"Sous-coté", "chronophage", "chaotique" : vous racontez les galères du paiement à l'acte

22/03/2019 Par Aveline Marques

Entre les libéraux et le paiement à l'acte, c'est un peu "Je t'aime, moi non plus". Consultés par Agnès Buzyn sur Egora.fr dans le cadre de la réforme de la rémunération, près de 2300 médecins, infirmières et kinés ont témoigné de leur attachement viscéral au paiement à l'acte, malgré ses défauts. D'une même voix, ils réclament une revalorisation des actes de base.

  La tarification à l’acte est le pire des systèmes, à l’exception de tous les autres. C'est ce qui ressort de la consultation lancée par Agnès Buzyn sur les différents modes de rémunération plébiscités par le rapport de la mission Aubert sur le financement de la santé. Poussant à la consommation, le paiement à l'acte, qui représente 87% de la rémunération des généralistes et quasi 100% de celles des spécialistes et paramédicaux, doit être réduit, estiment ces experts, qui militent pour des "modalités de paiement combinées". Les résultats sont sans appel : plus de 78% des répondants s’opposent à la mise en place d'un paiement au forfait pour le suivi du patient chronique ou encore à une rémunération basée en partie sur des indicateurs de qualité, manifestant ainsi leur attachement à la tarification à l'acte… aussi imparfaite soit-elle.

Car pour la majorité des répondants, si le paiement à l'acte peut en effet constituer un frein à une prise en charge de qualité, c'est parce qu'il n'est pas assez rémunérateur : 91% des sondés estiment que les actes sont sous-cotés. A commencer par la consultation du généraliste, "l'une des moins chères d'Europe", rappellent nombre de médecins. Vingt-cinq euros, c'est le prix d'une coupe de cheveux homme chez un coiffeur et c'est trois fois moins qu'un contrôle technique, relève, amer, un praticien. Après soustraction des charges, il ne reste que "10-12 euros net d'impôts à Bac+9", se désole un autre.  

"Médecine de qualité et de prévention" VS "médecine de merde"

  Fatalement, ce tarif pousse à "passer moins de temps avec le patient", déplore un généraliste : 15 minutes chrono. Un timing bien "difficile à respecter", qui transforme les journées de consultations en "course contre la montre" et pousse certains praticiens à privilégier la quantité, en enchainant les consultations de 5-10 minutes. "Il est aberrant d’être moins payé quand on fait des consultations de qualité et de prévention (qui sont plus longues) qu’un médecin qui va faire de la médecine ‘de merde’ à voir des patients en 5 minutes, lance un généraliste. Il est toujours plus simple de prescrire de l’amoxicilline pour une rhino que d’expliquer l’absence d’indication des antibiotiques et comment se laver le nez", illustre-t-il.

Bien souvent, la consultation déborde : patient polypathologique ou suicidaire, annonce de cancer… Comptez 30, 45 minutes, voire 1 heure, soulignent les répondants. Comme en Suisse, certains médecins suggèrent donc d'aligner le tarif de la consultation sur le temps passé. Ce qui permettrait de mieux rémunérer ces consultations à "10 motifs", payées aujourd’hui "autant qu'une consultation très rapide, pour un seul motif simple" : "inadmissible !", juge ce médecin. "La tarification à l'acte devrait dépendre de l'acte, de sa durée, de sa complexité", estime-t-il. Un patient au diabète non compliqué sous metformine ne demande pas le même investissement qu’un diabétique compliqué sous insuline, "avec une prise en charge complexe coordonnée avec nos confrères spécialistes… quand on y a accès", illustre un confrère. "Il faudrait pourvoir coter la visite longue plus facilement. Il n'y a pas que les patients ayant une maladie dégénérative qui nécessite du temps", souligne un généraliste. "L’acte intellectuel est mal rémunéré si on le compare à un acte technique", résume un médecin : "une réévaluation de traitement chez une personne polymédicamentée, 25 euros ; une suture simple nécessitant 1 point, 50 euros..." Autres actes notoirement sous-cotés : la consultation de psychiatrie ("46,70 euros pour des consultations pouvant aller jusqu'à une heure!"), l'extraction du bouchon de cérumen, le frottis cervical, les échographies, les soins bucco-dentaires… et tous les actes de kiné "de base". "L'acte de kiné le plus réalisé en cabinet : AMS 7.5, soit 16,13 euros brut. S'il est réalisé conformément aux recommandations actuelles - 1patient/30min- il est très insuffisant", souligne un professionnel. Un acte revalorisé de 80 centimes en 20 ans, s'indigne un autre. "Si des kinés prennent plusieurs patients à la fois ce n'est pas pour le plaisir", conclut un troisième.

