"Je n’ai pas compris que l’époque avait changé" : après la vague #MeToo, récit du procès d'un médecin accusé par ses collègues
Le tribunal de Bobigny a entendu lundi un ancien gynécologue-obstétricien, poursuivi pour ce qu’il considère comme des "blagues" et des "gestes d’affection" sur des collègues - praticienne, interne ou sage-femme. La décision de cette audience symbolique du mouvement #MeToo hôpital sera rendue le 25 novembre.
C’est une audience symbolique du mouvement #MeToo hôpital qui s’est tenue lundi 21 octobre devant le tribunal correctionnel de Bobigny (Seine-Saint-Denis). Le gynécologue-obstétricien Dr B., 66 ans, y était jugé pour "agressions sexuelles et harcèlement sexuel par personne abusant de l’autorité que lui confère sa fonction" contre sept femmes, la plupart étant alors internes ou sages-femmes. Une seule des plaignantes était à la même hauteur que lui dans la hiérarchie : J., connue sur les réseaux sociaux comme "Juju la Gygy", coresponsable avec lui jusqu’en 2017 du service des grossesses à haut risque du centre hospitalier André-Grégoire de Montreuil (Seine-Saint-Denis).
Pendant toute l’après-midi d’audience, qu'Egora a suivie, il n’a presque jamais nié les faits qui lui étaient reprochés, mais n’a jamais semblé comprendre pourquoi ils l’avaient mené à la barre du tribunal. Pour lui, la coupable serait plutôt "l’époque qui a changé", "un truc que je n’ai pas compris". L’ex-praticien hospitalier (PH) n’a eu de cesse de minimiser les faits, sans saisir pourquoi ils avaient pu entraîner les "troubles anxio-dépressifs, troubles du sommeil et le stress post-traumatique" décrits par les plaignantes, ni pourquoi sa supériorité hiérarchique sur la quasi-totalité d’entre elles et leurs situations professionnelles précaires les avaient contraintes au silence.
C’est dans cette "ambiance de salle de garde" que le Dr B. a, entre autres, agrippé les seins d’une collègue se plaignant d’avoir mal à la poitrine, proposé à une autre de le rejoindre quand il allait prendre sa douche, s’est collé derrière des internes pendant des interventions, assurant que c’était la seule façon pour lui de contrôler les gestes qu’elles étaient en train d’accomplir, ou encore embrassé plusieurs d’entre elles dans le cou "pour leur souhaiter la bonne année". A une autre, il a proposé de s’asseoir sur ses genoux pendant une réunion, l’a sifflée quand elle arborait une nouvelle coiffure. A une autre encore, il a mis une main aux fesses "pour lui dire au revoir à la fin de son stage".
"Je suis resté vieille école"
"Toucher les gens, c’est pas du sexe, a assuré le prévenu. Est-ce que je pensais que c’était des agressions ? Non, c’était des attentions, des manières de plaisanter. Je conçois que des gens aient été blessés par ce que j’ai fait, mais c’était dans la légèreté de l’internat. L’ambiance a beaucoup changé et je suis resté vieille école [...] J’ai raté le coche." Suspendu par sa hiérarchie dès le premier signalement des faits par J., en juin 2017, celui qui dit "communiquer pas mal en touchant" n’a jamais réintégré ses fonctions, bien qu’un juge d’instruction ait depuis annulé sa suspension, l'homme étant désormais retraité.
J., qui dénonce des mains sur la poitrine et une caresse sur la tête et le cou, assure que, bien que la première agression ait eu lieu devant témoins, "personne n’a rien dit". "J’ai fait en sorte de ne plus jamais être seule avec lui, se remémore-t-elle. J’ai pris mes distances, même s’il ne s’en est pas rendu compte. Je ne voulais pas faire de vagues." C’est après le deuxième incident - cette caresse "comme si j’étais son clebs", que le Dr B. ne voit que comme un "geste affectueux envers une collègue [qu’il aimait] bien" - qu’elle a alerté la hiérarchie, celle-ci suspendant immédiatement le médecin et déclenchant une enquête interne, qui a permis de recueillir les autres témoignages.
