Egora.fr : Le Haut Conseil des nomenclatures, dont vous êtes le vice-président, a été nommé en juin dernier. En quoi consiste concrètement sa mission ?
Dr Christian Espagno : Les actes techniques, réalisés par tous les médecins, relèvent d’une nomenclature qui s’appelle la CCAM, la classification commune des actes médicaux. Elle a été mise en place entre 2000 et 2005 et comporte pas moins de... 13.280 actes. Cette CCAM, tout le monde est d’accord, elle a besoin d’une refonte complète parce qu’elle est malheureusement un peu obsolète, n’ayant pas suivi l’importante évolution des techniques médicales et pratiques professionnelles. Cette mission s’inscrit dans le cadre de “Ma Santé 2022”, lancé par le président de la République. C’est la raison pour laquelle les députés ont voté la création d’une structure, le Haut Conseil des nomenclatures, chargé de piloter ce travail. La grosse différence avec ce qu’il s’est passé entre 2000 et 2005, c’est que c'est maintenant une structure scientifique et indépendante qui va piloter la refonte, alors qu’il y a 15 ans, c’était l’Assurance maladie.
Quels sont les objectifs de la refonte de la CCAM ?
Les objectifs de ce travail sont de deux ordres. D’une part, revoir l’ensemble des actes existants à la nomenclature. D’autre part, éviter de retomber dans les mêmes difficultés de maintenance de la CCAM et donc de mettre en place une gestion des nouveaux actes, des actes innovants, qui puissent être intégrés beaucoup plus rapidement, voire même dès maintenant, que ce n’est le cas actuellement dans cette CCAM.
Vous parlez de refonte : en quoi cela va-t-il consister ?
On a trois objectifs principaux dans la refonte de la nomenclature. Le premier objectif, c’est de travailler au plus près des pratiques actuelles. Par exemple, à l’époque de la CCAM en 2000, les groupes de travail étaient organisés par spécialité. Il y avait un groupe pour les chirurgiens, les neurologues, etc… Nous, on a préféré travailler par familles d’actes cohérents. Pourquoi ? Parce que de plus en plus, les médecins s’hyperspécialisent et se reconnaissent plus dans le type d’actes qu’ils pratiquent que dans leur spécialité. Prenons un exemple : il y a une grosse partie de neurochirurgie qui concerne la chirurgie du rachis. Cette chirurgie du rachis est aussi exercée par les chirurgiens orthopédistes. Petit à petit, l’un ou l’autre ne font plus que ce type d’opération et ne se reconnaissent que dans cet exercice. Forts de ce constat, nous avons donc repris les 13.280 actes de la nomenclature et on les a classés par famille d’actes cohérents. Il va y avoir entre 39 à 41 familles d’actes. Pour chacune, il y aura un groupe de travail qui sera constitué.
Comment seront déterminées les familles d’actes ?
Il y aura deux grands types de familles d’actes : les mono-spécialité, car il y a des actes qui ne sont faits que par une spécialité uniquement. Et puis, il y aura des actes de pluri-spécialités, c’est-à-dire qui sont des actes qui peuvent être faits par plusieurs spécialités. Si on prend le cas des interventions sur la glande thyroïdienne, ça peut être fait par des médecins ORL ou des chirurgiens digestifs, etc. Il y en aura en principe 11 ou 12 qui seront de pluri-spécialités et 28, qui seront de mono-spécialité.
Quel est l’enjeu de votre mission pour les médecins généralistes ?
On constate deux choses. D’une part, les médecins généralistes avaient peu participé à la mise en place de la CCAM en 2000, ils étaient peu dans...
les groupes de travail. On observe qu’ils ont parfois des difficultés à utiliser la CCAM, à utiliser le codage parce qu'ils n'ont pas participé à sa création. Très souvent, les généralistes font des actes techniques et ne savent pas toujours les coder. Nous pensons donc aujourd’hui que les spécialistes de médecine générale doivent être aux manettes dans la refonte de la CCAM. C’est la raison pour laquelle il y a une généraliste dans le Haut Conseil. Deuxièmement, les médecins généralistes seront présents dans environ une dizaine de ces familles d’actes. Par exemple, on a créé une famille d'actes sur le traitement de la douleur. Dans le traitement de la douleur, il y a des tas de prises en charge qui sont nouvelles, qui n'existaient pas il y a 15 ans, soit des actes techniques, la mise en place de stimulateur par exemple, ou la prise en charge à domicile. Il faut certainement créer un certain nombre de libellés ou revoir ceux qui existent. Il y aura aussi des généralistes dans des groupes de travail sur les plaies, les sutures, notamment. Ils doivent coder en accord avec leur pratique de 2021.
Outre les médecins généralistes, d’autres spécialités sont-elles à la traîne concernant le codage ?
