"L'ARS Île-de-France détricote quelque chose qui fonctionne" : le coup de gueule d'une présidente de CPTS
"On a proposé à l’ARS Ile-de-France, une solution clé en main : tout était fait, cohérent et bien organisé. Et aujourd’hui, ils viennent détruire des années de travail, des partenariats solides construits entre professionnels de santé, établissements hospitaliers, structures médicosociales et patients…" Nathalie Charbonnier est découragée. Le 18 février dernier, l’ARS Ile-de-France a formulé une "décision d’opposition" à l’encontre de la CPTS Santé Seine Essonne dont elle est la présidente. Ce document, que nous avons pu consulter, précise que "considérant que la CPTS Santé Seine Essonne présente un chevauchement de territoire d’actions sur les communes d’Évry-Courcouronnes et de Lisses avec le territoire d’une autre CPTS avec laquelle une tentative de rapprochement a échoué", et après "examen comparatif des deux projets de santé des CPTS" intégrant ces communes, l’agence "a retenu" le projet de santé de la CPTS Centre Essonne porté par l’association Apes (Association pluriprofessionnelle Évry Santé) au détriment de celle portée par l’association Espace Vie. Et cela, précise l’ARS, au regard de la "dynamique territoriale" de la CPTS Centre Essonne, "de son territoire intégrant une commune prioritaire pour l’ARS en matière de lutte contre les inégalités", de "son projet respectant davantage les prérequis attendus par l’Agence en lien avec le projet régional de santé" et de ses éléments de gouvernance "davantage développés, notamment vis-à-vis de la représentativité de l’ensemble des partenaires d’une CPTS". Départemental et pas territorial "On n’y croit pas une minute ! lance Damien Nicolini, infirmier et président d’Espace Vie. Ils nous ont reproché de porter, sous la seule bannière Espace Vie, plusieurs projets de CPTS. Car au bout de huit ans d’existence, Espace Vie compte plus de 1.000 professionnels sur tout le territoire de l’Essonne. On avait déjà une vision territoriale de la santé. Mais on était trop gros et on s’apparentait à une CPTS départementale. L’ARS nous a demandé de découper le territoire, et c’est ce que nous avons fait." De la méga-pré-CPTS, ils créent donc, en leur sein, 10 CPTS, soit 10 territoires – dont celle de Santé Seine Essonne, en veillant de scinder "de façon logique en fonction de la vie des patients et des professionnels et de leurs habitudes", poursuit Nathalie Charbonnier. Mais le "partage" des deux communes...
d’Évry-Courcouronnes et de Lisses pose problème car "il n’est pas possible d’avoir deux communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) sur la même commune, affirme Didier Jaffre, directeur de soins à l’ARS Ile-de-France. Et nous avons proposé à cette CPTS de revoir son projet de santé et d’enlever les deux communes d’Évry-Courcouronnes et de Lisses. Ce qu’ils ont refusé. Nous avons donc été dans l’obligation de s’opposer de leur projet de santé tel qu’il était présenté."
