"On laisse les médecins se faire massacrer" : 1 126 agressions déclarées en 2018

04/04/2019 Par Aveline Marques

Menaces, injures, séquestrations, coups de poing, braquage… Le nombre d'agressions déclarées par les médecins ne cesse d'augmenter. D'après les chiffres 2018 de l'observatoire de la sécurité des médecins, que l'Ordre dévoile aujourd'hui, 70% des 1126 agressions recensées (en hausse de 8.7%) concernent des généralistes. Face à des patients de plus en plus revendicatifs et violents, ces derniers pâtissent d'un manque de "bienveillance" des autorités.

  C'était il y a tout juste un an. Le Dr Hélène Thomas, généraliste à Vichy, fait face au père d'une jeune patiente, qui exige que sa fille soit prise en charge immédiatement. Refus du médecin. Colère de son interlocuteur. "Il m'a donné un coup, il m'a arraché le frein de la lèvre supérieure. Je n'en revenais pas, témoigne-t-elle, ébranlée, devant la caméra de France 3. Après, c'est le choc, je ne me souviens pas. Je crois que je me suis assise derrière mon bureau et je pense que j'ai pleuré..." La généraliste est quitte pour 6 jours d'ITT, mais reprendra bien avant, pour ses patients. "ça a été assez dur. Pas physiquement, mais moralement… On ne s'attend pas à être violenté dans un lieu où on porte assistance aux gens." Sans détour, Hélène Thomas confesse avoir eu envie "juste après l'agression", "de dévisser la plaque".  

79% des victimes sont des médecins de ville

  Le cas d'Hélène Thomas est loin d'être isolé. D'après les chiffres de l'observatoire 2018 de la sécurité des médecins, que vient de dévoiler l'Ordre, pas moins de 1126 agressions ont été déclarées l'année dernière : c'est 91 de plus qu'en 2017, année où la barre des 1000 avait été franchie pour la première fois, et près de 500 de plus qu'en 2003, année de lancement de l'Observatoire.  

  Pour la 2ème année consécutive, le département du Nord caracole en tête des départements ayant déclaré le plus d'agressions (123), mais c'est la Lozère, avec ses 6 agressions pour 161 médecins en exercice, qui présente le taux de "victimation" le plus fort : 3.7%, contre 0.52% au niveau national. Impossible d'en tirer des conclusions, étant donné la faiblesse de l'effectif et le biais déclaratif. Au niveau national, 79% des victimes sont des médecins de ville, et 54% des praticiens exerçant en centre-ville.

Les médecins déclarent sans doute plus systématiquement les violences aujourd'hui qu'il y a 15 ans, mais ils sont sans doute encore nombreux à ne pas le faire. "D'après les informations qui nous remontent du terrain, il y a bien une augmentation des agressions, c'est une certitude. Dans les milieux urbains, comme dans les milieux ruraux", assure le Dr Hervé Boissin, coordinateur de l'Observatoire. Cette tendance à la hausse se confirme sur le premier trimestre 2019.  

Le refus falsifier une ordonnance est un motif d'agression

  Si la montée des violences est sociétale (enseignants, pompiers, policiers sont logés à la même enseigne), les praticiens font les frais de la conception de la médecine "gratuite" qui donne à certains patients l'idée qu'ils ont "tous les droits", analyse Hervé Boissin. Dont celui d'être soigné sans attendre, comme dans le cas du Dr Thomas. Les motifs d'agression le confirment. Un reproche relatif à la prise en charge est à l'origine de 31% des agressions (+2 points par rapport à 2017), le refus de prescription (médicament, arrêt de travail) arrive en 3ème (16%), juste derrière le vol (17%), et devant le temps d'attente jugé excessif et le refus d'établir un certificat de complaisance ou de falsifier une ordonnance (11%). "Lors d'une visite à domicile, une femme médecin a été séquestrée trois heures par le patient, qui réclamait son document", rapporte le conseiller ordinal.

