"La gendarmerie est venue le jour même au cabinet" : las d'être "des pions", les généralistes du Haut-Rhin en grève face aux réquisitions

31/12/2021 Par Aveline Marques
Permanence des soins

Dans le Haut-Rhin, le torchon brule entre l'ARS et les généralistes libéraux. Révoltés tant sur le fond que sur la forme par les réquisitions "arbitraires" ordonnées dans le cadre de la permanence des soins ambulatoires (PDSA), dans un contexte de surcharge des urgences, les praticiens sont appelés à la grève ce samedi 1er janvier.   Les gendarmes se sont présentés à son cabinet un samedi matin, alors qu'il n'était pas présent. "C'est un confrère qui m'a appelé pour m'informer qu'on avait déposé un arrêté préfectoral de réquisition et que je devais rappeler la gendarmerie", relate le Dr Thomas Manneh. Ce jeune généraliste de 31 ans, installé depuis moins de trois ans à Soultz-Haut-Rhin, apprend qu'il est réquisitionné pour une garde sur son secteur… le soir même, samedi 18 décembre.   Retrait Comme partout ailleurs, ou presque, la démographie médicale en berne dans le département fragilise la PDSA. Dans le Haut-Rhin, la régulation libérale est en difficulté depuis plusieurs mois. Le système ne tourne plus qu'avec une dizaine de volontaires, une quinzaine tout au plus, contre 45 dans le département voisin du Bas-Rhin, souligne dans les Dernières nouvelles d'Alsace (DNA) le Dr Didier Kleimberg, responsable de l'association Regulib. Alors que les urgences explosent sous l'effet de la cinquième vague de Covid et des pathologies hivernales, et que le Samu 68 doit absorber une augmentation de 25% des appels, le retrait de deux médecins régulateurs qui assuraient la moitié des heures de régulation -le Dr Kleimberg, pour raison de santé et un autre praticien pour défaut de pass sanitaire, d'après les DNA- aurait sonné le glas d'une organisation déjà précaire. Inquiet des conséquences d'une régulation libérale défaillante et des conséquences que pourraient avoir les "trous" du planning de garde dans la période intense des fêtes de fin d'année, le chef de service des urgences de Mulhouse, le Dr Marc Noizet, aurait alerté l'ARS, qui n'aurait trouvé d'autres solutions que de solliciter le préfet pour réquisitions en urgence.

Si les généralistes du Haut-Rhin s'attendaient à des réquisitions pour les week-end de Noël et du Nouvel an, les réquisitions tombées dès le week-end des 18 et 19 décembre, dans trois secteurs, sans aucune concertation préalable, ont fait l'effet d'une bombe. Dans un communiqué, plusieurs syndicats (CSMF, MG France, SML et FMF) se sont dit par ailleurs "choqués par la procédure utilisée". Très "investi" dans la prise en charge des patients de son secteur, le Dr Thomas Manneh a fait preuve de "bonne volonté" en acceptant l'ordre de réquisition, alors que celui-ci ne lui avait pas été donné dans les règles de l'art, c'est-à-dire remis en mains propres. Samedi 18 au soir donc, de 20 heures à minuit (alors que le cahier des charges ne prévoit une PDSa que l'après-midi), il a effectué sa garde… et n'a reçu aucun appel Comme beaucoup de généralistes, y compris sur Egora, le jeune praticien considère que la PDSa en soirée n'a "aucun sens". "Si on est appelés pour un problème qui relève de la médecine générale, c'est que ça peut attendre le lendemain matin. Sinon, c'est que ça relève des urgences", souligne-t-il. "En milieu rural, le nombre de demandes de soins au cours de la PDSa est très faible (moins d'un appel de nuit pour trois gardes réalisées), abonde le communiqué intersyndical diffusé le 21 décembre. Cela a conduit il y a plusieurs années certains secteurs, en accord avec l'ARS et le CDOM, à abandonner la tenue d'un effecteur de nuit, espérant ainsi redistribuer les moyens au secteur hospitalier, rappellent-ils. Etendre par ces réquisitions l'offre de soins de 20 à 24 heures n'aura donc qu'un impact négligeable sur le flux de patients des urgences du Haut-Rhin, mais affectera profondément des médecins déjà épuisés par la forte activité constatée dans tous les cabinets cet hiver", ont-ils alerté.   Equitable? En vain. A Noël, de nouvelles réquisitions sont tombées. Un jeune couple de généralistes, installés depuis peu à Vieux-Ferrette dans le Sundgau, s'est ainsi vu intimé l'ordre d'aller faire de la régulation (l'un le 24, l'autre le 25). "C'est inacceptable d'envoyer comme ça au casse-pipe des jeunes médecins qui non seulement ne sont pas encore très aguerris mais surtout non formés à la régulation", dénonce le Dr François Xavier Schelcher, représentant local de MG France, joint par Egora. Rebelotte pour le week-end du Nouvel an : ces mêmes généralistes sont à nouveau priés de se présenter au Samu 68, l'un le 31 décembre, l'autre le 1er janvier. De même que Thomas Manneh, convoqué dès 16 heures, ce vendredi, à Mulhouse. Il est ainsi contraint de fermer son cabinet de manière anticipée. "On me réquisitionne sur un horaire où l'on aurait eu besoin de moi sur mon secteur. De 16 à 19 heures, j'aurais pu rajouter des consultations urgentes, un flacon de vaccination. Là je suis obligée de restreindre mon activité au cabinet pour aller faire de la régulation", dénonce-t-il, soulignant le côté ubuesque de la situation : "Certains des patients qui ne vont pas réussir à me joindre vont peut-être appeler le 15 et m'avoir au téléphone et je vais peut être devoir les diriger vers le médecin de garde… Au final, il y aura un retard de prise en charge." Le généraliste de Soultz s'interroge par ailleurs sur le caractère "équitable" de ces réquisitions qui, contrairement à la foudre, frappent deux fois au même endroit. François-Xavier Schelcher avance une explication : les jeunes médecins auraient été choisis par l'ARS parce qu'ils ont bénéficié d'une aide à l'installation. "Ce qui paraît totalement injuste parce qu'ils sont allés s'installer là où personne ne voulait aller", relève le syndicaliste. Si la participation à la PDSa fait effectivement parti du "contrat", pour le Dr Manneh ces réquisitions vont trop loin. Les jeunes praticiens font en effet déjà leur part, Thomas Manneh effectuant même des vacations aux urgences de Colmar. Sans oublier qu'au quotidien, ces généralistes, qui exercent dans des zones sous-dotées, ne chôment pas pour prendre en charge un maximum de soins non programmés, prévenant en amont la surcharge des urgences.

