Le conventionnement sélectif plutôt que l'obligation à l'installation : l'offre d'un sénateur aux médecins généralistes
Le sénateur LR du Cantal Stéphane Sautarel vient de déposer une proposition de loi instaurant, entre autres, un conventionnement sélectif des médecins généralistes dans les zones sur-dotées. Soutenue par quelque 70 sénateurs appartenant à trois groupes politiques, la proposition est conçue comme une "arme de dissuasion massive", explique Stéphane Sautarel à Egora : les médecins libéraux ont tout intérêt à s'accorder sur une régulation concertée plutôt que de se voir imposer des mesures franchement coercitives, plaide-t-il. Stage d'internat "en autonomie supervisée" dans un désert, mesures visant les médecins proches de la retraite… Décryptage d'un proposition de loi qui pourrait faire l'effet d'une bombe dans la profession. Egora.fr : Vous proposez la mise en place d'un conventionnement sélectif dans les zones médicalement sous-denses. L'idée n'est pas nouvelle et a déjà été rejetée plusieurs fois. Pourquoi pensez-vous que c'est malgré tout une bonne solution ?
Stéphane Sautarel : Si j'ai proposé ce texte, c'est parce qu'il me semble que les mesures incitatives qui ont été mises en place depuis de nombreuses années déjà ne suffisent pas, ou ne suffisent plus, même si elles ont leurs vertus et ont apporté des résultats. Avant d'aller vers des mesures plus contraignantes ou coercitives, d'obligation d'installation dans des zones sous-denses par exemple, je propose effectivement ce conventionnement sélectif qu'avait d'ailleurs proposé la Cour des comptes dans un rapport de 2017. Le but est de privilégier le conventionnement sur des zones en déficit d'offre, et pour cela, de manière à ne pas le faire de façon trop brutale, je propose deux choses : de laisser le temps au dialogue jusque mi-2023 pour que les partenaires de l'Assurance maladie puissent trouver des solutions concertées, et si ce n'était pas le cas, une expérimentation, avant une généralisation, de cette démarche pour trois ans. Je sais effectivement que cela a déjà été proposé sans succès car certains considèrent que c'est déjà trop contraignant.
En 2019, quand le débat a eu lieu à l'Assemblée nationale, Agnès Buzyn avait interpellé les députés sur cette question : "Quel élu sur ces bancs peut aujourd'hui s'imaginer que sa circonscription est une zone à forte densité médicale, bénéficiant d’un fort excédent de médecins ? Sincèrement, si vous pensez repeupler la France avec des médecins de Saint-Tropez, vous allez à l’échec !" Y a-t-il encore des territoires sur-dotés en médecins ? Oui, c'est une évidence. En 2018, environ 4 millions de Français vivaient dans des zones sous-denses en médecins généralistes, au regard du nombre de professionnels par habitant et de l'éloignement. Mon propos n'est pas d'imaginer de pouvoir déplacer le médecin de Saint-Tropez dans le Cantal ou dans la Lozère mais au moins pour les nouveaux diplômés de permettre ce conventionnement sélectif pour répondre à cette demande de soins. Je crois qu'il est de la responsabilité du politique de permettre l'accès aux soins de l'ensemble de nos concitoyens de manière équitable, sinon égalitaire. Surtout dans cette période post Covid où l'on voit un regain d'attractivité pour un certain nombre de territoires ruraux. Les deux facteurs les plus essentiels sont l'offre éducative et l'offre de santé. Donc on ne peut pas rester sur ce déficit et ce déséquilibre d'offre de santé. Et encore, ma proposition de loi ne traite que des médecins généralistes. Il y a aussi un vrai sujet sur les médecins spécialistes, qui concerne également le secteur hospitalier. Pour les généralistes, je conçois...
