"Je gagne mieux ma vie qu’avant et je fais des horaires de bureau" : deux ex-généralistes racontent leur changement de vie
Conditions de travail, accidents de la vie, envie de changement... Les médecins sont nombreux à rendre leur blouse ou à changer de façon d’exercer. Deux anciennes médecins généralistes, livrent leurs témoignages.
Marie-Noëlle Dubrana, 53 ans : "Je gagne mieux ma vie qu’avant et je fais des horaires de bureau"
“J’ai pratiqué la médecine générale pendant 17 ans avant de me rediriger vers la médecine du travail. J’ai 53 ans. Dès 2000, j’ai effectué des remplacements longs en cabinet en milieu rural avant de m’installer seule en 2009. Je n’avais pas d’assistante médicale donc je gérais l’administratif moi-même. Ça n’était pas insurmontable mais à un moment j’ai senti que j’étais arrivée au bout de quelque chose. Les patients, la sécurité sociale, l’Urssaf... tout devenait compliqué à gérer. Les annonces de cancers chez mes patients me touchaient de plus en plus. Je n’arrivais plus à mettre de distance entre eux et moi.
Certains mois mes revenus ne suffisaient pas alors que je travaillais sur quatre jours plus de 48 heures pour pouvoir profiter de mes filles le mercredi. Un jour, j’ai reçu une proposition pour devenir médecin du travail collaborateur près de chez moi. J’ai laissé trainer le papier pendant six mois puis je suis retombée dessus et ça a été le déclic. J’ai repris mes études. Je me suis inscrite dans un Diplôme universitaire en alternance pour me former à la médecine du travail. La formation a duré quatre ans. Maintenant, je m’assure de leur capacité à exercer à leur poste de travail, et si ce n’est pas le cas, je mets tout en œuvre pour les maintenir en emploi. Je ne gère plus le soin, les patients sont déjà pris en charge par des équipes médicales et je travaille en permanence avec une assistante médicale et une infirmière. C’est plus simple. Je fais aussi beaucoup de prévention en entreprises. Un travail très intéressant.
Je gagne mieux ma vie qu’avant et je fais des horaires de bureau. Le statut de salarié me rassure. En libéral, j’avais peur, une fois arrivée à la cinquantaine, d’avoir un problème de santé et de devoir arrêter mon activité sans contrepartie financière. Aujourd’hui, mes congés et éventuels arrêts maladies sont payés. C’est une situation confortable. Pour le moment, je ne compte pas changer de métier. Je pense finir ma carrière dans la médecine du travail”
Anonyme : "Je pensais que mes patients allaient me manquer, mais finalement, non"
“Médecin généraliste, j’ai commencé mon activité en 1996 par des remplacements. Durant cette période, je me suis trouvée un intérêt particulier pour les patients en fin de vie et les douloureux chroniques. J’ai décidé de me former à ces spécialités puis de créer un réseau de soins palliatifs et prise en charge de la douleur en Lorraine. Avec ma collègue infirmière, nous fonctionnions comme une équipe mobile de soins palliatifs hospitalière mais à domicile. A partir de 2013, nous avons ouvert une consultation dédiée à la douleur chronique également portée par la structure associative du réseau des soins palliatifs. Mais par manque de financement de l’ARS Grand Est, j’ai été licenciée en 2021. L’occasion pour moi de me poser la question de ce que je voulais faire.
Deux options s’offraient à moi : découvrir un autre univers ou chercher un poste en établissement. Mais exercer en structure hospitalière ou privée ne me convenait pas. Je souhaitais garder une souplesse d’organisation que la lourdeur hospitalière ne permettait pas. Alors j’ai décidé de faire un master en “Gestion et politiques de santé” à Science po. C’était un peu mon rêve d’enfant d’entrer dans cette école. A côté de mon activité de médecin, je faisais aussi beaucoup de formations continues pour les médecins libéraux. Donc, j’ai pris assez naturellement la direction scientifique d’un organisme de formation pendant un an et demi avant de créer ma propre entreprise de conseil. Maintenant, je conseille les entreprises qui font des formations continues pour les médecins libéraux. Je ne pratique plus la médecine mais j’accompagne mes confrères dans leur parcours, l’essentiel de mon activité de conseil reste dans le secteur de la santé.
Au début, je pensais que mes patients allaient me manquer. Mais finalement, non. Ça m’a même fait du bien. J’ai mesuré à quel point l’énergie dépensée dans le face à face des consultations m’épuisait progressivement. Je travaille encore plus dans mon activité actuelle mais je m’éclate. Le licenciement m’a servi de déclic. En tant que médecin, on a le nez dans le guidon. J’ai été forcée de m’arrêter pour me demander ce que je voulais faire. Si j’ai un conseil, ce serait de s’autoriser à prendre le temps de réfléchir à son quotidien, parfois changer une organisation de travail suffit à retrouver son équilibre, parfois il faut aller plus loin…”
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