"C'est du harcèlement" : une généraliste mise sous accord préalable "pour l'exemple"
Egora : Vous dénoncez la mise sous accord préalable (MSAP) d'une généraliste d'Ille-et-Vilaine. Que s'est-il passé ? Dr Marcel Garrigou-Grandchamp : Chaque année la Cnam, au niveau national, fait tourner ses ordinateurs et repère un certain nombre de médecins dans chaque département qui ont des prescriptions d'arrêts au-dessus de la moyenne régionale. Derrière cette façon de faire, il y a un texte de loi qui est l'article L.162-1-15 du code de la Sécurité sociale. Ce texte est assez restrictif. Il parle d'activité ramenée par patient. Prenons un exemple grossier : un médecin qui a 2.000 patients aura deux fois plus d'arrêts qu'un médecin qui en a 1.000. Le texte précise également qu'il faut veiller à la comparaison avec une activité comparable. Cela n'est pas respecté par la Cnam, qui fait un ciblage général sur la quantité d'arrêts. Elle compare des médecins qui ne sont pas comparables et se contente du régime général. La Cnam repère donc les gros prescripteurs et les caisses locales sont chargées d'organiser le suivi de ces médecins. Selon la loi, quand les caisses mettent en jeu un tel ciblage informatique, elles devraient informer les commissions paritaires locales de ce qu'elles font, le but recherché et donner leurs résultats. Elles ne le font pas. J'ai d'ailleurs officiellement saisi la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) à ce sujet. Au sujet de cette consœur MSAP, elle n'a pas été informée. Elle a simplement reçu un courrier de la CPAM* l'informant qu'elle avait été ciblée suite à un nombre d'arrêts d'importants. La caisse voulait l'entendre à ce sujet. J'ai pu assister à cet entretien en visio, le 12 aout dernier. Comment s'est-il passé ? Avant l'entretien, j'ai écouté la généraliste et je lui ai demandé de m'envoyer son RIAP (relevé inter-régime d'activité de prescription, ndlr) de l'année précédente dans lequel toute l'activité est décortiquée, ainsi que la moyenne régionale. Ce ciblage s'est fait sur le dernier quadrimestre 2021. J'ai analysé tout cela. J'ai d'emblée pointé des particularités qui expliquent qu'elle est au-dessus du seuil. Elle a, par exemple, des accès en urgences 15 fois supérieurs à la moyenne régionale. Les actes en urgences sont souvent de l'ORL ou de la traumato qui nécessitent des arrêts. Il y a donc là un premier biais statistique. En regardant ses prescriptions d'IJ, certes elle était supérieure à quatre fois la moyenne, mais elle ne l'était plus qu'à 1,1 fois si on ramenait ce taux par patient. Cette consœur a une forte activité de 2,5 fois la moyenne. Donc par patients, les chiffres n'étaient pas du tout inquiétants. La caisse répond en général qu'elle regarde les actifs ayant reçus des IJ pour que cela soit plus comparable. Sur ce point, elle était à 1,5 fois la moyenne. En décortiquant sa patientèle, j'ai également constaté qu'elle avait une patientèle C2S, c’est-à-dire exonérée, en dessous de la moyenne. C'est un facteur défavorisant parce qu'il s'agit-là d'une patientèle ne nécessitant pas beaucoup d'arrêts. Elle avait également peu de patients de plus de 70 ans dans sa patientèle. Il y avait donc beaucoup de biais expliquant ce taux d'IJ supérieur. J'ai développé tous ces arguments pendant l'entretien. Lors de cette réunion étaient présents M. Boyer, directeur adjoint de la CPAM qui représentait son nouveau directeur M. Calcoen ; ainsi qu’un médecin conseil. L'entretien s'est tellement bien passé que je leur ai envoyé un mail pour les remercier. D’où la surprise ensuite quand la praticienne a reçu le compte-rendu du directeur de la caisse. Il était daté du 9 août, alors que l'entretien s'était tenu le 12… Je pense que tout était décidé à l'avance. La caisse a justifié une erreur de date. La décision du directeur était de proposer une mise sous objectif (MSO). Sur nos conseils, la généraliste a refusé cette MSO. Accepter une MSO c'est accepter d'être coupable, ce qui n'était pas son cas. Le directeur a alors demandé une mise sous accord préalable. Pour cela il a dû réunir une commission des pénalités.
