médecine esthétique

"C'est le côté lucratif qui attire" : pourquoi ce député veut encadrer les reconversions en médecine esthétique

Le député de l'Isère, Yannick Neuder, a déposé une proposition de loi visant à encadrer les reconversions des généralistes et spécialistes vers la médecine esthétique. Alors que le nombre de praticiens se tournant vers cette pratique explose, l'élu, membre des Républicains (LR), entend lutter contre les déserts médicaux et favoriser l'offre de soins en France. "Si les injections de botox n'étaient pas revalorisées à 300 euros, je ne sais pas s'il y aurait tant d'attrait pour aller faire ce genre de spécialité", soutient le cardiologue de profession. Il expose son projet à Egora.

02/04/2024 Par Chloé Subileau
médecine esthétique

Egora : Vous avez annoncé déposer votre proposition de loi le jeudi 21 mars. Quelques jours plus tôt, l'ancien ministre de la Santé, Olivier Véran, annonçait dans la presse arrêter la neurologie pour se lancer dans la médecine esthétique. Cette annonce a-t-elle motivée le dépôt de votre texte ?  

Yannick Neuder : Disons que ça a accéléré les choses. En fait, j'essaye de faire des déserts médicaux et de l'offre de soins mon engagement de député depuis juin 2022, en étant moi-même médecin. Sur ces enjeux, j'ai identifié deux paramètres essentiels. Le premier, il est numérique puisque l'on forme le même nombre de médecins depuis 1970, alors qu'on est quinze millions de Français en plus, que l'on a une population qui a vieilli, qui est polypathologique et que le rapport au travail de nos jeunes professionnels de santé – médicaux et paramédicaux – a évolué. C'était l'objet de ma proposition de loi du mois de décembre, adoptée dans le cadre de la niche LR, qui a notamment pour but de supprimer le numerus apertus pour augmenter [le nombre d'étudiants formés en France, NDLR]. 

Le deuxième pilier est de renforcer l'attractivité. Finalement l'affaire Véran donne un coup de projecteur sur ce sujet. Car, si les injections de botox n'étaient pas valorisées à 300 euros, je ne sais pas s'il y aurait tant d'attrait pour aller faire ce genre de spécialité. En tant que député d'opposition, je ne peux pas déposer des propositions de loi qui engagent les finances de l'Etat. Je serais sanctionné par l'article 40 [de la Constitution]. Donc, cette proposition a pour but d'encadrer la médecine esthétique en accord avec le Conseil national de l'Ordre. Aujourd'hui, on ne peut pas dire que la seule voie de solution, quand on veut davantage se rémunérer, c'est la médecine esthétique. On voit déjà que 9 000 médecins exerçant la médecine esthétique sont plus ou moins recensés, c'est plus que le nombre de cardiologues en France. Tout ça était donc en préparation et il y a eu un concours de circonstances de sortir ce texte à ce moment-là.

Sur cette question de l'attractivité du monde médical, vous avez également déposé début mars une proposition de résolution pour revaloriser les actes des infirmières libérales….

La proposition de résolution que j'ai déposée concerne les IDEL exclusivement. Elle a fait l'objet d'une tribune dans le JDD [Journal du dimanche]. Toutefois, j'aimerais bien en déposer une autre attirant l'attention du Gouvernement sur une revalorisation nécessaire des actes médicaux – médecine générale notamment – qui est en cours d'écriture et sera déposée très prochainement. 

C'est donc une trilogie : augmenter le nombre, réglementer pour pas que l'on ait des fuites vers des secteurs extrêmement lucratifs, mais surtout pour éviter ces fuites : "Revalorisons correctement les actes !" Que ce soit ceux médicaux ou paramédicaux, notamment les infirmiers qui n'ont pas de revalorisation depuis 2009, et puis les 26,50 euros de la consultation [des généralistes].

 

Pourquoi souhaitez-vous vous attaquer aux reconversions des généralistes et spécialistes ? En quoi posent-elles problème ?

On manque déjà de médecins dans beaucoup de filières. Alors que l'on est à la veille d'une loi fin de vie, on manque de médecins en soins palliatifs. On manque de médecins en gériatrie. On en manque en psychiatrie, en biologie… Donc, je dis : "Revalorisons mieux les filières." Encore une fois, si cette filière "esthétique" n'était pas revalorisée à ce point-là, je ne sais pas s'il y aurait tant d'attrait. Il ne faut pas que les volontés des carrières médicales soient uniquement guidées par la financiarisation. 