cette proposition comme une arme de dissuasion. Si elle était adoptée, elle permettrait une avancée concertée – j'en suis convaincu. Face à une éventuelle menace, un éventuel risque, sans doute que les professionnels avanceraient sur des solutions plus favorables. Ce principe d'une arrivée pour un départ en zone sur-dotée sera-t-il opérant avec ces départs à la retraite massifs de médecins libéraux qui s'annoncent dans les prochaines années partout en France ? Je ne propose pas forcément "une arrivée pour un départ", il faut voir au cas par cas. L'organisation de l'offre n'est plus la même aujourd'hui qu'il y a 10, 20 ou 30 ans, avec des médecins qui exerçaient seuls dans chaque commune. Aujourd'hui, on est plus sur des cabinets concentrés, mutualisés à l'échelle d'une intercommunalité. Ce serait aussi une mesure transitoire. Les évolutions du numerus clausus -qui sont pour moi insuffisantes- peuvent à terme permettre d'avoir davantage de diplômés et donc de répondre plus facilement aux difficultés démographiques d'une profession sur laquelle on n'a très peu anticipé. Et il est vrai que ces difficultés dépassent les seuls territoires en déficit…
Pour s'opposer au conventionnement sélectif, Agnès Buzyn avait fait valoir qu'à l'étranger cela avait conduit les médecins à s'installer dans les zones limitrophes des zones sur-dotées et non dans les territoires les plus déficitaires… Ce que je reprocherais à Agnès Buzyn, qui n'est plus aux affaires mais que vous citez car elle s'est exprimée sur le sujet, c'est sa position de ministre hors sol, francilienne pour ne pas dire parisienne, coupée des réalités et qui ne faisait pas preuve de volontarisme politique mais se résignait à accompagner des mesures. Moi je pense que le rôle du politique c'est de prendre des décisions plus volontaristes dans ce domaine-là comme dans d'autres, faute de quoi il ne faudra s'étonner si nos concitoyens transforment parfois leur colère en violence. Ou en tout cas en absence de reconnaissance. Notre pays traite de façon différente, pour ne pas dire dégradante...
des territoires ruraux par rapport à la métropolisation galopante. Je ne partage absolument pas les propos de Madame Buzyn. Le résultat n'est pas certain, mais en tout cas on a une obligation d'essayer de trouver des nouvelles solutions. On ne peut pas laisser nos concitoyens, qui sont des contribuables comme les autres, dans la situation dans laquelle ils sont. Les représentants des médecins eux-mêmes alertent sur le risque de découragement de l'exercice libéral que ferait peser une limitation de la liberté d'installation. Les jeunes auraient tendance à se diriger vers des postes salariés, y compris sur la Côte d'Azur... Le salariat peut répondre à un certain nombre de besoins mais ne résout pas les difficultés d'attractivité de certains territoires, même si ça peut être une solution. Est-ce que cela détournera tous les professionnels de l'exercice libéral ? Certes, les conditions de travail ne sont pas tout à fait les mêmes, mais les conditions de rémunération non plus. Je crois encore au libéral et aux vertus de l'exercice libéral de la profession. Vous savez, il y a déjà des écarts d'attractivité entre des postes salariés, par exemple entre poste de médecin de PMI à Lyon et un poste à Guéret…
Autre mesure de votre proposition de loi : la mise en place d'une année de stage territorial dans le cadre d'une quatrième année d'internat, "en autonomie supervisée", dans des territoires déficitaires. Une proposition qui avait été également rejetée avec force par les carabins en 2019. Ne risque-t-on pas d'avoir une médecine à deux vitesses avec des territoires où exercent des médecins diplômés et des déserts avec des médecins encore en formation ? La médecine à deux vitesses, on l'a déjà puisqu'aujourd'hui il y a des endroits où il y a des médecins et d'autres où il n'y a pas de médecins. Ce ne serait pas un stage avant la thèse. L'interne, au bout de trois ans, serait déjà un professionnel. Il ne substituerait pas aux autres stages de 1ère, 2e et 3e année avec un tuteur. Ça permettrait vraiment d'avoir un exercice plein et entier par ce jeune professionnel, qui aurait un encadrement ou un suivi qui relèverait plus du conseil de l'Ordre. Il n'y aurait pas nécessairement besoin d'un médecin en place. L'intérêt est justement de pouvoir intervenir dans des territoires qui aujourd'hui n'ont plus de médecin en place.
