Médecin le jour, humoriste le soir : la double vie du Dr David Sun

"Tu t’appelles Sydney ? Et toi Nancy ? Mais c’est hilarant ! Vous vous êtes rencontrés sur Google Maps en fait ?" Ce soir dans la salle de spectacle de David Sun, la centaine de spectateurs fait partie intégrante du show. Un jeu de ping pong où humoriste et public se renvoient aisément la balle. Une heure de spectacle où les rires fusent à mesure que les blagues s’enchaînent. Et dévoilent petit à petit la vie du jeune médecin qui a vu naître sa vocation à l’âge de 15 ans. 

Tout commence à la suite d’une morsure de chien… Arrivé aux urgences pour se faire soigner, David Sun découvre l’univers médical. "J’ai trouvé ça incroyable, confie-t-il. Les patients peuvent être soignés à toute heure de la journée ou de la nuit et ils ne payent rien en partant…" Après cette expérience, c’est décidé, il sera médecin. Une fois le bac en poche, direction les bancs de la fac de médecine de Nancy. 

Soirées endiablées, objet coincé dans le rectum d’un patient, charge de travail intense, réflexions insolites de patients… Les anecdotes de cette décennie d’études s’égrènent au fur et à mesure du spectacle. Des instants de vie partagés par de nombreux soignants venus l’écouter ce soir. "Il raconte ce que je vis au quotidien. Je trouve ça très drôle et très courageux", observe le Dr Thi-Mai Kim, médecin généraliste. "C’est la première fois que je viens voir un humoriste et j’ai beaucoup aimé, indique Charlotte Le Tirant, étudiante en médecine. Je me suis reconnue dans son parcours notamment quand il évoque sa rupture amoureuse et sa reprise du sport." 

Deux éléments déclencheurs que le jeune médecin aborde longuement dans son spectacle. Car si la carrière d’humoriste de David Sun a démarré de manière fulgurante, elle n’était pas tracée d’avance. "Tout a commencé après une rupture amoureuse en 2022… Je sortais avec une fille depuis plusieurs années quand un jour, à cinq mois de ma thèse, elle a souhaité mettre fin à notre relation, explique ce dernier. Je me sentais nul et faible… Alors j’ai décidé de me mettre au sport. Je me suis entraîné dans un camp de combat en Italie, un camp de boxe en Espagne puis je me suis mis au cross fit." 

Après une transformation physique intense, le Nancéien se tourne vers les vidéos de développement personnel pour réfléchir à son avenir. Après avoir visionné un contenu de Simon Sinek, conférencier spécialisé dans le management, sa décision est prise. Sa contribution au monde sera de soigner les autres par le rire. Encouragé par ses proches, il se lance dans le stand-up. 
 

Un emploi du temps millimétré

Les débuts s’enchaînent dans des scènes ouvertes à Metz. Le principe est simple, à tour de rôle, les humoristes se partagent la scène quelques minutes pour présenter leur sketch. Une première expérience concluante malgré le stress. "Je sortais de stage et j’avais 1h de route, explique David Sun. Le temps me paraissait si long pendant ce trajet. Plus je me rapprochais et plus j’avais envie de rebrousser chemin… Mais finalement, je suis monté sur scène et c’était génial."

Après avoir élaboré des sketchs de 5 minutes sur scène, le médecin passe à 10 minutes, puis 30 minutes pour arriver à une tournée d'une heure nommée "Titi", jouée dans les quatre coins de la France. Il commence aussi en parallèle à produire de courtes vidéos humoristiques qu’il partage sur ses réseaux sociaux. Si les premières ne font que quelques milliers de vues, dès la troisième vidéo postée, le succès est immédiat : deux millions de vues en quelques jours. "Je n’y croyais pas, confie David Sun. J’avais l’impression d’être une star quand une de mes vidéos faisait 20 000 vues mais alors là… C’était un tout autre niveau. J’ai vraiment compris ce que signifiait la dopamine des médias."

