Médecins accusés, poursuivis, condamnés… Depuis de nombreuses années déjà, les professionnels de santé, en ville et à l’hôpital, regrettent l’augmentation des procédures en justice par leurs patients pour divers motifs : retard de diagnostic, défaut de prise en charge, erreur thérapeutique notamment.
Si l’année 2020 a été exceptionnelle sur le plan de la responsabilité des médecins du fait de la crise sanitaire, l’année 2021 "marque un retour à la normale", a estimé Nicolas Gombault, directeur général délégué du groupe MACSF lors de la présentation du rapport 2022 sur le risque des professionnels de santé. "Le nombre de déclarations de sinistres en 2021 a augmenté d’un peu plus de 11% par rapport à 2020, mais reste inférieur à celles reçues avant la crise”, a-t-il ainsi exposé.
Dans le détail, la sinistralité des médecins était de 1,23% en 2021. Elle était cette année-là de 6,41% pour les dentistes, de 0,04% pour les infirmières, de 0,38% pour les kinés et de 0,16% pour les sages-femmes. En 2019, le taux de sinistralité des médecins était toutefois supérieur, s’établissant à 1,53%.
Baisse de la sévérité des tribunaux
Ce qui frappe le plus Nicolas Gombault, c'est en revanche la baisse de la sévérité des tribunaux envers les médecins. "Vous ne me l’entendrez pas le dire souvent", reconnaît-il d’ailleurs. Car c’est la première fois depuis 2017 que cette baisse est constatée par la MACSF en matière de condamnations judiciaires. En 2021, 67% des décisions civiles se sont soldées par une condamnation, contre 72% en 2020 et 71% en 2021. "S’agit-il d’une tendance à moins de sévérité de la part des juges civils ? Il est difficile de répondre à cette question aujourd’hui, mais il faudra surveiller cet indicateur dans les années à venir", a-t-il prévenu.
Au total, 396 décisions de justice ont été rendues, ce qui représente une augmentation de 19% par rapport à 2020. Mais, rappelle Nicolas Gombault, "la comparaison des données 2021 avec celles de 2020 s’avère peu pertinente" du fait de la baisse significative du nombre de déclarations de sinistres et de décisions de justice. Il y a trois ans, leur nombre était bien supérieur, atteignant 438. Les trois spécialités les plus touchées sont la chirurgie (152 décisions), la médecine générale (74 décisions) et l’anesthésie-réanimation (53 décisions).
Sur le plan pénal en revanche, 17 médecins ont été poursuivis pour 13 décisions rendues, soit trois de plus qu’en 2019. Enfin, du côté des commissions de conciliation et d'indemnisation (CCI), "on retiendra une tendance plus importante à reconnaître une faute que par le passé", constate Nicolas Gombault. 1.390 professionnels de santé ont été poursuivis dans ce cadre et 41% d’avis fautifs ont été rendus. Le motif de "faute exclusive" a même été retenu dans 30% des cas plutôt que des aléas. Enfin, 26% de ces professionnels de santé ont été déclarés fautifs par une CCI.
A noter que les plaintes pénales représentent 3% des plaintes totales en 2021, les plaintes ordinales 4% et les plaintes civiles, 18%. Les déclarations à l’amiable sont les plus prépondérantes (39%).
En libéral, une exposition au risque "très hétérogène"
Si les décisions de justice ont été moins sévères à l’égard des professionnels de santé, les indemnisations sont, elles, en forte hausse… La MACSF estime à plus de 49 millions d’euros le total du coût de l’indemnisation des patients en 2021, soit sept millions de plus qu’en 2019. Seule une indemnisation sur quatre rendue l’an dernier était inférieure à 100.000 euros et 11 ont dépassé le million d’euros. Nicolas Gombault a pris pour exemple un gynécologue-obstétricien condamné à verser 3,8 millions pour une infirmité motrice cérébrale due à une souffrance fœtale "suite au refus du praticien de se déplacer au chevet de la patiente, malgré l’appel de la sage-femme". La responsabilité du praticien était engagée pour "perte de chance de naître indemne ou de souffrir de séquelles moins graves".
Il a également cité le cas d’une pédiatre, poursuivi pour la "prise en charge inadaptée d’un épisode d’hypoglycémie sévère d’un nouveau-né placé en incubateur". "Il est reproché à la pédiatre d’avoir prescrit l’administration de glucosé par sonde gastrique et non par intraveineuse chez un nouveau-né, de ne pas s’être déplacée immédiatement en laissant l’enfant à la charge de l’équipe de puéricultrices et de la sage-femme et de ne pas avoir appelé plus tôt le Samu lors de l’aggravation constatée." Montant de l’indemnité : 3,8 millions.
