Les ennuis ont commencé en juin 2014 pour Jean-Jacques Ducret, médecin généraliste installé à Saint-Joseph, à La Réunion. A l'époque, le praticien se voit reprocher par la caisse d'assurance maladie un trop grand nombre de prescriptions d'arrêts maladie entre le 15 septembre 2013 et le 15 janvier 2014 : 1.625 journées d'arrêts maladie donnant lieu à des indemnités journalières contre 317.2 pour les autres généralistes de la région. Le médecin se rend alors à un premier rendez-vous avec la caisse primaire d'assurance maladie. "C'était plutôt une prise de contact", se rappelle-t-il. Quelque temps plus tard, il est appelé à s'y rendre de nouveau. "Là, c'était comme un tribunal. J'y suis allé pour me justifier", explique-t-il, amer. La caisse lui propose alors une mise sous objectifs. Proposition de suite rejetée par le praticien puisqu'il aurait dû reconnaître que certaines de ses prescriptions sont injustifiées. En décembre 2014, au terme de cette procédure, et en dépit de l'avis de la commission des pénalités, le directeur de la CPAM de La Réunion soumet à l'accord préalable du service de contrôle médical, les prescriptions d'arrêts de travail du Dr Ducret, pour une durée de trois mois à compter 1er février 2015.
Le praticien, soutenu par MG France, demande au tribunal administratif de La Réunion d'annuler la décision et de mettre les frais irrépétibles d'un montant de 3500 euros à la charge de la caisse. Mais sa demande est rejetée. Le Dr Ducret décide donc de faire appel. En parallèle, son avocate, Carole A. Younes, pointe de nombreux manquements dans la procédure : à l'image du procès-verbal d'audition non soumis à l'approbation du médecin et non signé par celui-ci, ou encore la non-transmission des chiffres demandés par le praticien pour organiser sa défense. Par ailleurs, elle note que les motifs médicaux justifiant des arrêts de travail dans les 30 dossiers complétés par le Dr Ducret à la demande de la caisse n'ont pas été contestés par cette dernière. "J'ai 30 ans d'activité, je suis en zone rurale… Je bosse quoi" Pour Jean-Jacques Ducret, son nombre de prescriptions très élevé est lié à sa clientèle bien plus importante que celle de ses confrères. Le praticien, dont la patientèle est 2.34 fois plus importante que la patientèle moyenne de la région, fait en effet état de 15.069 consultations par an pour une moyenne régionale de 6.440. "Effectivement, en termes de prescriptions pharmaceutiques ou d'actes paramédicaux, voire de prescriptions de transport, je suis au-dessus de la moyenne à chaque fois. Mais il faut rapporter tout cela à la patientèle de chacun, justifie-t-il, exaspéré. Je n'ai pas exactement en tête le nombre de patients dont je suis le médecin traitant, mais c'est assez important. J'ai 30 ans d'activité, je suis en zone rurale… Je bosse quoi." Pour la défense, en corrélant le nombre d'indemnités journalières au nombre de patients et de consultations, les arrêts prescrits par le généraliste sont conformes à la moyenne régionale. Elle assure également que l'activité du médecin est d'autant plus importante que celui-ci exerce également en médecine du sport avec des affections ostéo musculaires entraînant des arrêts de travail particulièrement longs. Une spécificité non prise en compte par la caisse.
"J'étais également médecin agréé de la collectivité donc j'ai pas mal de fonctionnaires qui viennent me voir. Et vous savez aussi bien que moi que les arrêts maladie du lundi sont assez fréquents", confie le médecin. Pour Jean-Jacques Ducret, le système s'attaque aux mauvaises personnes : "On devrait plutôt augmenter les contrôles des patients en arrêt. Il faut aller voir si l'arrêt est justifié ou pas dès le départ. Pas six mois après. Moi je fais mon job, je n'essaie pas de rentrer dans la norme, dans la moyenne. Je fais simplement ce que j'ai à faire."
1.500 euros de dédommagements Le 2 décembre, la cour administrative d'appel de Paris a donné raison au Dr Ducret en annulant la décision de mise sous accord préalable de ses arrêts de travail. Et ce, à la suite d'un autre vice de procédure. La Cour a en effet considéré qu'il incombait au directeur de la caisse d'informer le médecin qu'il pouvait se faire assister par la personne de son choix, ce qu'il a omis de faire. "C'est dire l'importance que les juridictions administratives attachent au strict respect de la procédure, en particulier lorsqu'il est question de permettre au médecin d'exercer son droit à se défendre", commente MG France dans un communiqué publié jeudi 16 janvier. Selon le code de la sécurité sociale, qui réglemente la procédure de mise sous accord préalable (MSAP), le directeur de la caisse doit notifier au médecin les faits constatés et l'informer de son droit à être entendu. Le texte stipule par ailleurs que le médecin peut se faire assister par la personne de son choix. "Je n'étais pas au courant de la procédure et je me suis rendu seul devant leur tribunal. Franchement, j'y suis allé la fleur au fusil parce que je n'avais pas de reproches à me faire. Je ne voyais pas bien ce qu'ils cherchaient, raconte le médecin. Moi, j'avais mes justifications, j'étais tranquille de ce côté-là. A la limite, je ne vois pas l'intérêt d'être assisté. Peut-être qu'il y a des médecins qui ont du mal à se défendre ou à se justifier, mais moi ce n'était pas mon problème." Pour cela, la CPAM a été condamnée à verser 1.500 euros en guise de dédommagements. "Je trouve que ce n'est pas suffisant. J'aurais préféré que ce soit parce que j'étais dans mon bon droit tout simplement et que la caisse soit condamnée pour une autre raison. Pour des poursuites injustifiées par exemple", regrette le Dr Ducret. "Par rapport à l'angoisse qu'ils m'ont apporté, ce n'est vraiment pas grand-chose." Et cette angoisse, le docteur Ducret n'est peut-être pas prêt à s'en défaire puisqu'en avril 2019, le médecin a reçu un nouveau courrier de la caisse d'assurance maladie l'informant que son nombre de jours d'arrêts de travail prescrits par patient actif était de 3.1 fois supérieur aux prescriptions moyennes des prescripteurs comparables de sa région. Une mise sous observation de ses prescriptions pour la période du 1er avril 2019 au 31 juillet 2019 a été décidée. "Depuis, je n'ai pas de retours", précise le généraliste. "Tout ce dont j'ai envie, c'est laisser cette histoire derrière moi."
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