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"On ne remplace pas les soignants mais on peut aider" : ils racontent leur expérience de secouristes en santé mentale

Plus de 100 000 secouristes en santé mentale ont été formés en France. Au sein des universités, des entreprises, des associations et de bien d’autres structures, les formations fleurissent signe d’une libération de la parole sur ce sujet. Une formatrice et deux secouristes racontent à Egora leur expérience.  

28/06/2024 Par Isabelle Veloso Vieira
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"Certains viennent me remercier de les avoir aidés." Louis Berthou, 21 ans, est l’un des 100 000 secouristes français formés aux premiers secours en santé mentale (PSSM) par l‘association homonyme. En soirée, à l’université, dans sa vie personnelle... Le jeune étudiant en droit peut venir en aide à tout moment à des personnes en détresse psychique. Phase passagère ou récurrente, Louis les accompagne pour les soulager. Parfois, seule une oreille attentive suffit. Dans d’autres cas, le recours à un professionnel de santé est nécessaire. Ces compétences, Louis les a acquises en formation PSSM. 

Pendant deux jours, les participants alternent théorie et pratique. Les caractéristiques des troubles dépressifs, anxieux, psychotiques et liés aux substances sont passés en revue. Une fois les bases acquises, les participants apprennent à repérer, à employer les bons mots et à rediriger une personne souffrant d’un de ces troubles vers une structure compétente.

L’un des objectifs à la fin de cette formation - ouverte à tous les citoyens - est d’apprendre aux participants à "déceler des troubles psychiques naissants chez une personne de leur entourage professionnel ou personnel", explique Marie Moisan, formatrice en premiers secours en santé mentale. "L’autre objectif est de déstigmatiser toutes les représentations liées aux troubles psychiques et de lever le tabou sur des questions comme le suicide", ajoute-t-elle. C’est un moyen utilisé pour libérer la parole sur des troubles beaucoup plus communs qu’il n’y parait. En France, une personne sur cinq connaitra un épisode dépressif dans sa vie, souvent d’intensité légère à modérée, selon la HAS.  

"Je ne savais pas quoi dire"

Romane, 30 ans, a suivi une formation PSSM pour répondre à un besoin au travail. Formatrice, elle a souvent en face d’elle des personnes "aux besoins spécifiques" et en "situation de dépression". "Je ne savais pas quoi dire, vers qui les diriger", regrette la trentenaire, au risque de "dire quelque chose qu’il ne fallait pas". Depuis trois mois, Romane suit à la lettre le protocole "AERER" appris en formation. Les cinq lettres représentent chacune une étape que le secouriste doit respecter pour prendre en charge la personne en souffrance. Approcher, évaluer et assister en cas de crise, écouter activement et sans jugement, réconforter et informer, encourager à aller vers des professionnels et renseigner sur des ressources disponibles.

Romane a déjà mis en pratique la procédure apprise en mars 2024. Depuis la fin de sa formation, elle travaille auprès de jeunes apprentis. L’une d’entre eux semblait être en "détresse émotionnelle". Plusieurs signes ont alerté la secouriste : en décrochage scolaire, la jeune fille perdait confiance en elle. 

Après avoir repéré les symptômes d’un potentiel trouble psychique, Romane a "ouvert la parole" avec la jeune sur ce "qu’elle ressentait". Une stratégie bien rôdée qu’enseigne Marie Moisan aux participants de ses formations. "D’abord, il faut demander à la personne ce qu’elle ressent, lui exprimer notre propre inquiétude et la questionner sur ce dont elle a besoin." Une première étape avant d’envisager l’aide d’un professionnel : "On ne remplace pas les professionnels de santé mais on peut aider à trouver des solutions auprès du médecin traitant, d’un centre médico-psychologique ou en libéral", continue la formatrice en PSSM. Romane a, par exemple, redirigé la jeune apprentie vers un psychologue car "nous [les secouristes, NDLR] ne posons pas de diagnostic". 

"Ecouter pour ne pas le laisser seul dans sa détresse"

Mais, la technique d’approche ne fonctionne pas pour chaque profil. Un autre jeune apprenti suivi par Romane semble être dans une "situation difficile", décrit-elle. "Je sens que quelque chose ne va pas, qu’il est peut-être dépressif ou dépendant à une substance, mais c’est très compliqué d’ouvrir la parole avec lui." Alors, elle essaye "de l’écouter pour ne pas le laisser seul dans sa détresse"

Faire signe à une personne en souffrance pour lui montrer que l’on peut l’aider en cas de besoin est déjà un premier pas. Les autres étapes du protocole AERER se mettent en place avec le "temps", précise Marie Moisan, au rythme de chacun. 