Plus que le fond, c'est la forme qui ne passe pas auprès des libéraux du Haut-Rhin. "Tout ça nous parait totalement choquant, brutal et illogique", résume le Dr Schelcher. "De manière arbitraire et despotique, sans nous prévenir", "on nous déplace comme des pions, des soldats détournés de nos fonctions sous peine d'amende", lance, amère, Thomas Manneh. Motivé à exercer la médecine générale "de terrain" dès sa sortie de la fac, le jeune médecin s'est installé avec "des projets plein la tête", prêt à relever le défi de la prise en charge des patients dans une zone déficitaire, en coordination avec les médecins et paramédicaux du secteur. Sa motivation reste intacte, mais pour combien de temps? "J'ai 31 ans et je suis sur les rotules Il y a des jours où je tremble. J'ai du mal à dormir." Ces réquisitions, souligne-t-il, risquent non seulement de "refroidir ceux qui sont déjà refroidis" par l'exercice libéral et de générer des arrêts pour burn out ou de précipiter les départs en retraite de ses confrères plus âgés. Certains confrères seraient "stressés au quotidien" de se voir réquisitionné pour réguler alors qu'ils n'y sont pas accoutumés, témoigne-t-il.   Déshabiller Pierre... Réunis dimanche soir, les coordinateurs des différents secteurs de garde ont décidé de lancer un appel à la grève pour le samedi 1er janvier. Un mouvement de grève "reconductible" soutenu par les cinq syndicats de médecins libéraux (FMF, CSMF, MG France, SML, UFML). Si la grève est "symbolique" (elle déclenchera des réquisitions), les protestataires tentent de mobiliser l'ensemble des médecins de leur secteur afin d'éviter que les non grévistes soient réquisitionnés en priorité. Thomas Manneh en est persuadé : seule la confraternité (entre hospitaliers et libéraux, entre spécialistes et généralistes) permettra aux médecins de surmonter les difficultés du système de santé. "Déshabiller Pierre pour habiller Paul n'est pas la solution."

En réponse à ce mouvement de protestation, l'ARS Grand Est, contactée par Egora, a promis d'organiser la tenue d'assises de la PDSa en janvier avec tous les acteurs "afin d'aboutir à des solutions adaptées". Mais les propositions formulées jusqu'ici par les représentants des libéraux ont "toutes été rejetées" au nom de "contraintes administratives", déplorent les syndicats dans leur communiqué du 21 décembre. Il s'agissait notamment de fusionner les secteurs de garde et de permettre la prise en charge du transport de patients vers le médecin de garde du secteur limitrophe ou encore de permettre exceptionnellement aux médecins d'appliquer la majoration d'urgence pour les patients non MT envoyés par la régulation les 24 et 31 décembre. "Les questions de cotations d'acte, de défiscalisation ou encore de transport vers les points fixes de garde sont encadrées par de nombreux textes, justifie l'ARS Grand Est. Toutes ces propositions sont examinées et lorsqu’elles impliquent une évolution des textes réglementaires l’ARS fait le lien avec l’ensemble des services de l’Etat." "Toute innovation dans l'organisation de la garde libérale est bienvenue et l'ARS saura les mettre en place dans le cadre de la réglementation en vigueur et de ses capacités à agir."

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