"Il faut être un peu fou pour faire ça !", reconnaît Myriam Dergham, amusée, en nous racontant son impressionnant parcours. La jeune femme de 27 ans s’est levée tôt ce mercredi 22 mars pour prendre le train de Saint-Etienne, direction Paris. Dans deux jours, elle tiendra une conférence sur le syndrome méditerranéen au Congrès du Collège de médecine générale (CMG) – un sujet sur lequel elle a corédigé un article paru fin 2020 dans la revue Médecine. Mais avant cela, l’interne de deuxième année de MG, qui est aussi doctorante en sociologie, doit enchaîner les rendez-vous au pas de course pour sa thèse de sciences, qui porte sur le VIH. Le temps est compté, son planning – largement occupé par ses 50 heures hebdomadaires à l’hôpital – est millimétré. "Depuis que je suis petite, je fais 12 000 choses à la fois. J’ai beaucoup d’énergie à canaliser." C’est en deuxième année de médecine que la jeune Stéphanoise, au profil "plutôt littéraire", s’est intéressée aux enjeux sociaux des politiques de santé, profitant de l’ouverture d’une filière de l’IEP de Lyon dans sa ville. Lors de son externat, la native de l’ancienne cité minière – où sa famille est arrivée "des colonies" pour travailler, entame un master de recherche avec Sciences Po. A ce moment-là, l’étudiante qui gravite dans un milieu LGBT prend conscience qu’elle veut travailler avec des populations "délaissées du système de soin". Faire seulement de la médecine ? "Je ne pense pas que ça m’aurait suffi", estime aujourd’hui la future généraliste, pour qui les sciences sociales sont indispensables à la pratique médicale. "On soigne un humain." Elle rencontre le Pr Rodolphe Charles, à l’initiative de ce master. Ce dernier a pour projet de monter un diplôme universitaire sur l’accès à la santé et la lutte contre les discriminations*, dédié à l'accueil et à la prise en charge des personnes trans. Investie à 200%, Myriam Dergham participe au comité de pilotage de ce DU. En parallèle, elle accumule les formations (DU de santé sexuelle, diplôme en transidentité, DU d’addictologie, de gynécologie). "Je trouvais que certains MG étaient à côté de la plaque sur certains sujets, confie la jeune femme. Un ami trans, par exemple, s’est rendu chez son médecin pour une gastro. On lui a dit qu’on ne savait pas [ce qu’il avait]. Alors que c’est une gastro, il faut donner du Smecta !"
Loin de vouloir "stigmatiser" ou pointer du doigt les médecins, l’interne soulève des lacunes dans l’enseignement des futurs praticiens. "Certains cancers lymphoïdes qu’on nous apprend sont finalement bien plus minoritaires que la population transgenre." Myriam Dergham décide de prendre le problème à bras le corps, comme investie d’une mission au service des "invisibilisés". "Il fallait que quelqu’un s’en occupe." Elle donne désormais des cours dans le DU d’accès aux soins, mais aussi en première année de médecine à Saint-Etienne, et même à Paris, dans le cadre du DU de santé sexuelle. "Bourrée de convictions", elle veut faire changer les choses. "Je pense aussi que j’ai fait tout cela en me disant que lorsque j’aurai fini mes études, je pourrai lancer ma maison de santé avec la patientèle que je veux, parce qu’elle sentira qu’il y a des compétences derrière", explique la jeune femme, l’air déterminé. Si elle n’est pas encore diplômée, la future généraliste trace déjà d’un trait affirmé son avenir. Elle s’est entourée de kinés et de psychologues en vue de bâtir une structure "orientée santé communautaire". "Une safe place", précise-t-elle, où l’on pourra parler des violences faites aux femmes, d’addiction, d’avortement, d’homosexualité, de transidentité, etc. Tenace, Myriam Dergham entend mener ce projet tout en gardant un pied à l’université et en continuant l’enseignement