Le protocole, Louis l’applique "naturellement". Rôdé à l’exercice, il a passé sa formation en janvier 2023. L’étudiant a été confronté "assez jeune" à des questions de santé mentale. "J’ai un ami qui m’a fait part de tentative de suicide. Ça a été très délicat pour moi à gérer", témoigne Louis, marqué par cette expérience. Lorsqu’il a reçu le mail de l’université de Bordeaux qui organisait une formation aux PSSM, il a vite "sauté le pas". Aujourd’hui, Louis aide inconnus, amis et connaissances à surmonter leurs difficultés psychiques. En soirée, il peut passer des heures à rassurer et consoler les maux, souvent amplifiés par l’alcool, de personnes en détresse. "Une fois j’ai discuté avec une fille dévastée pendant 1h30 en soirée. Elle est revenue vers moi le lendemain pour me remercier et s’excuser", confie Louis.

D’autres fois, des personnes dans le besoin viennent directement le voir car ils savent qu’il a suivi la formation. Ça a été le cas d’un autre étudiant en soirée : "On a discuté une heure et trois jours plus tard, il était chez un psychologue." En milieu étudiant, le besoin de soutien en matière de santé mentale est criant. Depuis le Covid, l’état psychique des jeunes s’est dangereusement dégradé. Chez les 18-24 ans, les pensées suicidaires ont été multipliées par deux depuis 2014 selon le dernier baromètre de Santé publique France, publié en février 2024. Entre 2017 et 2021, le nombre de tentatives de suicides déclarées a également doublé dans cette même tranche d’âge. 

"En arrivant à la fac, je me suis rendu compte, sans être trop alarmiste, que la santé mentale des étudiants est assez catastrophique", avoue Louis. Dans cette situation, repérer un trouble psychique avant qu’il ne s’aggrave devient primordial pour éviter que les jeunes se mettent en danger. Style vestimentaire dégradé depuis plusieurs semaines, cernes creusés, poches sous les yeux... Louis a su détecter les signes inquiétants chez l'une de ses amies. "J’ai pris le temps de l’écouter et j’ai vite compris qu’elle n’allait pas bien, qu’elle avait même des pensées suicidaires." Durant la formation, Louis a appris à poser les bonnes questions et à aborder le sujet souvent tabou du suicide. 

"Parler peut aider à se sentir moins seul"

Pour aider les futurs secouristes, Marie Moisan met en place un atelier lors de la formation pour entrainer les participants à demander à une personne si elle a des pensées suicidaires. Et si oui, depuis combien de temps ? A-t-elle défini un moyen de passer à l’action ? C’est une façon d’évaluer la gravité de la situation pour ensuite diriger la personne vers des professionnels compétents. "Il y a l’idée un peu répandue que parler de suicide à quelqu’un de dépressif peut venir lui donner l’idée. C’est complétement faux. En revanche en parler peut aider à se sentir moins seul, à libérer la parole et la tension interne qui amène la personne à avoir ces intentions-là", explique Marie Moisan. 

Ecouter, rassurer, conseiller, accompagner... Les secouristes en santé mentale sont les récepteurs de confidences lourdes. Un rôle qui demande beaucoup d’énergie aux dépens parfois de leur propre santé mentale. A l’université de Bordeaux, Louis a gardé contact avec les participants de sa formation et ses formateurs. Ils ont créé une messagerie de groupe : "De temps en temps, on échange pour se soulager de ce qu’on a entendu ou pour demander des conseils si on ne sait pas comment aider une personne." Garder des ressources et des amis formateurs et secouristes semblent aider : Louis aimerait étendre ce groupe de secouristes en santé mentale à toutes les personnes formées au sein de l’université. 

"La formation nous permet de nous protéger nous-mêmes si ça ne va pas." Savoir repérer les signes de la dégradation d’un état psychique chez l’autre permettrait aussi de les voir chez soi. "Nous apprenons aussi à nous écouter nous-même", assure l’étudiant de 21 ans. Quand des signaux inquiétants apparaissent, il ralentit pour se reposer, sortir et voir des amis. Un moyen de recharger les batteries. Car si l’on ne va pas bien soi-même, comment peut-on aider l’autre ? Comme pour les secouristes aux premiers secours, ils ne doivent pas se mettre en danger. "Aider les autres c’est bien mais il faut qu’on se sente bien aussi", conclut Louis.

Depuis janvier 2023, l’étudiant assure utiliser au moins une fois par mois ses compétences acquises de PSSM. C’est beaucoup plus que son PSC1 – le diplôme de premiers secours - passé il y a dix ans. "La santé mentale est un sujet que l’on a souvent enterré", analyse Louis. Former des citoyens à ces problématiques est d’"intérêt public", conclut Marie Moisan.  

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1 commentaire
5 débatteurs en ligne5 en ligne
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340 points
Débatteur Passionné
il y a 5 mois
ces organismes de formation qui fleurissent à tout bout de champ pour tout et pour rien. Sur quelles bases, cursus s’appuient ils pour former ses secouristes. Il existe déjà des unités mobiles psy q
 
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