"Par pitié, ne jouez pas avec l'humanisme qui nous a fait faire médecine" : le vibrant discours de Paul Frappé, président du CMG

23/03/2023 Par Aveline Marques
En ouverture du 16e congrès du Collège de la médecine générale, le Pr Paul Frappé a appelé à reconnaitre et revaloriser le rôle du médecin traitant, et à ne pas céder à la tentation de la régulation. 

 

Imaginez un futur où le passage de l'incitation à la coercition aura fait fuir les médecins généralistes vers d'autres modes d'exercice, propulsant les patients, "hors de toute coordination", dans un parcours de soins chaotique "aux allures de boules de flipper", où les médecins sont devenus des "techniciens" et où l'humanité, "trop chronophage", aura déserté les consultations. C'est l'exercice auquel s'est prêté le Pr Paul Frappé, président du Collège de la médecine générale (CMG), en ouverture de ce 16e congrès, jeudi 23 mars au Palais des congrès de Paris, placé sous le thème de l'espace et de la santé planétaire. 

Pour que cette "science-fiction ne devienne pas la réalité un jour", Paul Frappé a appelé à ne pas "céder à la tentation de renforcer la pression sur une offre déjà en surchauffe au risque de la faire exploser". "Par pitié ne jouez pas avec notre profession, ne jouez pas avec l'humanisme qui nous a fait faire médecine car il n'existe pas de zones sur dotées en médecins généralistes et nous faisons le maximum pour recevoir les patients dans un délai adapté à leurs besoins", a-t-il imploré. D'autant qu'un "nivellement" du nombre de médecins sur le territoire national ne satisferait personne : à Saint-Etienne, par exemple, cela reviendrait à retirer 40 généralistes, alors que la population se plaint de difficultés d'accès aux soins, a illustré le médecin, en conférence de presse. 

A l'opposé, les médecins généralistes ne sauraient se contenter d'une "calinothérapie". "Nous ne sommes pas des bébés phoques et nous n'avons pas besoin d'une Brigitte Bardot qui vienne nous dire 'j'aime beaucoup ce que vous faites'", a plaisanté le président du CMG. 

Son plaidoyer vise à reconnaître le rôle du médecin généraliste, et en particulier du médecin traitant qu'il faut "valoriser". "Levez les yeux de la demande immédiate et prenez conscience de la puissance de ce rôle, le seul à même d'initier une prévention vraiment individuelle et d'accompagner le patient dans une relation au long cours, du ventre de la mère au ventre de la terre, le seul à même de réguler la demande sans la frustrer." 

Cela nécessite de retrouver du temps médical en "dépolluant" les consultations de tous les actes sans plus-value médicale, souligne Paul Frappé : "les certificats absurdes", mais aussi les arrêts de travail de moins de trois jours, ces "urgences administratives" qui bousculent les organisations. Face à la presse, Paul Frappé a cité l'exemple d'un cuisinier en cantine scolaire qui viendrait consulter pour une gastro-entérite. "L'examen clinique est le plus souvent normal, on va pas attendre qu'il vomisse sur la table pour lui prescrire son arrêt de travail, bien entendu que c'est pertinent qu'il en ait un mais où est la plus-value médicale?" 

Autre impératif : "reconnecter la rémunération avec l'effort produit au quotidien", plutôt que de verser des forfaits pour remplir des dossiers administratifs… S'avançant prudemment sur le terrain syndical des négociations conventionnelles, le président du CMG a lancé : "Comment peut-on exiger des contreparties pour un simple rattrapage de l'inflation ?" Pour Paul Frappé, l'échec des négociations conventionnelles n'est en fait que le dernier symptôme d'une "crise identitaire" de la médecine générale, d'un "abcès" qui se développe depuis plusieurs années. 

Quant à l'évolution des métiers et aux transferts de compétences, le CMG assure qu'il n'y est pas fondamentalement opposé, travaillant avec les CNP infirmier, kiné et pharmacien pour définir "un fil rouge". "Nous ne sommes pas en guerre avec les autres professions." Mais le président a exhorté les pouvoirs publics à réfléchir au "préalable" au rôle et à la place de chaque profession plutôt que de raisonner en actes et en compétences à la découpe. "Si telle profession est capable de faire, on va lui donner la compétence, déplore-t-il, prenant l'exemple des vaccins. On oublie que derrière il y a une responsabilité et que se joue l'enjeu de la lisibilité de l'offre de soins. Mélanger indistinctement les activités de chacun en se basant sur la capacité de faire peut générer une espèce d'iatrogénie organisationnelle. A la fin, c'est le patient qui trinque, ne sachant plus s'il peut s'adresser à tel professionnel pour tel motif de consultation et certains aspects de sa santé sont oubliés." 

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