et la recherche. "Certains le font : 3 jours au cabinet, un jour à la faculté, un jour de recherche…" Sacrifices Impossible ne semble pas faire partie de son vocabulaire. Mais force est de constater que cela devient compliqué de tout mener de front. "Plus j’avance et plus les gens attendent que je fasse des choses", explique cette bourreau de travail, qui "culpabilise" lorsqu’elle doit décliner une invitation pour présenter ses travaux parce qu’elle est "sous l’eau". L’an prochain, l’interne a décidé de faire une année de pause pour se consacrer à sa thèse sur le VIH. Avec, en tête, l’idée de faire par la suite une thèse de sociologie sur les discriminations que subissent les malades du Sida. Enfant, elle avait voulu devenir médecin pour faire de la recherche sur le virus, sa mère étant "fan de Freddy Mercury", se rappelle-t-elle, souriant. Un rêve "un peu étrange" qu’elle touche désormais du doigt. A l’aube de ses 28 ans, la jeune femme au regard noir et aux boucles ébènes tombant sur les épaules admet tout de même qu’elle a "sacrifié beaucoup de choses" pour en arriver là, et porter la voix de ceux qu’on n’écoute pas dans les congrès, les conférences, les salles de cours, tout en essayant de devenir une meilleure médecin chaque jour. A commencer par sa vie personnelle. "Je ne voyais pas forcément ma vie comme ça à mon âge", reconnaît la Stéphanoise qui habite sur la colline en face de chez ses parents, près de l’hôpital Nord. Lorsqu’elle ne porte pas la blouse, elle est plongée dans ses articles de socio… et inversement. "Je n’ai trouvé personne qui supporte quelqu’un qui travaille autant", confie-t-elle. Mais à ce jour, elle n’éprouve aucun regret : "ça a toujours été mon choix. J’en suis heureuse" Plainte Elle y a toutefois laissé quelques plumes. En particulier lorsqu’elle s’est embarquée dans la recherche des risques psychosociaux des externes, en 2017. Un travail titanesque qui l’a poussée à faire sa cinquième année de médecine en deux ans. Et surtout éprouvant… La jeune femme s’est rendue pour ses travaux dans... 13 facultés de France pour interroger les carabins. Avec, pour objectif premier, de faire écho des maltraitances hospitalières, du rapport à la hiérarchie, du rôle des externes. Ce qu’elle a entendu fut bien au-delà de ce qu’elle imaginait. "Je m’attendais à trouver un ou deux viols, et finalement, il y avait des gens pour en parler dans toutes les facultés. Ce qui m’a le plus déçue, c’est que je pensais que l’esprit carabin nous protégeait." Ressortiront aussi de ces entretiens, d’importantes discriminations envers les patients. "Notamment envers les personnes trans. Certains lâchaient des immondices sans problème", se remémore la jeune femme. "On fait tous des blagues sur les patients. Mais c’est autre chose de dire à un trans non binaire ‘Mais vous avez des testicules’ et après refuser de le soigner. Tout comme c’est autre chose de blaguer sur un patient arabe et parler de syndrome méditerranéen", juge l’interne, elle-même victime de harcèlement du fait de ses origines au collège et lycée. "On me disait ‘T’es la bonne Arabe’." En médecine, "cet humour n’a rien de subversif, de novateur. Il entérine des clichés, bien installés, de populations déjà stigmatisées", dénonce la future généraliste. Elle complète : "Je n’ai rien contre l’humour, les blagues sexuelles, mais il faut qu’il y ait un enseignement dessus, qu’on comprenne pourquoi on en rit". La jeune femme intervient d’ailleurs aussi dans des écoles d’ingénieurs ou d’architecture pour donner des cours sur la place de l’humour. De ce tour de France, la chercheuse en fera plusieurs articles, notamment un sur les déviances de cet esprit carabin (intitulé De l’esprit carabin aux discriminations en