"On ne peut pas se louper." Après l’échec des négociations conventionnelles entre les syndicats représentatifs des médecins et l’Assurance maladie, en février dernier, "l’attente est forte", a lancé le Dr Franck Devulder, ce mardi 12 septembre lors de la journée de rentrée des Libéraux de santé. Membre de cette intersyndicale*, le président de la CSMF a fait part de la "forte déception" des médecins, seule profession de santé qui se trouve désormais sous le coup d’un règlement arbitral. Plus tôt dans la matinée, le nouveau ministre de la Santé, Aurélien Rousseau, a fait part de son vœu de "réengager le plus rapidement possible des discussions" entre les partenaires conventionnels, afin d’aboutir à une "voie" de passage, qui serait le résultat d’un "pas" fait "chacun vers l’autre".
Également invité à cette journée de rentrée, le directeur général de la Caisse nationale de l’Assurance maladie (Cnam) a lui aussi dit vouloir "relancer les négos", jugeant qu’"il n’est pas pertinent de rester longtemps sous un régime de règlement arbitral". "Le compromis produit plus", a défendu Thomas Fatôme. Ce règlement arbitral – vécu comme un mépris par les médecins libéraux qui n’ont obtenu qu’une hausse de 1,50 euro du tarif de la consultation - n’est "qu’une première étape", a-t-il poursuivi. Mais "il faudra être imaginatifs pour proposer des choses nouvelles de part et d’autre [de la table]" car "les problèmes, eux, n’ont pas disparu" : vieillissement de la population, manque de médecins…
Cette convention médicale, "l’une des plus compliquées de l’histoire des conventions" selon Aurélien Rousseau, est, de fait, scrutée par l’ensemble des acteurs. Car sauver le système de santé du naufrage et relever les défis de l’accès aux soins se feront nécessairement en "transformant les soins de ville libéraux", a soutenu le président de l’intersyndicale, Sébastien Guérard (FFMKR), qui a cédé sa place à Philippe Besset (FSPF), élu dans l’après-midi. "Sauver les hôpitaux, ça se jouera au domicile et pour certains au cabinet", a approuvé Aurélien Rousseau. Or pour accélérer la transformation des soins de ville, "il faut moderniser notre système conventionnel, figé sur des textes dont certains datent de plus de 50 ans", a estimé le kinésithérapeute.
Resserrer la fréquence des négos
"Nous avons besoin d’un système conventionnel lisible, agile, raisonnable, équilibré, et qui facilite les dynamiques interprofessionnelles", a énuméré Sébastien Guérard, par ailleurs président de la Fédération française des masseurs kinésithérapeutes rééducateurs (FFMKR). Après avoir proposé une réforme de l’organisation des soins de ville aux candidats à l’élection présidentielle de 2022 – proposition ayant "trouvé des échos modestes dans la mise en œuvre de la politique de santé de ce début de quinquennat" - les Libéraux de santé appellent de nouveau à des changements majeurs au regard de "l’urgence" de la situation. "Pour la première fois depuis les ordonnances de 1945, l’accès aux soins a reculé dans notre pays", a déploré Sébastien Guérard. Il faut "repenser le pacte conventionnel pour garantir le pacte social de l’accès aux soins", énonce l’intitulé de leur journée de rentrée. Plusieurs pistes ont été ainsi proposées par l’intersyndicale, qui vient de fêter ses deux ans d’existence.
Outre la construction "d’un nouvel ordonnancement conventionnel reposant sur un socle conventionnel interprofessionnel fort"**, les Libéraux de santé veulent, pour les conventions monoprofessionnelles, passer "de la logique actuelle de la feuille blanche tous les cinq ans à une logique d’enrichissement des conventions dans le cadre d’un cycle triennal de négociations". "Avec bien sûr la possibilité de revenir à la table des négos dans un nombre de cas définis", comme la prise en compte de l’inflation par exemple, a précisé Sébastien Guérard. Cette configuration permettrait "d’inscrire les négociations dans la trajectoire pluriannuelle de l’Objectif national de dépenses d'Assurance maladie (Ondam)". Lors des négociations conventionnelles l’hiver dernier, les syndicats de médecins avaient unanimement dénoncé l’enveloppe insuffisante ne leur laissant qu’une faible marge de manœuvre.
"Je suis assez d’accord avec cette idée qu’on ne fait pas tous les 5 ans une ardoise magique et on reprend à zéro... On doit pouvoir trouver un équilibre entre la fréquence des négociations conventionnelles que vous défendez et maintenir l’intérêt d’avoir une vision pluriannuelle", a répondu le ministre de la Santé. Mais cela suppose de convaincre Bercy, qui pourrait "se dire ‘on va payer tous les trois ans au lieu de payer tous les cinq ans’", a commenté le DG de la Cnam. Ce qui "n’est pas complètement anodin".
