Intelligence artificielle : accélérer les traitements de précision

17/03/2023 Par Muriel Pulicani
E-santé
Grâce à sa capacité d’analyse de données massives, l’IA joue un rôle croissant dans la découverte et le développement de médicaments, ainsi que dans leur suivi en vie réelle.
 

« La phase de découverte d’un médicament prend cinq ans et son développement, une douzaine d’années, pour un coût de 2,6 milliards de dollars. 95 % des candidats médicaments échouent en raison d’une efficacité faible ou d’effets secondaires », a chiffré Philippe Moingeon, directeur de recherche chez Servier et coordinateur du groupe de veille "Intelligence artificielle et sciences du médicament" de l’Académie de Pharmacie, lors de la séance le 1er février dernier. « Une révolution sans précédent est en cours dans l’univers du médicament », avec le développement de l’intelligence artificielle (IA). Les algorithmes, entraînés sur des données massives, hétérogènes et complexes – issues des hôpitaux, des laboratoires, de la recherche, ou des dispositifs médicaux portables – peuvent établir des corrélations entre différents phénomènes, détecter des signaux faibles, prédire des risques. « Ce déluge de données associé à la puissance de calcul de l’IA représente des opportunités sans précédent », a salué Anaïs Baudot, directrice de recherche CNRS, responsable du groupe "Biologie des systèmes et des réseaux" au Centre de génétique médicale de Marseille.   Déjà des molécules à l’essai Parmi ces opportunités, la conception et le développement de médicaments. L’IA permet d’appréhender l’hétérogénéité des maladies à partir du profilage moléculaire des participants aux essais cliniques, de définir des sous-groupes homogènes, d’identifier les cibles thérapeutiques et les molécules les plus appropriées, et d’en évaluer l’efficacité et l’innocuité sur des représentations virtuelles des patients (jumeaux numériques). « L’objectif n’est pas de remplacer le réel mais de trouver plus vite, moins cher et plus efficacement », a résumé Guillaume Kerboul, directeur des activités conseil, Industrie des sciences de la vie de Dassault Systèmes. De premières molécules conçues par l’IA sont en cours d’évaluation clinique, comme l’antibiotique à large spectre Halicin (Massachusetts Institute of Technology) ou le DSP-1181 dans les troubles obsessionnels compulsifs (Sumitomo Dainippon Pharma et Exscientia). Autre application, l’amélioration du ciblage des traitements en oncologie : caractérisation de l’hétérogénéité des tumeurs, détection de lymphocytes T pour prédire la réponse à l’immunothérapie... « Nous voulons rendre la radiothérapie plus efficace et moins toxique, mieux cibler les zones à traiter et mieux définir les doses. On utilise déjà l’IA pour définir les volumes cibles. Cela nous fait gagner à la fois énormément de temps et de précision », a décrit le Pr Éric Deutsch, chef du département de radiothérapie de Gustave Roussy (Villejuif, Val-de-Marne) et directeur du pôle "Enseignement et Relations à l'université".   Vers une pharmacovigilance proactive L’IA s’invite aussi dans la pharmacovigilance, jusqu’alors basée sur les essais cliniques, la revue de la littérature et les notifications spontanées des professionnels de santé. « 94 % des effets secondaires ne sont pas rapportés aux autorités », a pointé la Dre Irène Rina Fermont, immuno-hématologue, "chair" de la Société israélienne pour la sécurité des médicaments et des vaccins (Eranim). « La pharmacovigilance connaît un changement de paradigme avec une approche centrée sur les risques potentiels et proactive. » Elle s’appuie sur de nouvelles sources : dispositifs médicaux connectés, applis de santé, discussions entre patients sur les réseaux sociaux... Ces sources émergentes sont progressivement intégrées aux procédures d’évaluation des produits de santé. Le projet européen Innovative Medicines Initiative (IMI) doit inclure les réseaux sociaux dans le dispositif d’identification des effets indésirables. « La FDA (Food and Drug Administration) vise à développer un cadre règlementaire pour intégrer les technologies dans les essais cliniques et amener les essais à la porte du patient pour avoir une meilleure représentativité », a relevé la Dre Fermont. Le déploiement de l’IA doit encore relever de nombreux défis en termes d’accès aux données (quand elles existent) et de qualité. « La traduction des données en connaissances nécessite des outils d’exploration et d’intégration appropriés. Il y a toujours des biais : il faut les identifier et travailler en connaissance de cause », a plaidé Anaïs Baudot. Autre enjeu : l’interprétabilité des prédictions des algorithmes. Les professionnels devront être formés à ces nouveaux outils et bien informés de leurs biais et de leurs limites.  

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