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"Vous ne pouvez pas comprendre, vous n’avez pas d’enfant" : pédiatre, elle raconte son parcours de PMA

A 35 ans, la Dre Flore Chagnon est pédiatre, spécialisée en pneumo-pédiatrie et allergologie, à Pérenchies, dans le Nord. Si elle adore son métier, travailler avec des enfants peut être difficile à gérer pour cette médecin qui tente d'avoir un bébé depuis près de huit ans. En plus des remarques désobligeantes de certains parents, elle doit faire face à un parcours de procréation médicalement assistée (PMA) particulièrement éprouvant. Aujourd'hui, son projet d'enfant en suspens, la médecin veut partager son expérience pour libérer la parole sur ce sujet, souvent tabou. 

16/12/2024 Par Justine Maurel
Témoignage Pédiatrie
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"Notre parcours de PMA, on a commencé à y penser quand j'étais assistante. Je travaillais dans un hôpital mère-enfant, donc je pouvais faire toutes les échographies sur place. Pourtant, quand j'ai annoncé à mon chef de service que j'allais devoir faire un premier cycle d'insémination, il a un peu tiré la tête. Sa première réaction a été de dire ‘c’est pas très pratique ça !’. Après, dans un deuxième temps, il a dit ‘je suis désolé que ça te tombe dessus, j’imagine que c’est douloureux’, mais je l’ai très mal pris. C’est un sujet très douloureux, ça allait avoir un impact sur ma vie perso, sur ma santé, et en plus, on me faisait comprendre que ça allait impacter le service et que ce n’était pas pratique...

Finalement on n’a pas débuté la PMA pendant que j'étais hospitalière parce que j'ai fait un gros burn-out à ce moment-là. J'ai fait un état de stress post traumatique de l'hôpital, après des gardes pendant lesquelles j’ai dû faire face à des situations très anxiogènes. J’ai donc été déclarée inapte à l'exercice hospitalier par la médecine du travail et j’ai été en arrêt pendant plus d’un an. En plus, mon mari - qui est généraliste - s'est installé à ce moment-là, on se mariait et on allait dans les îles en plein Zika, bref, ce n’était vraiment pas le bon moment.

"Les libéraux sont bien plus bienveillants que les hospitaliers sur ces sujets-là"

On a donc commencé notre parcours de PMA lorsque j’étais remplaçante en libéral, en pédiatrie générale. Ce qui était pénible, c’était de devoir tout le temps valser entre le boulot et la PMA, ça demandait toute une organisation. J’avais des échographies à faire toutes les 48h, ou peut-être 72h, je ne savais pas quand ça allait tomber. J’avais décidé de garder les habitudes des médecins que je remplaçais et leurs horaires, c’était donc embêtant de devoir annuler des consultations à la dernière minute. Et en libéral, quand on ne travaille pas, on n’est pas payé. Ça entraîné pas mal de pertes de revenus.

Je n’ai pas eu de frictions avec les médecins que je remplaçais parce que j’avais été honnête avec elles sur le fait que j’étais en parcours de PMA, elles ont été adorables. Les libéraux sont bien plus bienveillants que les hospitaliers sur ces sujets-là, ce n’est pas pour rien qu’on part de l’hôpital ! Mais vis-à-vis des patients, ce n’était pas super, vis-à-vis des secrétaires non plus. Du coup, souvent, je décalais les rendez-vous, je sautais ma pause déjeuner pour réussir à caser tout le monde. 

Dre Flore Chagnon / Crédit : Justine Maurel

La PMA, c’est épuisant. En plus, quand on est médecin, on connaît toutes les complications. Moi, je me disais ‘ça peut être horrible, je peux mourir’. Même si j'avais des gynécos très rassurantes, c'était parfois un peu anxiogène. Au début, mon mari, qui avait beaucoup moins mûri que moi sur cette question-là, n’était pas très soutenant, il ne se rendait pas compte de ce que ça impliquait pour moi. Par exemple, un jour, on avait un prélèvement à faire et une insémination, je lui ai dit ‘tu dois être là tel jour’ et il m’a lancé ‘ça ne m’arrange pas’. Je lui ai répondu, ‘ce n’est pas moi qui choisis, dis-le à mes ovaires !’ Les hommes ne le vivent pas dans leur corps, ils l’appréhendent très différemment. Je portais un peu tout, c’était vraiment une période difficile. 