"Il est hors de question qu’on se sépare d’Évry-Courcouronnes et de Lisses, fulmine Damien Nicolini. Tout d’abord parce qu’on compte, dans ces deux communes, 90 professionnels de santé adhérents à notre CPTS. Et que nous avons construit, avec eux, des relations privilégiées. Comment demain, dire à ce professionnel qu’il ne fait plus partie de notre équipe et qu’il doit rejoindre une autre CPTS s’il souhaite poursuivre un dialogue territorial ?" Si, pour Didier Jaffre, il y aurait "autant de professionnels de ces communes impliqués dans l’une ou l’autre CPTS", le choix en faveur de la CPTS portée par Apes s’explique par son "projet de santé plus intégratif et inclusif" : " Je trouve que la manière dont ils envisagent le travail en commun se fonde beaucoup plus sur le volontariat des professionnels de santé. Alors que la démarche portée par Espace vie est plus descendante. C’est en tout cas ce qui ressort des deux dossiers ", précise-t-il. Un dossier papier permet-il, pour autant, d’estimer le degré de volontariat d’un professionnel sur le terrain ? "Pas complètement car on rencontre les porteurs et les professionnels. Au-delà du dossier papier, il y a un vrai travail de concertation, d’examen, d’analyse approfondie…" avance Didier Jaffre. Les femmes et les enfants d’abord ! Celui-ci estime qu’il y a une "incompréhension", dans ce cas précis, entre la démarche des CPTS (volonté de travailler ensemble pour une meilleure prise en charge coordonnée entre la ville, l’hôpital, le médicosocial et le social dans un territoire donné) et la démarche "mission" des projets de santé. Ainsi, sur l’Essonne, le maillage territorial s’est aussi exprimé lors du projet périnatalité porté par les CPTS d’Espace Vie : "C’est là une vraie question de santé publique – la santé de la femme et de l’enfant est l’une des huit priorités du gouvernement – car l’Essonne a, pendant longtemps, été le seul département francilien à avoir une hausse du nombre de naissances… L’objectif est donc...
de fluidifier le parcours des femmes enceintes, d’améliorer la santé des femmes et des enfants, mais aussi de réduire la mortalité infantile… Nous avons construit des partenariats avec toutes les maternités du 91, celles d’Evry, Arpajon, Galien, Villeneuve Saint Georges… Soit plus de 19.000 à 20.000 bébés chaque année. Comment faire demain s’il n’y a pas de trait d’union entre les CPTS ? Sans un outil unique de coordination pour faciliter les échanges ?" s’interroge Nathalie Charbonnier. Et pour l’ARS, il n’existe, aujourd’hui, aucune raison pour arrêter ce projet… Opposition, pas une invalidation "Nous n’avons pas invalidé le projet de CPTS Santé Seine Essonne, affirme Didier Jaffre. Nous leur demandons simplement de redéposer un autre dossier sans ces deux communes… et nous validerons tout de suite leur projet !". S’il maintient que seul un projet d’Espace Vie a reçu, à l’heure où nous écrivons, un avis d’opposition, par déduction, estime Damien Nicolini, trois autres CPTS accompagnées par Espace Vie risquent la même sanction : les CPTS AmSaVi (car validation de la CPTS portée par Hygie), ou encore Val de Seine et Cœur Essonne.
"L’ARS Ile-de-France détricote quelque chose qui fonctionne et qui a de l’intérêt pour le patient, dénonce Nathalie Charbonnier. Ils disent que notre projet de santé répond moins aux priorités du projet régional de santé, mais trois-quarts des missions y sont ! Je ne comprends pas cette décision. Ça dépasse l’entendement. D’autant qu’on a une organisation qui roule : on a des fiches incident, on étudie les événements indésirables qu’on fait remonter aux structures, on construit des procédures avec les services… Pourquoi refuser ? Peut-être parce qu’ils sont trop administratifs. Les ARS ont longtemps dicté les conduites à tenir et ils ont du mal aujourd’hui à accompagner et être à l’écoute du terrain. Ils disent qu’il y a eu des dizaines et des dizaines de réunions mais comprennent-ils que pour tous ces professionnels qui y ont assisté, des libéraux donc, c’est du temps, et pas de rémunération…" Dénonçant la création d’une "CPTS express – la CPTS Centre Essonne – déclarée le 19 janvier 2020 au Journal Officiel et validée le 5 février 2020", le bureau d’Espace Vie exprime un sentiment d’injustice, une incompréhension face à cette démarche de CPTS qui doit partir du terrain mais dont l’ARS garde la main et assume la décision "de vie ou de mort" sur les projets.
La sélection de la rédaction
Limiter la durée de remplacement peut-il favoriser l'installation des médecins ?
François Pl
Non
Toute "tracasserie administrative" ajoutée ne fera que dissuader de s'installer dans les zones peu desservies (et moins rentables)... Lire plus