Je comprends parfaitement certaines réticences des étudiants et jeunes médecins. C'est la raison pour laquelle dans un autre article je propose une revalorisation substantielle des indemnités des internes. Une des raisons majeures pour lesquelles les jeunes diplômés ne s'installent pas ou ne prennent pas de poste de salariat en milieu rural c'est qu'après avoir eu un internat difficile en termes de conditions de travail, ils cherchent une respiration, un nouveau rythme -ce qu'on comprend parfaitement- et une activité plus rémunératrice, avec des vacations ou des remplacements parce qu'ils ont vécu tout leur internat en étant payés au lance-pierre. L'équilibre de cette proposition de loi...
c'est justement de mieux reconnaître financièrement les internes de manière à avoir ce niveau d'exigence sur cette 4e année. Un autre article prévoit que dans le cadre des négociations conventionnelles, il soit examiné des mesures incitatives, voire obligatoires, de préparation au départ en retraite des médecins en zones sous-dense. C'est-à-dire? Il y a déjà un certain nombre de mesures qui existent, comme le contrat de transition, que je ne remets pas en cause et qui ont tout leur intérêt. Pour autant, il y a certains médecins pour diverses raisons -et je ne les juge pas- ne font pas cet effort d'accueillir des étudiants en stage. Je renvoie au dialogue et à la concertation pour essayer de trouver des mesures incitatives pour ces médecins, pour faciliter cet accueil : peut-être une surcotation pour leur retraite, ou des mesures d'allègement de charges au moment de leur départ en retraite. Dans un deuxième temps -mais ça n'est pas dans la PPL- si ces avancées ne voyaient pas le jour, on pourrait imaginer à l'inverse une mesure de bonus-malus : le médecin qui accueille les étudiants à l'approche de son départ en retraite aurait un bonus et celui qui ne fait pas cet effort-là, pourrait avoir un malus. Si on n'arrive pas à avancer sur l'incitation positive, il faudra peut-être imaginer une incitation négative. Je parle d'accueil d'étudiants en stage sans préjuger qu'ils puissent être successeurs. Mais on sait que quand ces accueils se passent bien et s'inscrivent dans la durée, il peut y avoir des succès de reprise d'installation. Il n'y aurait pas d'engagement de part et d'autre mais ça peut permettre de faciliter les choses, de découvrir la patientèle et le territoire. On rajoute en tout cas des chances de succès à une installation possible. Enfin, vous proposez d'étendre le dispositif de l'ateliers-relais au domaine de la santé. De quoi s'agit-il et quel serait le but? Aujourd'hui les collectivités investissent dans des maisons de santé pour offrir aux professionnels un lieu de pratique adapté à leurs besoins mais elles restent des propriétés publiques avec un loyer qui est payé par les professionnels. Je propose que ce loyer puisse être un crédit-relais : cela permet qu'au bout de 8, 10 ou 12 ans selon les conditions, le professionnel devienne propriétaire du bâtiment s'il le souhaite. Ce serait un investissement patrimonial supplémentaire sur lequel capitaliser.
Savez-vous quand votre proposition de loi pourrait être examinée? Elle vient d'être déposée donc je n'ai pas encore de calendrier. Elle a été cosignée par presque 70 sénateurs de trois groupes politiques différents. Elle va être partagée avec d'autres collègues d'autres groupes. Je dois rencontrer le cabinet du ministre de la Santé début septembre pour évoquer cette proposition. J'espère une inscription à l'agenda parlementaire à l'automne.
La sélection de la rédaction
Etes-vous favorable à l'instauration d'un service sanitaire obligatoire pour tous les jeunes médecins?
M A G
Non
Mais quelle mentalité de geôlier, que de vouloir imposer toujours plus de contraintes ! Au nom d'une "dette", largement payée, co... Lire plus