Autre aberration pointée par les libéraux : l’impossibilité de coter un acte avec une consultation -sauf exception- ou d’additionner les actes, "ce qui incite à faire revenir les patients". "Nous devrions pouvoir coter un dépistage trouble cognitif avec une consultation (car le patient vient faire le dépistage en même temps que son renouvellement, idem pour un test Hamilton). Il en est de même pour une vaccination + consultation, l'ablation de bouchons de cérumen + consultation." Résultat : "certains actes non additionnables sont inférieurs au tarif d'une consultation G", s'emporte un médecin. A ce jeu-là, les infirmières libérales sont les championnes : premier acte rémunéré à 100%, 2ème à 50% et le 3ème est gratuit, l'éducation thérapeutique en prime. "Trouvez-vous normal d'être rémunéré 8.58€ pour une prise de sang à domicile? Si on considère que l'on 'peut' faire 4 prises de sang en une heure (ce qui reste déjà une belle performance) et que nous sommes taxés de 50% environ, cela nous amène à 17.16€. Est-il utile d'en dire plus sur notre quotidien et sur la motivation des générations à venir pour faire ce métier?", interpelle une Idel. Les médecins ne sont pas mieux lotis : 10 euros la majoration de déplacement, c'est trop peu "par rapport au temps que ça prend, avec des patients qui ont souvent des pathologies très lourdes".   "C'est la chienlit"   "Chaotiques", "incohérentes", "illisibles"… Face à la NGAP et aux 8500 cotations de la CCAM, 75% des libéraux avouent s'arracher les cheveux. "Je sous-cote très régulièrement parce que quand on réalise des actes difficiles/et ou inhabituels on se met déjà en retard, et s'il faut en plus chercher 5 minutes sur internet pour coter correctement, c'est la chienlit. Ce qui accentue l'impression de bosser pour rien", témoigne un médecin. Pour s'y retrouver, "il faut des prestataires spécialisés sinon en toute bonne foi nous sommes mis en accusation", dénonce un confrère. D'autres déplorent le manque d'actualisation des nomenclatures, "notamment pour les techniques thérapeutiques et diagnostiques récentes : pas de cotation existante pour les PRP [injection de plasma riche en plaquettes, NDLR], pour les actes de tomosynthèse, etc." En moyenne, 40 actes sont révisés chaque année : il faudrait 200 ans pour en faire le tour, souligne la mission Aubert, qui plaide pour un bon toilettage. Certains répondants soulignent, enfin, les difficultés posées par le paiement à l'acte dans la relation médecin-patient. "Le fait d'être payé directement en contrepartie d'une prestation médicale peut parfois fausser un peu la relation médecin-patient où il est parfois difficile de tout dire au patient ou de lui refuser certaines demandes", relève un praticien. "Ras-le bol de la compta et des paiements à réclamer à chaque consultation", lance un autre. A l'opposé, un médecin souligne que la prise en charge en tiers payant pour les patients ALD, AME, ACS et CMU entraîne "une certaine surconsommation médicale". "La responsabilisation des patients n’est pas la même si l’acte est gratuit", relève un confrère. Malgré tout, le paiement à l'acte reste plébiscité par la majorité des répondants. "C'est le principe même de la médecine libérale", conclut l'un d'entre eux.

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Stéphanie Beaujouan

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