Quel est le rôle de cette commission ? Cette commission, qui n'a qu'un rôle consultatif, est composée par des représentants des syndicats de travailleurs, comme la CGT, FO. Il y aussi le Medef, la caisse et des représentants des médecins. La généraliste incriminée s'est rendue à la commission des pénalités avec un avocat. A l'unanimité, la commission des pénalités a tranché pour dire que la praticienne ne relevait pas d'une mise sous accord préalable. Le directeur de la CPAM s'est assis sur cette décision et a dit qu'il souhaitait une MSAP de trois mois. Depuis le début, il y avait une volonté de passer en force et de mettre cette généraliste sous accord préalable, pour faire un exemple. On est face à un nouveau directeur qui a sans doute voulu montrer son autorité. Ce dossier ne méritait pas de déchaînement. C'est une jeune médecin. Quelle est la suite de la procédure ? Pour imposer cette MSAP, le directeur de la caisse doit solliciter le directeur de l'Uncam, pour valider sa décision. A priori c'est toujours validé. La généraliste devra alors faire ses trois mois de MSAP. En quoi cela consistera concrètement ? Elle devra demander la validation de chaque IJ pendant trois mois. Elle enverra, sous 48h, ses arrêts à la caisse avec un petit mot à chaque fois pour préciser le motif. Le patient sera un peu embêté parce que l'arrêt ne sera pas automatique. Il faudra un aval du service médical pour déclencher les IJ. Les médecins conseils n'aiment pas les MSAP, ça leur donne du boulot. Comment la généraliste vit-elle cette sanction ? Au début elle a vécu cela très mal. Puis elle est partie en vacances, cela l'a un peu ressourcé. Là, j'ai l'impression qu'elle a envie d'en finir, c'est pour cela qu'elle ne veut pas continuer à se battre. Qu'aurait-elle pu faire ? C'était simple, il aurait fallu qu'elle conteste cette MSAP devant le tribunal administratif. Elle avait 100% de chance de gagner. Le problème, c'est que les juges refusent les référés de suspension, c’est-à-dire qu'elle aurait quand même fait sa période de MSAP. Après, on lui aurait dit qu'elle n'avait pas à la faire et qu’elle pouvait demander des dommages et intérêts.
On parle peu des cas de mises sous accord préalable ou de mise sous objectif en ce moment, y-a-t-ils moins de procédures ? Il y a eu une trêve liée au Covid pendant deux ans, mais j'ai l'impression que cette année ça redémarre. Ce dossier date du mois d'aout, puis d'autres dossiers sont arrivés en septembre. D'autres MSAP vont peut-être arriver. Tous les médecins que j'ai vu en entretien vont être ré-observés sur une deuxième période qui est en cours, du 1er novembre au 27 février 2023. Il y a une pression politique. Il y a eu énormément d'arrêts, notamment en téléconsultation. Les politiques mettent la pression sur la Cnam, qui met la pression sur les CPAM, qui mettent la pression sur les médecins. C'est vraiment du harcèlement. Le médecin généraliste a le patient face à lui, et personne ne prend ses responsabilités. Pour les arrêts au long cours, ils devraient être vus par l'Assurance maladie au bout de trois mois, or des tas de patients ne sont pas vus à six mois. Les médecins du travail se reposent totalement sur les médecins traitants. Ces contraintes jouent vraiment sur les installations de médecins. Contrairement à ce qu'ils pensent tous, on ne manque pas de médecins. Je suis conseiller ordinal, j'ai fait beaucoup d'inscriptions début novembre. Pas un seul des généralistes m'a dit vouloir s'installer dans les mois qui viennent. Les généralistes ne s'installent plus. *Sollicitée par Egora, la CPAM d’Ille-et-Vilaine n’a pas souhaité réagir. La caisse s’est toutefois dit surprise “de cette demande car la médecin n’a pas été informée officiellement de cette notification”. En effet cette décision doit encore être validée par le directeur de l’Uncam.
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