHPAD. Ces revalorisations seraient une juste reconnaissance de la médecine générale, mais on ne peut pas se contenter de ça pendant 10 ans ! Avec 150 millions d’euros sur la table, on ne va pas loin. Et là, je ne parle que des médecins généralistes. Il y a aussi des demandes très fortes et justifiées de la part des autres spécialités médicales et tout particulièrement des spécialités cliniques qui sont, comme la médecine générale, en bas de l’échelle des revenus. Je pense aux endocrinologues, aux pédiatres, aux psychiatres, aux dermatologues… Ce qui est proposé aux pédiatres ou aux psychiatres, c’est trois fois rien. Certes, une revalorisation c’est toujours un plus, mais quand c’est complètement marginal par rapport à la demande, on ne peut pas signer.

  D’autant qu’il n’y aurait pas d’autres revalorisations avant plusieurs années, dites-vous… Ce n’est pas le fait du hasard si le Gouvernement ne veut pas entamer de négociations avant les élections présidentielles. Pendant la campagne, ils pourront nous promettre ce qu’ils veulent -et cela n’engagera que ceux qui les écoutent : après, on n’aura rien, avec la crise économique actuelle... Le traitement de l’Hôpital a été justifié. Mais il n’y a pas que les professionnels hospitaliers qui sont en bas de l’échelle des rémunérations en Europe. C’est aussi le cas de bon nombre de médecins de ville et d’autres professionnels de santé libéraux. Pour des besoins qui sont identiques, on a deux traitements différents pour l’Hôpital et la ville et cela ce n’est pas acceptable.   Y a-t-il une chance pour que la CSMF soit de retour à la table des négociations le 12 novembre prochain ? Cela parait très peu probable. On est en contact fréquents avec la CNAM et le cabinet du Ministre. On a avancé sur les deux premiers points, mais la date des négociations de la prochaine convention reste un point de blocage majeur.  

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