"Voir des enfants et des jeunes parents au quotidien dans mon métier, c’est hyper dur"

Et puis, voir des enfants et des jeunes parents au quotidien dans mon métier, c’est hyper dur. C'est pour ça que je ne me suis pas installée en pédiatrie générale. J’ai fait un an de remplacements et j’ai adoré ça, mais ça me rappelait tout le temps que je n’avais pas d’enfant. C’était trop dur de continuer à voir des petits en bonne santé et des mamans, avec mon désir d’enfant et la PMA. Ecouter une maman se plaindre toute la journée que son bébé ne dort pas, qu’il fait ses dents, qu’il est malade… Certains parents n’étaient pas prêts à l’être et je me disais ‘pourquoi eux y arrivent, et pas moi ?’. 

Un jour, une maman est arrivée dans le cabinet, c’était pour un bilan de 2 ans, et elle a claqué son bébé sur le sol en disant ‘J’en peux plus, comment on peut le donner à l’adoption ?’. Elle est partie du cabinet et m’a laissée avec l’enfant. Il était adorable et il me regardait avec de grands yeux. La mère est ensuite revenue, mais j’en ai chialé après la consultation, c’était terriblement difficile. C’est la seule fois où mon désir d’enfant, le parcours de PMA et la pédiatrie ensemble m’ont fait pleurer, et c’est l’une des dernières consultations de pédiatrie générale que j’ai faite. 

Aujourd’hui, je suis installée en pneumo-pédiatrie et c’est moins difficile parce que je vois moins de petits, il y a moins d’accompagnement à la parentalité. Même si ce sont des choses que j’ai adoré faire. Accompagner des familles, c’est pour ça que j’ai fait de la pédiatrie. 

Je suis quand même quelques enfants en pédiatrie générale, des enfants de confrères et des enfants à problèmes qui ont des cardiopathies congénitales, des troubles du neurodéveloppement ou qui sont grands prématurés. Donc soit je vois les enfants très malades et je me dis que finalement, je ne veux pas d’enfant parce que c’est terrible quand ils sont malades, soit j’ai des enfants de confrères et je vois à quel point c’est galère d’être médecin et parent ! (rires) C’est quand même moins difficile que ça ne l’a été, même si ça reste compliqué. 

D’autant que j’ai régulièrement des petites phrases de la part de certains patients sur le fait de ne pas avoir d’enfant. Les parents, surtout en pédiatrie, projettent beaucoup sur leur médecin, donc ça arrive régulièrement qu’un parent me demande si j’ai des enfants. J’ai deux manières de répondre : soit je botte en touche en disant ‘on n'est pas là pour parler de moi’, soit je réponds que je n’ai pas encore d’enfant pour l’instant. Certains parents comprennent qu’il ne faut pas en parler et sont emphatiques, mais d’autres creusent et me disent ‘pourquoi vous n’avez pas d’enfant ? Vous en voulez ?’. Et là je finis par dire qu’on n’est pas là pour parler de moi. 

"Les parents imaginent que nous tirons notre expérience de pédiatre du fait d'avoir des enfants"

Ça m’est déjà arrivé de me prendre ‘Vous ne pouvez pas comprendre, vous n’avez pas d’enfant’. Des collègues me l’ont dit aussi, notamment une avec laquelle je me prenais la tête parce qu'elle arrivait tout le temps en retard. Et elle m’a sorti cette phrase, je lui en ai toujours voulu. 

Je crois que les parents imaginent que nous tirons notre expérience de pédiatre du fait d'avoir des enfants. Je pense vraiment que quand on est pédiatre et qu'on a des enfants, ça change notre vision de la pédiatrie sur certaines choses, mais ça ne fait pas de nous des experts. Ce qui fait nous des experts de l'enfant, c'est notre formation théorique, pratique, notre formation continue. C'est le fait de voir des dizaines d'enfants tous les jours, d'avoir vu des milliers d'enfants sur notre parcours, d'avoir discuté avec des collègues de cas difficiles. Et ça, les gens ont du mal à le comprendre. C’est la même chose dans la société, par exemple sur les questions de couchage, il y a toujours une Madame Michu pour dire sur les réseaux sociaux ‘moi j’ai eu quatre enfants et quinze petits-enfants, je les ai toujours couchés sur le ventre – mal donc – et je n’ai jamais eu de souci !’. C’est très bien Madame Michu mais ça ne fait pas de vous une experte de la parentalité et de la pédiatrie !

D’ailleurs, quand on choisit de devenir pédiatre, la plupart d’entre nous n’avons pas d’enfant, ce n’est pas ça qui nous donne envie d’être pédiatre. C’est plutôt le fait d’aider des enfants qui n’ont pas choisi d’être ce qu’ils sont, de les aider à grandir en bonne santé et d’essayer de gommer les injustices à la naissance.