D'un autre côté, je peux comprendre que des médecins généralistes ou dermatologues veuillent pratiquer ce genre d'actes. Quand un généraliste fait une injection de botox, il gagne 300 euros. Il faut qu'il fasse [près de] quinze consultations à 26,50 euros [pour gagner autant]. Je peux donc comprendre que ça peut-être des façons plus faciles de mettre du beurre dans les épinards.

J'entends aussi qu'il faut que l'on regarde dans quelles conditions d'exercice se font ces actes. 

 

Que voulez-vous dire par là ? 

On voit maintenant des publicités sur les réseaux sociaux par des non-médecins, des paramédicaux… Je pense qu'il est important que l'on se penche sur ce sujet. Il ne s'agit pas de déposer l'opprobre sur la médecine esthétique : il en faut ! Mais attention, ce sont des effets de mode, il y a les influenceurs, les réseaux sociaux… Il y a beaucoup de pratiques qui ne sont pas encadrées : tout le monde n'a pas un diplôme universitaire en pratiquant la médecine esthétique. C'est le moment de dire qu'il faut que l'on se pose ces questions-là, en accord avec le Conseil national de l'Ordre. 

Mais surtout le gros message, c'est de revaloriser les actes pour que l'on forme plus de médecins, mais qu'ils restent dans leur filière et que l'on n'ait pas que les filières lucratives qui recrutent.  

 

Vous dites que le nombre de praticiens exerçant la médecine esthétique est estimé à 9 000 en France. Comment ces chiffres ont-ils évolué ces dernières années ? 

Je n'ai pas encore les chiffres. Je dois revoir le Conseil national de l'Ordre la semaine prochaine [pour en parler], mais on voit que c'est plutôt un chiffre qui est en évolution. Par exemple, on a quelques données : on a 80% des jeunes médecins de la région parisienne qui envisagent de faire de l'esthétique. Je ne pense pas que c'est une vocation, quand ils ont voulu faire médecine, de se dire "je ferai des injections de botox". C'est, je pense, le côté lucratif qui [attire] les plus jeunes générations à pratiquer ce genre d'actes. Encore une fois, je ne condamne pas ces visées lucratives, parce qu'ils ont aussi un pouvoir d'achat à défendre, des charges, une famille… 

 

Le texte que vous avez déposé propose, dans un article unique, d'encadrer les reconversions en médecine esthétique en France en conditionnant sa pratique à "une autorisation de l'autorité administrative territorialement compétente, après avis conforme du conseil départemental de l'Ordre des médecins. Concrètement, qu'est-ce que cela implique ? Les situations pourraient être différentes selon les territoires ? 

Il y a peut-être des endroits où il n'y a absolument pas de médecin esthétique. Si certains praticiens qui ont fait un diplôme universitaire et autres [souhaitent s'installer dans ces territoires], ils pourraient obtenir un avis conforme de l'Agence régionale de santé et du conseil départemental de l'Ordre. Il n'y a pas de raisons que dans certains territoires français on n'ait pas recours à la médecine esthétique. Par contre, pour la énième installation parisienne ou dans certaines villes de Côte-d'Azur, peut-être que l'Agence régionale de santé et le Conseil de l'ordre pourraient peut-être dire : "On a ce qu'il faut." 

Je pense qu'il y a besoin d'un peu de différenciation territoriale. Tous les territoires de France ne sont pas "fournis" de la même façon en médecine esthétique. Dans certains territoires, il peut en voir zéro et y avoir des besoins. Mais, dans des territoires où regorgent [de praticiens réalisant de tels actes], je préfère que les médecins restent dans leur spécialité d'origine - la médecine générale, l'ORL et autres. Par contre, il faut qu'on les finance correctement pour bien les inciter à y rester. 

 

Un médecin généraliste ou spécialiste qui voudrait s'orienter vers la médecine esthétique pourrait donc se voir strictement refuser ce changement de pratique ? 

Déjà, il faut qu'il fasse le cursus de formation parce qu'on a beaucoup de médecins généralistes et de paramédicaux, voire de non diplômés, qui pratiquent ces actes. Donc, d'abord : quel est le niveau d'exigence pour les pratiquer ? 