Sébastien Guérard en convient. Resserrer le séquençage des négociations conventionnelles impliquerait de travailler sur "des mesures peut-être moins conséquentes sur le plan financier - elles pourront l’être tout autant sur le plan structurel, mais permettrait une application plus rapide", a estimé Sébastien Guérard. Selon le kinésithérapeute, à l’heure où "le populisme" et "l’émergence des réseaux sociaux" font "monter la mayonnaise", "les attentes des professionnels de terrain pour une négociation quinquennale sont extrêmement fortes, et de plus en plus difficiles à porter par les organisations syndicales. Qui plus est lorsque, au-delà des mesures tarifaires, il y a derrière des mesures structurantes qui sont vécues comme des contraintes nouvelles et supplémentaires".
Lutter contre la balkanisation de la représentativité
Les Libéraux de santé s’inquiètent en outre pour leur représentativité au regard de "certaines évolutions réglementaires et législatives qui la fragilisent", a expliqué Sébastien Guérard, qui entend lutter contre une forme de "balkanisation". Ce dernier alerte notamment sur “un projet de décret visant à permettre à la Fédération des maisons de santé pluriprofessionnelles de signer des accords interprofessionnels”. "Ce qui percute de plein fouet la représentation des professionnels de santé libéraux."
L’intersyndicale déplore par ailleurs l’émergence de nouvelles organisations aux côtés des organisations syndicales historiques "qui polluent le débat et les négociations conventionnelles", sans citer de noms. "Quand ces organisations arrivent autour d’une table et réclament un C à 50 euros, c’est compliqué pour les autres organisations de travailler et de négocier derrière", a pointé Sébastien Guérard. Selon lui, il faut "ramener autour de la table les organisations solides, capables de travailler en bonne intelligence avec le Gouvernement et l’Assurance maladie". Gage nécessaire au rétablissement d’une forme de "confiance" entre les libéraux et les pouvoirs publics.
"Il est urgent de réformer les règles déterminant la représentativité des organisations syndicales, notamment en nous permettant de désigner - avec des mandats impératifs - nos représentants en département et en région", appellent les Libéraux de santé.
Donner du grain à moudre
Bien que remis en cause, le système conventionnel demeure "le meilleur outil pour absorber les difficultés qui sont devant nous", a considéré Aurélien Rousseau. "Si on échoue dans la dynamique conventionnelle, on va basculer – et certains en rêvent – dans une dynamique où le Parlement va prendre les rênes, sans doute avec moins d’agilité ou de proximité avec ce qu’est la réalité" de vos professions, a-t-il avancé. Alors que l’échec du premier round des négociations conventionnelles avec les médecins a été pour certains le signe que le système "est un peu à bout de souffle", le ministre a tenu à rappeler que 8 accords ou avenants avaient été signés depuis début 2023 entre l’Assurance maladie et des professions de santé (infirmières, dentistes, biologistes, kinés, pédicure-podologues, sages-femmes, laboratoires de biologie médicale et entreprises de transports sanitaires).
"La dynamique conventionnelle est là […] Je pense qu’on peut y arriver", a-t-il estimé, ajoutant que ces négociations ne doivent pas être seulement "des accords tarifaires" mais aussi l’occasion de "faire bouger les lignes" en injectant des objectifs en matière de "prévention et de santé publique" mais aussi en matière de "développement durable" notamment. De leurs côtés, les Libéraux de santé se disent "prêts" à s’engager sur ces sujets mais aussi à travailler sur les contours de leurs métiers, la pertinence et la qualité des soins – deux sujets évoqués par Thomas Fatôme. Cependant, il leur faut du "grain à moudre". En ce sens, "les négos médecins sont un point de départ extrêmement important".
"Veillez à ne pas nous fragiliser un peu plus, parce qu’à force de nous fragiliser, vous n’aurez plus que des gilets jaunes pour discuter avec vous, a prévenu Sébastien Guérard, qui a pris la tête de l’Union nationale des professionnels de santé (UNPS). S’il n’y a que des gilets jaunes pour discuter avec vous, certes, les négociations échoueront, certes, ce sera réglé par l’Assemblée nationale, mais si ce n’est pas négocié par les partenaires conventionnels, on perdra du sens […] et à terme, ce seront des difficultés d’attractivité des métiers et cela ne répondra pas aux enjeux du moment. Ce n’est pas qu’on prêche pour notre paroisse, mais on ne sent pas bon le truc...", a-t-il lâché.
*Les Libéraux de santé regroupent 10 syndicats représentatifs de professionnels de santé : les CDF, la CSMF, la FFMKR, la FNI, la FNO, la FNP, la FSPF, le SDA, le SDBIO et le SNAO.
**à travers un renforcement de l’Accord cadre interprofessionnel (ACIP)
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