santé), qui lui attirera les foudres de nombre de ses camarades. Symbole de la puissance de l’esprit et du corps en médecine. "J’ai reçu des messages d’insultes anonymes sur Twitter, d’autres provenant de personnes de ma faculté avec leur adresse électronique universitaire... Des gens sont allés jusqu’à m’insulter dans les couloirs de la faculté", raconte Myriam, la voix encore tremblante. Elle a porté plainte contre des camarades, une fois. "Ça n’a jamais abouti. Je pense qu’ils ne le savent même pas. Mais je me console en me disant qu’il y aura l’antériorité de la plainte s’ils recommencent un jour à harceler des personnes." Soupape Myriam Dergham a "fini en dépression" cette année-là. "J’ai dû prendre des cachets, j’en parle assez ouvertement", explique-t-elle, soulignant l’importante du "droit à la santé mentale en médecine". "On a besoin d’une soupape [de décompression], mais les déviances de l’esprit carabin n’en sont pas une bonne. Ma soupape à moi, c’est la socio." Plus de cinq ans après, l’interne se montre reconnaissante envers ses parents et la faculté, qui "m’ont beaucoup soutenue dans cette épreuve". Cet acharnement contre elle lui a permis "de prendre du recul". "J’ai abandonné le sujet des risques psychosociaux des étudiants, et je m’en veux car j’ai toujours ces histoires de viols, de problèmes à l’hôpital, en tête que je n’ai pas traités. Peut-être que je le ferai un jour…" Pour préserver sa santé mentale, la Stéphanoise s’est concentrée sur les discriminations subies par les malades. "Même là aussi, ce n’est pas facile…" "Traiter des discriminations en santé, ça veut dire qu’on sous-entend que les gens sont discriminants, et ils n’ont pas envie de se dire ça", concède-t-elle. "Ce n’est pas juste qu’il y ait des personnes qu’on soigne moins bien, qu’on ne veuille pas soigner", abonde l’interne, pour qui "c’est impossible de laisser passer l’injustice". "C’est un très gros défaut", ajoute-t-elle. "On est quand même des animaux, on est censés avoir un instinct de survie. Moi, je ne l’ai pas du tout." "Tête de mule", elle fonce dans le tas pour défendre ses convictions. "Je suis profondément convaincue par la justice, ma justice", confie la jeune femme, "qui n’est pas la justice pénale". Son pseudo sur les réseaux sociaux – Antigone – n’est ainsi pas anodin. Une attitude de guerrière que l’on pourrait assimiler à une forme de militantisme. Une posture que Myriam nie toutefois adopter. "En socio, quand on travaille sur les inégalités, on ne peut pas juste les constater, on n’a pas envie qu’elles se produisent. On est devant le fait accompli et on ne peut pas laisser passer. C’est différent du milieu militant – tout à fait légitime – dans lequel des gens se battent contre ces inégalités. On a besoin d’eux, mais on a aussi besoin d’une forme d’universitarisation, de travailler ces sujets d’une autre façon, de réfléchir à comment les faire déconstruire aux étudiants pour éviter que cela ne se reproduise." Une tâche qui demeure ardue. "J’avais un confrère qui n’arrêtait pas de me soutenir pour une patiente maghrébine qu’il s’agissait d’un syndrome méditerranéen. A la fin de la garde, je l’ai fait changer d’avis. Il m’a dit : ‘ce n’était peut-être pas un syndrome méditerranéen, elle était peut-être juste hystérique’…", raconte-t-elle, marquant un silence signifiant son exaspération. "C’est pour ça que je dis que je ne suis pas militante. Quelqu’un de militant aurait insisté. Je ne suis pas payée pour ça. Avec un confrère qui pense savoir, je ne bats pas. Je ne peux pas faire ça tout le temps, sinon ma santé mentale en pâtirait." *Le DU Accès au soin et lutte contre les discriminations du Pr Charles a été créé il y a 3 ans.
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