Après, il peut peut-être y avoir un quota [d'actes de médecine esthétique autorisés]. On peut imaginer avoir dans sa patientèle quelques cas : ça joint l'utile à l'agréable. Mais l'idée n'est pas de transformer la filière totale de médecins généralistes vers la médecine esthétique. On a quand même six millions de Français qui manquent de médecins, dont un million en affection longue durée. Et, je ne me résous pas à dire que l'on va diminuer les affections longue durée parce qu'on va manquer de médecins. On va tout faire pour que l'on en forme en plus, qu'on les rémunère mieux et qu'ils s'occupent du million de patients en ALD qui n'en ont pas.

 

Cela impliquerait qu'il y ait un nombre déterminé de praticiens pouvant exercer la médecine esthétique dans chaque territoire ? 

Il faut y réfléchir. En général, c'est précisé par décret. Mais il faut au moins que le Conseil national de l'Ordre et l'Agence régionale de santé soient dans la boucle. On ne peut pas rester spectateurs. 

Encore une fois, cette proposition de loi est celle d'un député de l'opposition qui s'alarme sur le fait que le seul message de la santé en France en 2024, que ce soit pour le public ou le privé, ne peut pas être de dire : "Le système public s'enfonce, je pars faire de la médecine esthétique." C'est aussi ça la volonté de ce texte, c'est-à-dire qu'il y a d'autres messages à porter par cette proposition de loi et par la proposition de résolution pour revaloriser les actes. 

J'ai une autre ambition pour la santé en France. Je suis dans un parti qui aspire à revenir au Gouvernement, à la destinée de ce pays en 2027. Ce n'est pas pour donner ce genre de message, c'est pour donner un soignant pour tous et partout. 

 

Un encadrement de la médecine esthétique est également demandé par l'Ordre des médecins. Avez-vous travaillé avec eux pour rédiger cette proposition de loi ? 

Oui, c'est en lien avec eux. Je suis constamment en lien avec le Conseil national de l'Ordre, parce que je suis orateur pour le PLFSS. Donc on s'auditionne très régulièrement. Je les ai d'ailleurs auditionnés il y a une quinzaine de jours sur un autre sujet. Puis, j'ai eu le président du Conseil national de l'Ordre encore ce week-end au téléphone et on a une réunion de travail prévue début de semaine prochaine sur cette proposition de loi. 

 

Comme précisé au début de cet entretien, vous avez porté fin 2023 une proposition de loi visant, cette fois, à améliorer l'accès aux soins par la simplification, la territorialisation et la formation. Où en est ce texte ? 

Cette proposition de loi a été votée en commission des affaires sociales, puis on l'a voté à l'Assemblée nationale [en décembre 2023]. Dans son discours de politique générale, le Premier ministre, Gabriel Attal, a également évoqué cette loi. Maintenant, j'ai vu le Premier ministre à ce sujet ; maintenant soit le Gouvernement va s'en saisir, soit elle sera inscrite – je l'espère – avant l'été au Sénat.

Etes-vous favorable à l'instauration d'un service sanitaire obligatoire pour tous les jeunes médecins?

M A G

M A G

Non

Mais quelle mentalité de geôlier, que de vouloir imposer toujours plus de contraintes ! Au nom d'une "dette", largement payée, co... Lire plus

18 commentaires
1 débatteur en ligne1 en ligne
Photo de profil de Romain L
14,1 k points
Débatteur Passionné
Médecins (CNOM)
il y a 8 mois
Deux remarques : Comme le dit ce député, il faut comprendre avant tout que ces reconversions sont un effet de bord de la dévalorisation de la médecine conventionnée, (tout comme la menace actuelle de
Photo de profil de Ludovic Bulcourt
732 points
Débatteur Renommé
6f2eb2f8-138d-462b-857e-a08e32b2787d
il y a 8 mois
Ce serait un dangereux précédent pour la liberté d’installation. Soumettre l’autorisation d’activité de médecine esthétique à l’ARS et l’ordre. Dans ce cas pourquoi ne pas le faire pour les autres spé
Photo de profil de Georges Fichet
5,1 k points
Débatteur Passionné
Médecins (CNOM)
il y a 8 mois
Réglementer, réglementer, ces "gens-là" n'ont que ce mot à la bouche. Bien, réglementons, mais de toute façon, les médecins bloqués par cette énième réglementation finiront toujours par trouver une as
 
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