Commencé le 13 mars, et interrompu au 2e jour d'audience par le confinement, ce procès devant les assises de Charente-Maritime se tiendra à huis clos, a ordonné la présidente à la demande de plusieurs parties civiles. C'est une mesure "de droit", a-t-elle dit. Le verdict est attendu jeudi, jour du 70e anniversaire de l'accusé. Masqué, crâne dégarni entouré de cheveux blancs, pull gris sur une chemise, lunettes fines, celui-ci a décliné son identité d'une petite voix : "Le Scouarnec Joël. Domicile: maison d'arrêt de Saintes. Profession : retraité". Tandis que la cour procédait au tirage au sort des jurés, il a promené son regard sur une salle organisée pour répondre aux impératifs de la crise sanitaire, avec notamment une présence médiatique allégée. Le jury est composé de 6 jurés titulaires (4 femmes et deux hommes), plus deux hommes suppléants. "Ce premier volet est important, c'est celui qui déclenche tout et qui permet de révéler des faits intrafamiliaux et professionnels, et cela grâce à la parole de cette petite fille", a expliqué avant l'audience Me Francesca Satta, avocate de la famille de la petite voisine de l'ex-chirurgien, dont la dénonciation a permis le début de l'enquête. "Ce qu'on attend c'est qu'il puisse enfin parler et nous dire la vérité", a-t-elle ajouté.
C'est le récit en avril 2017 de Lucie*, cette voisine de 6 ans à Jonzac qui a déclenché l'affaire. Trois ans plus tard, il comparaît détenu pour des faits de viols sur cette fillette et sur une nièce dans les années 90 à Loches, ainsi que pour des agressions sexuelles à la même période dans cette commune d'Indre-et-Loire: une autre nièce et une patiente, 4 ans en 1993 et qui dit ne se souvenir de rien. Le chirurgien à la retraite reconnaît des attouchements mais conteste les viols pour lesquels il encourt 20 ans de réclusion criminelle. "Il n'est pas dans une logique de déni", assurait en mars l'avocat de l'accusé, Thibaut Kurzawa. "Il sait que depuis des années, il a eu un comportement qui a fait du mal". Car ce procès n'est qu'une première étape dans une affaire de pédocriminalité sans précédent en France. Mis en examen en octobre dans un deuxième volet à Lorient, Joël Le Scouarnec est également soupçonné de viols et agressions sexuelles sur 312 victimes majeures et mineures. Des faits remontant à la période 1986-2014, révélés grâce à l'analyse minutieuse de ses archives secrètes. Le nom de la jeune patiente de Loches en était sorti rapidement. "Sujet manipulateur" Dans sa maison de Jonzac, où l'homme vivait en ermite avec des poupées, les gendarmes ont saisi plus de 300.000 images pédophiles dont des photos des deux nièces. Mais c'est la découverte de milliers de pages de listings et de journaux intimes tapés sur son ordinateur qui a projeté l'affaire dans des dimensions hors normes. Jour après jour, le chirurgien digestif a consigné les noms de ses victimes potentielles associés à une litanie de récits d'agressions pendant ses 30 ans de carrière dans des hôpitaux du Centre et l'Ouest. Ce volet "hospitalier" ne sera pas évoqué au procès de Saintes, qui va surtout s'attacher aux origines de l'itinéraire de l'accusé, dans le huis clos familial. "On va découvrir non pas le chirurgien mais quel homme il était dans sa vie privée", estiment Nathalie Bucquet et Marie Grimaud, avocates de l'association partie civile Innocence en danger. Les experts ont décrit "un sujet manipulateur fasciné par la pédophilie", sans "aucune empathie". Après-coup que pensait-il de ses actes? "C'est une attitude que j'ai fini par estimer comme "normale"", affirmait-il en 2017 devant le juge. Jusqu'alors il n'avait jamais été inquiété, malgré des alertes à l'hôpital après sa condamnation en 2005 à 4 mois de prison avec sursis pour consultations d'images pédopornographiques. Dès les années 90, sa femme qui "savait" selon lui, et sa soeur, qui avait reçu les confidences de ses filles sur le "tonton Joël", l'avaient bien questionné sur ses penchants mais le secret n'est jamais sorti du clan. Leur témoignage est très attendu. *Prénom d'emprunt
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