"On ne peut plus consulter comme au 19e ou au 20e siècle" : médecins, ils inventent le cabinet de demain
Alors qu’un fossé se creuse entre les envies des médecins d’hier et d’aujourd’hui, et face à l’augmentation des déserts médicaux, l’association la Maison de l’innovation de la médecine spécialisée (Mims) a lancé le "cabinet médical 2030", un concept futuriste qui veut faire évoluer le modèle de la médecine de ville. Répondant aux exigences des nouvelles générations de médecins, et nécessairement adapté aux besoins de chaque territoire, le concept repose sur l'innovation organisationnelle et les services numériques. En février dernier, l’association a officialisé la certification de sept centres à Valenciennes, Paris-Saclay et Poitiers. Décryptage.
Lassée de voir l’attractivité du métier de médecin et l’accès aux soins se détériorer, la Maison de l’innovation de la médecine spécialisée (Mims), une association créée en 2020 par Olivier Colin et les Drs Stéphane Landais, généraliste, et Jean-Pierre Binon, cardiologue, a décidé d’agir. «Nous nous sommes dit qu’il fallait faire autrement, on ne peut plus consulter comme au 19e ou au 20e siècle. Il faut que les cabinets évoluent», reconnaît le Dr Stéphane Landais. L’association a donc voulu proposer une nouvelle organisation, nommée le «cabinet médical 2030».
A partir d’une feuille blanche, les trois co-fondateurs ont repensé la médecine de ville pour proposer un modèle pérenne «qui corresponde aux besoins d’un territoire donné et qui implémente toutes les innovations organisationnelles et technologiques, pour pouvoir travailler plus et mieux, tout en préservant la qualité de vie du médecin», présente le Dr Landais, fier de son initiative. La Mims a établi une liste de «valeurs» auxquelles ces cabinets doivent impérativement répondre. L’un des enjeux primordiaux concerne les nouvelles technologies qui, selon le généraliste, «doivent faire partie du quotidien des médecins». «L’innovation en médecine libérale en France, c’est 0,7% des bénéfices non-commerciaux [BNC], alors qu’aux Etats-Unis ça frise les 9%», déplore-t-il.
22 start-ups accréditées
Pour ce faire, la Mims dispose d’un comité scientifique et stratégique, composé de plusieurs partenaires comme Doctolib, AG2R, Zeiss, Sanofi… Mais aussi «de philosophes, de scientifiques et de membres du Comité consultatif d’éthique», précise le co-fondateur. Ce comité s’occupe de certifier et d’accréditer, après examen, les start-ups qu’il estime innovantes. «Le taux de réussite est de 66%. Actuellement, nous en avons accrédité 22 que nous accompagnons sur le terrain», poursuit-il. Parmi elles, SantéRecycle (valorisation des déchets), Ordoclic (e-prescription), Conexsanté (télémédecine)… Ces start-up pourront être utilisées au sein des «cabinets médicaux 2030».
Si l’innovation a une place importante dans ces cabinets futuristes, il en va de même pour les patients. Pour éviter de «renouveler certaines erreurs», la Mims propose de «réaliser des audits territoriaux» pour déterminer les besoins réels d’un territoire, permettant de satisfaire aussi bien les patients, que les médecins et les élus. «Il faut savoir ce qu’ils veulent vraiment», précise le Dr Landais. Pour lui, il n’existe pas un seul et unique modèle de «cabinet médical 2030», puisque chaque centre doit correspondre à «une optimisation de l’offre de soins dans un territoire donné». Pas question pour le Dr Landais de faire payer cette révolution aux utilisateurs : «Ces cabinets n’ont pas vocation à coûter davantage aux patients. Ils doivent s’autofinancer eux-mêmes». Car la nouvelle organisation de ces cabinets futuristes va permettre une augmentation de l’activité du médecin généraliste, «d’au moins 30%, sans augmenter ses horaires de travail», précise le co-fondateur de la Mims.
Un exercice en "temps choisi"
Le 7 février dernier, la Mims a annoncé la signature de sept centres certifiés «cabinet médical 2030». L’un d’eux est déjà ouvert sur 3 500 m² en centre-ville de Valenciennes. Il est géré par le Dr Joël Silvert, gynécologue, et comprend un cabinet de radiologie, de biologie ainsi qu’un centre de soins non-programmés. Dans ce dernier, 16 généralistes en secteur 1 se relaient de 7h à 22h, aidés par une infirmière ou une aide-soignante. La particularité est que les praticiens ne travaillent pas à temps plein mais à «temps choisi». Cela signifie «qu’il y en a qui font une garde par semaine, d’autres deux… Et on a même souhaité que certains fassent des demi-gardes», explique le Dr Silvert. Entre 200 à 250 consultations de médecine générale sont effectuées par jour. Autre condition, ces 16 médecins sont tous salariés de l’Association pour le développement de l’offre de soins dans le Hainaut, créée par le gynécologue, et rémunérés à la garde.