Globalement, les spécialités médicales ont peut-être moins l’habitude de la CCAM que les spécialités chirurgicales.
Les pratiques des médecins sont très différentes aujourd’hui, selon qu’ils exercent dans le public, dans le privé, en libéral… Cela sera-t-il pris en compte dans la refonte de la CCAM ?
Tout à fait. On veut qu’il y ait une parité stricte entre le public et le privé et toutes les pratiques doivent être prises en compte dans la CCAM. Le mieux c’est qu’ils travaillent ensemble, à parts égales. Les comités cliniques seront composés à parité égale.
Vous dites souhaiter une CCAM en accord avec les pratiques modernes : sachant qu’il y a plus de 13.000 actes aujourd’hui, comment les experts vont-ils pouvoir y parvenir ?
Ils vont travailler en deux temps. Il va y avoir une première phase de description de la CCAM et ensuite, une phase de hiérarchisation. D’abord, ils vont reprendre tous les libellés existants. Si une famille à 100 actes, les 100 actes seront passés en revue et les experts jugeront si cet acte n’est plus pratiqué, s’il n’est plus souhaitable qu’il soit pratiqué parce que d’autres actes existants sont plus performants. Dans ce cas, ils pourront supprimer le libellé. Dans d’autres cas, ils pourront juger que le libellé n’est pas clair et qu’il faut le formuler différemment. Ils pourront également créer de nouveaux actes, parce qu’effectivement, les choses ont évolué et qu’il y a des choses qui ne se pratiquaient pas il y a 15 ans qui se pratiquent maintenant. C’est le cas pour des interventions chirurgicales où l’on pourrait inclure dans l’acte, l’utilisation d’un robot par exemple.
Une fois cela réalisé, il va y avoir une phase de hiérarchisation. Il va falloir que tous les actes soient scorés en termes de travail médical, en fonction d’un certain nombre de critères. Pour chaque acte, les experts vont en examiner quatre : l’expérience, nécessaire pour la réalisation de l’acte, l’effort mental ou la concentration, le stress. Ce sont trois composantes assez subjectives. La quatrième composante est plus objective : la durée de l’acte. Un acte qui dure, par exemple, 1h30, très dangereux et nécessite une concentration maximum avec une bonne expérience, il peut avoir un score de travail médical équivalent...
à un acte plus long mais qui sera moins stressant, nécessitant moins de compétences. Ces actes seront hiérarchisés au sein de chaque famille et ensuite, d’une famille par rapport à l’autre de façon à ce que tous les actes de la CCAM soient sur une hiérarchie unique.
En faisant ce travail, sera-t-il possible de diminuer le nombre d’actes total ?
On ne sait pas encore, il est trop tôt pour le dire. L’idée, c’est en effet de diminuer le nombre de libellés, car plus de 13.200 c’est trop… mais on ne va pas passer de consignes aux experts. D’ici un an, on y verra plus clair.
La “task force santé" menée par le Dr Jean-Marc Aubert en 2019 estimait que les nomenclatures créent des “effets pervers”. Qu’en pensez-vous ?
Oui, c’est vrai. Comment éviter cet effet pervers ? En mettant des libellés précis de façon à éviter qu’il puisse y avoir un certain nombre d’interprétations qui ne seront pas cohérentes et en diminuant le nombre de libellés. D’autant plus que, pour un certain nombre d'interventions, sur le rein ou la colonne vertébrale par exemple, il existe 10 libellés pour le même acte. On peut pourtant probablement dire que seuls deux ou trois suffisent.
Votre mission doit s’achever en 2025. N’est-ce pas trop ambitieux ?
Olivier Véran nous avait donné cinq ans, mais c’est nous, avec le président, qui avons annoncé trois ans. Pourquoi ? Simplement parce que notre mandat se termine d’ici trois ans et que nous aimerions rendre une copie propre, sans laisser à nos successeurs des choses pas avancées. Pour l’instant, tout démarre bien : les groupes de travail sont quasiment tous constitués. Onze comités cliniques vont commencer à travailler avant la fin de l’année, puis tous les deux mois, on lancera des vagues supplémentaires de travail afin que d’ici le milieu de l’an prochain, les 40 comités cliniques travaillent tous. L’objectif est ambitieux, mais on essaiera de le réussir !
Beaucoup de médecins appellent à la fin du paiement à l’acte. L’acte a-t-il encore de l’avenir, selon vous ?
La bonne solution, c’est certainement un mix entre les deux ! On voit bien avec l’émergence des coopérations, qu’il faut qu’il y ait une part de paiement forfaitaire pour prendre en charge les parcours de soin, la prévention, la coopération interprofessionnelle… aux côtés du paiement à l’acte. Car ce dernier a de l'intérêt pour beaucoup de médecins. D’autant plus si notre pari de l’actualiser et de le moderniser est réussi.
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