Notamment celui de G., une sage-femme qui a écrit une lettre expliquant qu’elle ne se sentait pas capable de venir témoigner au tribunal, se disant "toujours pas remise de cette période" remontant à plus de sept ans et en "faire des cauchemars". "Je l’estimais, je la trouvais un peu nunuche", a déclaré à la barre le Dr B., jugeant ce dernier terme "pas insultant" envers celle qui l’accuse de l’avoir embrassée dans le cou, attrapé et caressé la cuisse, "fermement" agrippé la taille pendant une césarienne, ou encore de lui avoir dit qu’il "aimerait bien [qu’elle lui] mette une fessée”. “Ça fait sept ans et demi dans cette procédure, alors qu’une parole humaine aurait été tellement simple. C’est désespérant”, a-t-il tranché, ne concevant pas que sa relation hiérarchique avec la plaignante ait pu la dissuader de parler.
"On en parlait entre internes, c’est quelque chose qui reste entre nous"
"On en parlait entre internes, c’est quelque chose qui reste entre nous, a précisé C., la seule autre victime venue témoigner à Bobigny et à s’être constituée partie civile. Il y a rarement des personnes dans la hiérarchie avec qui on se sent légitime pour parler de ce qui se passe avec des supérieurs." Interrogée pour savoir si elle considérait le gynécologue-obstétricien comme un "prédateur", elle a répondu par la négative. "C’était quelqu’un qui me mettait mal à l’aise, a-t-elle simplement observé. Je préférais prendre mes distances."
Le rapport psychiatrique au sujet du Dr B. fait état "d’élans opportunistes et immatures", tandis que le prévenu dit ne "plus avoir besoin" de consulter un psychiatre. "J’ai compris que des choses ne se font plus”, a-t-il martelé. Pourtant, quelques instants plus tard, quand l’avocate des parties civiles, Marjolaine Vignola, le questionnait sur l’adresse de sa résidence secondaire dans les Alpes, il lui lançait "pour quoi faire ? Vous voulez venir me voir ?", suscitant la consternation de la douzaine de personnes venues s’installer sur les bancs de la salle d’audience pour soutenir les victimes.
"Il n’y a aucune prise de conscience, aucune remise en question", a tranché la procureure, Aimilia Frangopoulos, requérant une condamnation pour l’ensemble des faits reprochés à deux ans de prison avec sursis probatoire, une injonction de soins, 3 000 euros d’amende, ainsi qu’à une interdiction d’activité médicale pendant deux ans, une interdiction de contacter les victimes pendant trois ans et une inscription au Fichier des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes (Fijais).
"Double peine" pour les victimes
"C’est une vision victimaire absolument délirante", s’est insurgé l’avocat de la défense, dénonçant pêle-mêle "un monde parallèle", "une société devenue folle", "les conclusions des associations Me Too je-ne-sais-quoi" - à propos de la plaidoirie de la représentante de l’Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT), qui s’est portée partie civile -, "la détestation du mâle" et la "prise en otage des tribunaux", concluant par une demande de relaxe totale pour son client, rappelant qu’il n’avait été condamné qu’à un mois d’interdiction d’exercer avec sursis par l'Ordre des médecins.
J., elle, a dû quitter son poste de praticienne hospitalière à Montreuil. Quelques mois après son témoignage, elle a été placée en arrêt maladie avant de partir en congé maternité. Entre-temps, elle a constaté dans les couloirs de l’hôpital une "guéguerre entre soutiens qui entretenait un climat délétère" malgré l’absence du Dr B., suspendu, empêchant tout retour à la normale dans son travail. En dépit de l’engagement de sa hiérarchie, son poste a été confié à quelqu’un d’autre avant son retour de maternité, la poussant vers la sortie. Alors que déménager n’était pas dans ses plans, elle a finalement retrouvé un poste dans la région de Nantes, en tant que PH contractuelle, un échelon plus bas que celui qu’elle occupait auparavant.
"J’ai ressenti la double peine de plein fouet, a dénoncé J. C’était comme si je redémarrais ma carrière. S’il avait gardé ses mains dans ses poches, je n’en serais pas là aujourd’hui." "Cette perte d’échelon la suivra toute sa carrière, elle ne la rattrapera jamais, a déploré son avocate. D’un point de vue de la violence symbolique, ce retour à la case départ après avoir été agressée est d’une violence inouïe." Elle estime à 61 586 euros les sommes perdues par J. en raison de cet obstacle dans sa carrière et demande 34 910 euros au titre des différents préjudices, des frais de santé et de justice.
La décision a été mise en délibéré et sera rendue le 25 novembre, qui est symboliquement la date de la Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes.
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