Fait nouveau, 15 médecins ou collaborateurs ont été agressés l'an dernier pour avoir refusé de prendre un patient en tant que médecin traitant. L'Observatoire 2018 montre d'ailleurs une surreprésentation inédite des généralistes parmi les victimes : ils sont à l'origine de 70% des déclarations d'agression -contre 61% en 2017, alors qu'ils représentent 56% des effectifs. Viennent ensuite les ophtalmologues (4%) et les dermatologues (3%), deux spécialités marquées par des difficultés d'accès aux soins. De là à lier les deux faits, il n'y a qu'un pas. Les femmes apparaissent également davantage touchées que les hommes : 49% des déclarations les concernent, alors qu'elles représentent 47% de la population de référence.  

  Près de 9 fois sur dix, la victime est le médecin lui-même. Les collaborateurs sont également impliqués dans 20% des cas. Plus de la moitié (54%) des agresseurs sont des patients et 15% sont des accompagnants.  

Une agression avec un caddy

  Injures, menaces… 66% des agressions sont verbales, 28% des déclarations font état d'atteintes aux biens (vols, vandalisme, dégradation) et 7% concernent des agressions physiques. L'usage d'une arme est rapporté dans 31 déclarations, contre 20 en 2017. Pas moins de 10 médecins ont ainsi été agressés au couteau ou au cutter, 5 avec une canne, 3 avec une arme à feu, 2 avec une bombe lacrymogène et un avec… un caddy.  

  "Les agressions sont de plus en plus violentes, confirme le Dr Boissin, citant le cas marquant d'un médecin parisien qui s'est fait casser le bras dans le cadre d'un vol de son cabinet. Et pourtant, seuls 5% des incidents ont donné lieu à interruption de travail. "Si on s'arrête, en tant que libéral on a une franchise de 3 mois, rappelle le conseiller ordinal. Là aussi, il faudrait qu'on revienne dans le droit commun. Au bout de trois mois sans revenus, vous pouvez fermer votre cabinet." En attendant que les pouvoirs publics se décident à réagir, l'Ordre joue son rôle d'entraide, en accordant le cas échéant "une aide financière en cas de problème important". Le numéro d'assistance aux internes et aux médecins à risque de burn out, 0 800 288 038, s'adresse également aux médecins victimes de violence, insiste le conseiller ordinal.

L'institution déploie par ailleurs "une énergie folle" pour que les incidents donnent lieu à des poursuites judiciaires. Par craintes de représailles, de nombreux médecins renoncent : moins de la moitié (46%) des agressions sont suivies du dépôt d'une main courante ou d'une plainte. "Les policiers disent aux médecins que s'ils portent plainte, l'agresseur aura leur adresse personnelle. Alors que c'est l'adresse de l'Ordre qui devrait figurer, si les protocoles mis en place étaient respectés", s'agace le Dr Boissin. Et puis il y a ceux qui minimisent les faits. "Parfois, il faut que l'Ordre se fâche. Récemment à Strasbourg, une femme médecin a été agressée. Pas très grave pour la police : le patient a éjaculé sur elle... Le Procureur, au départ, n'a pas considéré ça comme une agression. Le médecin avait pour consigne de reprendre contact avec son patient pour savoir pourquoi il avait fait ça, vous imaginez ?", s'indigne le conseiller. "On a besoin de la bienveillance républicaine, aussi bien à l'hôpital que dans les cabinets libéraux… On n'a plus aucun contact avec le ministère de l'Intérieur, malgré les demandes qu'on a pu faire", déplore-t-il. Dans ces conditions, comment donner envie aux jeunes médecins d'aller s'installer en libéral ? "Il est temps que nos ministres de tutelle se réveillent, lance le conseiller national de l'Ordre. On ne peut pas accuser les médecins de tous les maux, de la désertification, et en même temps les laisser se faire massacrer. C'est inacceptable. "

Limiter la durée de remplacement peut-il favoriser l'installation des médecins ?

François Pl

François Pl

Non

Toute "tracasserie administrative" ajoutée ne fera que dissuader de s'installer dans les zones peu desservies (et moins rentables)... Lire plus

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