Sans surprise pour le directeur général délégué du groupe MACSF, c’est la chirurgie qui a coûté le plus cher sur le plan de l’indemnisation, avec un total de 11,653 millions d'euros. Elle est suivie de la gynécologie obstétrique, 8,559 millions d’euros et de la médecine générale, 7,954 millions d’euros. Ces trois spécialités représentent à elles seules 69% des indemnisations à la charge du médecin.
Dans son rapport, le groupe a aussi établi un classement des spécialités avec le plus fort taux de sinistralité. Déjà première en 2020, la...
neurochirurgie est en tête (84%), devant quatre autres spécialités chirurgicales. L’anesthésie-réanimation occupe la sixième place (12%). Elle est suivie de la médecine d’urgence, de l’oncologie, de l’ophtalmologie et de la gastro-entérologie et hépatologie.
La médecine générale, une spécialité "de plus en plus difficile à pratiquer"
La médecine générale est, elle, particulièrement ciblée dans les cas de déclarations de dommages corporels : en quatre ans, 356 événements ont été signalés. C’est plus que la chirurgie orthopédique et traumatologique, par exemple (293 déclarations).
"De plus en plus, on se rend compte que la médecine générale est un exercice compliqué", appuie le Dr Thierry Houselstein, directeur médical du groupe. En témoignent les indemnisations de justice, toujours plus élevées. Ainsi, en 2021, un généraliste a été condamné à verser 4.495.120 euros de dédommagements à un patient ayant consulté pour des troubles gastriques et une toux au retour d’un séjour au Maroc. Si le praticien lui a diagnostiqué un syndrome grippal avec bronchite associé à une flambée de reflux gastro-œsophagien, le patient a toutefois présenté une détresse respiratoire quelques jours plus tard. Conduit aux urgences, il souffrait finalement d’une méningite à pneumocoque. "Dans ce cas, il a été reproché au médecin plusieurs négligences, détaille Nicolas Gombault. L’absence de prescription d’investigations complémentaires et l’absence d'orientation vers un service hospitalier notamment.” Il s’agit d’ailleurs de l’indemnisation civile la plus élevée du groupe MACSF en 2021.
Ce qui explique la mise en cause de plus en plus fréquente des généralistes, selon le Dr Thierry Houselstein, c’est que les patients "n’hésitent plus à mettre en cause les médecins généralistes". "Ils sont presque de moins en moins des médecins traitants, analyse-t-il. Avant le médecin traitant était sacralisé. Ça a disparu depuis quelques années." A ses yeux, les généralistes exercent donc "une spécialité de plus en plus difficile à pratiquer".
Ce sont les erreurs de diagnostic ou les problèmes de coordination, dans le cas où il est nécessaire de solliciter un deuxième avis, qui leur sont le plus reprochés.
Pour le Dr Houselstein, c’est l’essence même du métier de généraliste qui explique que la spécialité est particulièrement à risque sur le plan de la responsabilité médicale. "Le MG voit arriver un patient et doit faire le ‘débrouillage’ si l’on peut dire les choses ainsi, alors que souvent les autres spécialistes voient arriver un patient qui a déjà été orienté."
Les consultations qui sont le plus susceptibles de mettre en cause les médecins sont, selon lui, les visites à domicile car "le médecin n’a pas forcément le dossier médical" avec lui. Mais il n'exclut pas non plus les pathologies infectieuses. "Quand on voit un patient fébrile, qui se plaint de douleurs musculaires, ça peut être tout un tas de choses", rappelle-t-il.
Les effets de la crise sanitaire liée au Covid se font désormais sentir au niveau de la modification des pratiques des professionnels de santé et par conséquent, du risque médico-légal. Ainsi, les motifs de réclamation de patients ont concerné, l’an dernier, des contaminations nosocomiales avec aggravation des tableaux cliniques et des cas de détresse respiratoire. "L’évolution a souvent été très malheureuse", relève le Dr Thierry Houselstein, directeur médical du groupe MACSF. Ces réclamations ont touché toutes les spécialités libérales.
Alors que plus de 19 millions d’actes de téléconsultation ont été enregistrés en 2020, l’assureur a relevé une augmentation de la mise en cause des généralistes dans ce cadre pour différents motifs, à commencer par la sous-évaluation de la gravité de la situation d’un patient ou de mauvaises ordonnances. Particularité pour les patients atteints de Covid : il est reproché aux médecins de s’être trompés dans le diagnostic initial ou de ne pas avoir demandé de test et d’avoir prescrit de mauvais traitements ou des traitements non-adaptés. "Cela s’explique par le fait qu’au début de la crise, il n’y avait pas de protocole de prise en charge clair", rappelle le Dr Thierry Houselstein.
Enfin, les motifs de réclamation ont concerné les déprogrammations ayant eu pour conséquence des retards de diagnostic (tumeurs, pathologies aiguës…) et des retards de prise en charge (bilans différés, perturbation du parcours de soin) et la vaccination (troubles neurologiques).
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