Pour le Dr Silvert, cette organisation est une des solutions pour répondre à l’offre de soins de demain. «Je pense que tous les cabinets dits ‘classiques’ sont amenés à être modifiés, estime-t-il, je ne suis pas certains qu’il y a ait une désertification médicale, je pense surtout qu’il y a une offre de soins qui est mal organisée.» Après plus de quarante ans d’exercice, le Dr Silvert reconnaît que les envies d’exercer ont changé. «Les jeunes médecins veulent être salariés, travailler en groupe, en temps choisi, avec du matériel et des services sur place.» Alors, il assure s’être adapté aux nouvelles technologies. «Dès qu’il y a un outil ou un logiciel qui va nous permettre de gagner du temps voire de faciliter le travail, il faut s’en servir», reconnaît-il.
Le gynécologue et porteur de projet n’a bénéficié d’aucune subvention pour monter son centre. Aujourd’hui, il assure fièrement que ce dernier est «complètement autonome grâce aux médecins qui y travaillent». Car, en plus des généralistes, des médecins d’autres spécialités se sont ajoutés au projet. Parmi eux, des gynécologues, des psychiatres, des endocrinologues et même SOS Mains. Eux ne sont, en revanche, pas salariés. Son objectif est maintenant de proposer «toutes les spécialités [médicales] sur place, même si elles ne sont pas à temps plein», et de passer d’une soixantaine à une centaine de praticiens.
Si le Dr Silvert a «transformé» des bureaux en «cabinet médical 2030», d’autres rêvent plus grand, comme Florence Gaonach, pharmacienne depuis 20 ans. Depuis la fin de la crise sanitaire, elle élabore un projet de centre de santé à Paris-Saclay, réparti sur cinq pôles, de 4 000 m² chacun. Il comprendra un pôle femme-mère-enfant-adolescent qui sera rattaché au futur Groupe hospitalier nord Essonne (GHNE), qui devrait ouvrir en juin, un pôle santé étudiante, un pôle oncologie, un pôle pour les pathologies chroniques et un pôle pour les personnes âgées. «Sur deux ou trois sites, il y aura en plus un centre de soins non-programmés», précise-t-elle.
Une dizaine d’internes déjà conquis par le projet
Même si la pharmacienne vise une première ouverture pour le premier semestre 2025, elle sait déjà que toutes les antennes ne seront pas ouvertes en même temps. «C’est un projet sur 8 à 10 ans», confie-t-elle. Pour le mettre en place, elle s’est appuyée sur les volontés des jeunes médecins. Florence Gaonach travaille sur ce projet avec une médecin généraliste, qui est également maître de stage. «Lorsqu’elle discute du projet avec ses internes, ils disent tous : ‘dès que ça sort, on est là’.» Ils seraient une dizaine selon la porteuse de projet.
Si elle a choisi de lancer son centre à Saclay, c’est parce que ce territoire a «une potentialité qui n’est pas exploitée correctement». «Je ne peux pas rester comme ça alors que les patients souffrent, il faut agir», déplore-t-elle. Pharmacienne et non médecin, celle qui veut «être utile pour la population» estime que sa profession peut même être un avantage. Depuis plusieurs années, elle a remarqué que les médecins n’ont pas toujours «d’esprit d’entreprise», élément pourtant essentiel pour monter un centre de santé. «Ces aspects d’entreprenariat, de logistique sont à 10 000 lieues de leur pratique», estime-t-elle.
La pharmacienne a donc monté son projet de A à Z. Pour que son centre soit rentable, Florence Gaonach place tous ses espoirs dans la e-santé. Elle prévoit par exemple d’utiliser les DTX ou thérapies numériques, des solutions validées par des autorités qui permettent de prévenir voire traiter un trouble ou une pathologie. «On veut vraiment utiliser toutes les nouvelles technologies à notre disposition», précise la porteuse de projet. Concernant l’organisation, elle veut là encore utiliser l’innovation pour «libérer du temps médical», par exemple en employant des assistants médicaux, et même à terme des assistants médicaux virtuels. Même si c’est «technologiquement difficile», la pharmacienne indique être en train de réfléchir à rassembler au sein d’un même logiciel «toutes les interfaces» utiles aux médecins.
Monter un "cabinet médical 2030"
Pour monter son propre «cabinet médical 2030», le porteur de projet doit envoyer son dossier à la Mims. L’association doit vérifier que le centre partage bien les valeurs de la Mims, et qu’il répond «aux besoins du territoire, favorise la qualité des soins et assure la permanence des soins», détaille le Dr Landais. Après examen du dossier, la Mims peut valider la candidature et certifier le projet. «Cette certification est gratuite, valable deux ans et prolongée après un contrôle qui se fera au fil de l’eau», précise le Dr Landais. D’ici 2030, il prévoit d’avoir une dizaine de cabinets certifiés. «Nous voulons marquer les esprits pour que les médecins aient le désir de faire évoluer les modèles.»
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