Et puis je pense qu'il y a parfois un vrai souci chez les confrères pour se mettre au niveau de leurs patients, les écouter, se positionner et comprendre ce qu'ils peuvent vivre au quotidien. Et ça, c’est commun à toute la médecine. Je l'ai vécu en tant que patiente, j’ai déjà eu le sentiment que le médecin ne comprenait pas ce que je disais, ce que je pensais. Certains parents pensent donc que si on n’a pas d’enfant, on n'imagine vraiment pas ce qu'ils vivent. Alors qu'en pédiatrie, ça ne marche pas du tout comme ça. Justement, on écoute beaucoup nos patients, on se met à leur place et on cherche des solutions ensemble. On n'est pas du tout là pour leur imposer des choses.

"Ces intrusions dans mon corps étaient très dures à vivre"

Ça a été très dur à vivre pour moi le parcours de PMA sur certains aspects. Je ne jette pas du tout la pierre aux gynécos, mais en PMA, on part un peu du principe que les femmes donnent leur accord tacite, donc on ne recherche jamais leur consentement. Il y avait vraiment des fois où ces intrusions dans mon corps en permanence étaient très dures à vivre. Donc on a eu de longues périodes de pause. En 2022, je ne suis pas sûre qu’on ait beaucoup fait de cycles. On a repris au 2e trimestre de 2023 et j'ai fait mon asthme aigu grave au mois d’août, j’ai fini en réa’. Derrière, un asthme sévère est apparu, on a mis beaucoup de temps à le stabiliser, d’ailleurs il n’est pas encore parfaitement stabilisé. L’asthme non contrôlé est une contre-indication absolue à mettre en place un projet de grossesse, donc ce n’est clairement pas le moment de me lancer là-dedans. C’est au cours d’un cycle de FIV que c’est parti en sucette, donc c’est probablement la PMA qui a tout déstabilisé. Tout s’est donc arrêté depuis 18 mois.  

Plus on avance dans notre parcours de PMA, plus ce désir d'enfant se requestionne. Tous nos copains ont des enfants assez grands maintenant, donc on n’est plus trop entourés de nourrissons, on n’a plus cette impression de pouponnage permanent autour de nous. Ce désir d'enfant a toujours été présent, mais au fur et à mesure, on finit par se demander si ça vaut vraiment le coup. Est-ce que ça en vaut la peine de foutre en l'air notre santé pour avoir des enfants ? Alors qu’il y a quand même des points hyper positifs à ne pas avoir d ‘enfant ! On part quand on veut en week-end, on n'a pas de questions à se poser. Par notre métier et nos copains, on voit très bien les contraintes que c'est d'avoir des enfants. Nous, on adore voyager, on adore glander à la maison, donc c’est vrai que plus on avance, plus on se demande si on a vraiment envie de faire ça. 

On a déjà réfléchi à une autre manière d’avoir des enfants, mais on a éliminé toutes les options. Je suis désolée pour tous les gens qui ont adopté, mais moi, je n’ai jamais vu d’adoption qui se passe bien. C’est peut-être un gros biais de sélection, par mon métier et par la spécialité de ma maman [pédo-psychiatre, NDLR], mais pour moi, les adoptions c'est vraiment quelque chose de très dur pour l’enfant et pour les parents. Je ne me verrais pas me lancer là-dedans après un parcours de PMA. Quant aux alternatives comme la GPA ou le don d’ovocytes, on les a aussi écartées avec mon mari. On ne veut pas un enfant pour avoir un enfant, soit on en a un à nous deux, soit on en n’aura pas."

Aujourd’hui, je suis en mi-temps thérapeutique, je ne travaille plus que trois demi-journées par semaine, après avoir eu 2 mois d’arrêt l’année dernière, et 4 mois cette année. À court terme, j'aimerais réaugmenter un peu mon temps de travail et peut-être reprendre la PMA, mais je ne me mets pas la pression parce que je pense que c’est totalement contre-productif." 

 

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il y a 4 jours
Le monde médical, qui devrait à priori soutenir (à fortiori une consoeur)... est parfois impitoyable... Voici un exemple qui complète bien ce qui précède : Mon ex épouse dentiste a eu une fausse couch
Photo de profil de Georges Fichet
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Débatteur Passionné
Médecins (CNOM)
il y a 4 jours
Chère petite consoeur, (je dis ça du haut de mes 74 ans), votre récit m'a beaucoup ému, ayant vécu de prés des situations similaires avec mes patientes. Je vous souhaite beaucoup de courage pour affro
Photo de profil de Philippe Campardon
127 points
Anesthésie-réanimation
il y a 4 jours
Bonjour, La bienveillance,la confraternité entre medecins c’est du passé. Cela n’existe plus Adieu le serment d’Hippocrate ! Ce n’est pas le sujet,mais les dépassements d’honoraires pratiqués sur un
 
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