Face à cette réussite, le désormais humoriste décide de créer son équipe pour mener à bien ce nouveau projet. Il s’associe avec son ami Jad Masri, dentiste, qui devient son producteur et ensemble, se répartissent les tâches. David s’occupe de la partie artistique avec l’écriture des spectacles et Jad assure le volet logistique avec l’organisation matérielle des spectacles, la communication de l’humoriste sur les réseaux, les relations avec la presse... En autoproduction, la nouvelle équipe s’entraide et fait preuve de débrouillardise pour se faire connaître. Ils vont toquer aux portes des comedy-clubs, contactent des théâtres, des producteurs… Un système D qui leur permet petit à petit de se forger un réseau au sein du marché de l’humour. "On est un binôme assez fusionnel, indique Jad Masri. David avait besoin d’une épaule pour définir une stratégie et monter un projet. Ensemble, on se motive et on avance très vite…" Une double vie intense que les deux soignants mènent chacun de front. "C’est extrêmement difficile de faire deux métiers, reconnaît le producteur. Mais on est sur la même longueur d’onde avec David, et c’est très excitant de faire autre chose que du médical !"

Le travail et la responsabilité envers le patient priment

De son côté, David Sun exerce à mi-temps en tant médecin généraliste. Avec sa nouvelle notoriété, il tient à rester discret sur le lieu exact de son exercice pour éviter tout débordement qui pourrait perturber la prise en charge des patients. Un quotidien intense, entre spectacles et consultations. "Partir en tournée, c'est super. Je vois du monde et je découvre la France, explique ce dernier. Mais quand je rentre tard et que j’ai ma journée de travail qui m’attend le lendemain, c’est difficile. Face à des patients qui arrivent dans un état aigu, je sais que je n’ai pas le droit à l’erreur. Je suis très exigeant avec moi-même pour ne rien laisser passer. Le travail et la responsabilité envers le patient priment. D’ailleurs, beaucoup de mes collègues disent que je ne suis pas drôle au travail", plaisante-t-il. Un dire confirmé par Sébastien F., infirmier qui travaille à ses côtés depuis plus d’un an. "Je l’ai connu au travail et c’était étrange de le voir en spectacle. Ce n’est pas du tout la même personne au travail et sur scène, explique le soignant. Il est très sérieux, rigoureux et très à l’écoute de ses patients. C’est un médecin qui a de l’humour, mais ça reste léger."

Une rigueur qu’il tient aussi de son éducation stricte. D’origine chinoise, ses parents tiennent un restaurant à Nancy et travaillent d’arrache-pied. "Leur établissement était ouvert du lundi au samedi. Le dimanche, leur seul jour de repos, ils s’occupaient de leur comptabilité, explique David Sun. Ils travaillaient dur alors ma réussite scolaire et celle de mon frère étaient très importantes pour eux." Sa mère y veille tout particulièrement. "C’est une maman tigre dans le bon sens, plaisante-t-il. Une main de fer dans un gant de fer ! Mais je sais qu’au fond, ce n’est que de l’amour." Une figure maternelle inspirante qui revient plusieurs fois au cours de son spectacle. Si cette dernière a été étonnée du revirement de carrière de son fils, elle avait déjà constaté son appétence pour l’humour dès l’enfance. "Depuis tout petit, il fait souvent le clown, il joue beaucoup et il est très drôle, confie-t-elle. Mais je suis quand même rassurée qu’il ait un métier stable à côté. Je suis allée le voir plusieurs fois sur scène et j’ai vu qu’il parlait beaucoup de la culture asiatique. Je trouve ça vraiment bien !"

David Sun n’hésite pas à piocher dans ces racines asiatiques pour raconter de nombreuses anecdotes sur son éducation et ses études. Pudeur sur l’éducation sexuelle et le rapport au corps, langage de l’amour basé sur des services plutôt que des paroles, remarques maladroites de patients sur ses origines, accent chinois… Tout en faisant participer le public à ses échanges. "Je parle beaucoup de mes origines notamment des clichés en faisant de l’auto-dérision, explique l’humoriste. J’invite les gens à en rire. Parfois, ils se crispent d’un coup et c’est dommage parce que l’auto-dérision, c’est libérateur et ça ne devrait pas poser de problème."

Ce soir-là dans la salle, pas de malaise. Le public est conquis par sa chaleur et son authenticité, notamment les spectateurs d’origine asiatique. "Ça me touche de manière intime", confie David Tran, un spectateur d’origine vietnamienne. "Il met des mots sur ce qu’on ne dit pas, observe plus loin Frédéric. Je me suis reconnu dans de nombreuses situations de vie qu’il a donné." "C’est vraiment chouette d’avoir des médecins qui montent sur scène, sourit Charlotte Le Tirant. Et ça ne m’étonne pas qu’il ait choisi la médecine. Ça se voit qu’il aime les gens."