Sans les mutuelles, les ostéopathes “n’existeraient même pas sur le marché de la santé” : une médecin plaide pour la fin du remboursement
Dans un billet de blog, la Dre Marion Lagneau se montre favorable à l’arrêt de la prise en charge par les complémentaires santé de cette “pratique alternative non médicale”, qui constitue le “fonds de commerce” de ceux qui l’exercent et leur permet “d’endosser un petit déguisement de professionnel de santé”.
Billet initialement publié sur le Blog "Cris et chuchotements médicaux" par le Dr Lagneau, gastro-entérologue libérale.
"À l’image il y a quelques années des homéopathes, voici les ostéopathes sur la sellette. Ils sont très secoués par le rapport récent du Sénat qui épingle les hausses de tarif des mutuelles et suggère que celles-ci pourraient ne plus prendre en charge les pratiques dites de médecine douce, qui ne sont pas, comme on le sait, des pratiques de santé.
Les ostéopathes réagissent plus vite que leur ombre en mettant en ligne en moins d’une semaine une pétition #touchepasamonosteopathie… C’est dire leur trouille. Leur trouille est justifiée. Mais la non prise en charge de leurs actes par les mutuelles est encore plus justifiée…
J’explique.. Les ostéopathes ont parfaitement compris et écrivent sans frémir la raison de leur inquiétude majeure : Ils ont hautement conscience du “rôle central des mutuelles pour démocratiser l’ostéopathie, tout en préservant la liberté tarifaire des ostéopathes”. Autrement formulé, ce sont les mutuelles qui les font bosser. Sans ces prises en charge, ils n’existeraient même pas sur le marché de la santé.
Car, le marché de la santé, c’est particulier pour eux. Ils disent vouloir faire de la santé MAIS : La Sécu ne les intéresse pas. Cela ne leur dit rien d’intégrer un système d’honoraires bas et contraints. De toutes manières, ils ne sont pas des professionnels de santé et ne peuvent prétendre à aucun remboursement. Mais le remboursement mutuelle leur permet d’endosser un petit déguisement de professionnel de santé, en tous cas de faire croire qu’ils le sont, puisque pris en charge.
"Viens chez moi, je te paye pas tes chicots ni tes bésicles, mais je t’offre des papouilles gratuites quatre fois l’an"
Il est clair que leur intérêt est là : l’honoraire élevé, libre et pris en charge dans un système parallèle. Eux, ils sont les seuls à vanter l’importance des mutuelles pour l’accès aux soins. Parce que la prise en charge mutuelle fait leur fonds de commerce. Ils ont parfaitement pigé que les patients français vont toujours vers les solutions prises en charge, tant ils sont habitués à ne rien payer. Ils ont parfaitement compris que le remboursement par les mutuelles est la seule et unique clé d’accès aux ostéopathes, profession dont l’utilité n’est en rien démontrée, dont la prise en charge des patients n’a absolument rien de démontrée, dont la formation est aléatoire dans des écoles privées, chères et dont les diplômes ne sont pas validés par l’État. Et qui finit par se croire et par faire croire faussement qu’ils sont une profession médicale à force d’être prise en charge comme les grands.
Pour les mutuelles, c’était du pain béni. Un plus offert gratuitement aux patients, pas engageant, et qui masquait l’absence de prise en charge de soins essentiels, comme les soins optiques et les soins dentaires. Viens chez moi, je te paye pas tes chicots ni tes bésicles, mais je t’offre des papouilles gratuites quatre fois l’an. Du coup, ce type de prestations connexes à la santé ont été multipliées par cinq en huit ans (ostéopathie, mais aussi naturopathie, etc…), dixit le rapport du sénat de septembre 2024.
Le coup précédent des mutuelles, c’était la télémédecine. Grand coup de com pendant quelques années. On vous offre des téléconsultations gratuites dans vos contrats. Point d’appel, ça faisait chic, mais c’est passé de mode. Les mutuelles ne l’offrent plus pour la plupart, et n’en font plus un argument marketing. Médecine douce, ça fait quand même plus chic en ces temps où les clients réclament du bien-être qu’ils croient gratuit, alors que leur tarif de mutuelle s’envole en parallèle.
Tandis que, à la veille de l’année 2025, grande cause de la santé mentale, les mutuelles ne prennent toujours pas en charge les consultations de psychologues (attention, psychologues, hein, cinq ans de formation en fac, et un master… pas psychanalystes, pas psychothérapeutes, qui n’ont pas de formation qualitative ni validée)
Il y a quelques années, en 2018, un petit collectif de médecins, le collectif NoFakemed, sans le faire vraiment exprès, a réussi à faire dérembourser l’homéopathie, après que son alerte a mis le doigt sur l’inutilité médicale de ces pseudo-traitements.
Dans le cas de l’homéopathie il y a eu aussi une grande pétition, lancée par d’éminents syndicats d’homéopathes. Un million et plus de signatures. Mais que voulez-vous ? quand ça sert à rien médicalement, ça sert à rien médicalement, la HAS a entériné qu’il n’y avait aucune étude scientifique démontrant que l’homéopathie avait une efficacité thérapeutique. Cela relevait de la croyance. Et sous nos cieux, la croyance est plus forte quand elle ne coûte rien. Dès qu’il faut sortir un euro de sa poche pour une croyance, le doute s’installe et l’adhésion faiblit. Il s’agissait pourtant de boîtes de granules à un prix moyen de 2 à 3 euros. Pour autant, lorsqu’il a été demandé aux patients de payer de leur poche ces quelques euros, la consommation d’homéopathie a pratiquement été divisée par trois.
Vous imaginez la terreur des ostéopathes à l’idée que les mutuelles ne prennent plus en charge (ou en tous cas plus de manière systématique leurs prestations). Il y a eu des gens formés en nombre et en pagaille, et même avec remboursement, bon nombre d’ostéopathes n’ont pas assez de travail, et sont d’ailleurs obligés de compléter en faisant de la naturopathie (formations assurées en un week-end si vous voulez…)
Tout cela pour vous dire que beaucoup de médecins impliqués dans la défense d’une santé de qualité, inquiets des dérives (l’ostéopathie chez les bébés, par exemple, un truc inutile et insensé de rembourser) sont totalement favorables à ce que l’on recentre la prise en charge des soins sur de la médecine de qualité, pratiquée par des professionnels de santé, pourquoi pas même en faisant rembourser par les mutuelles plus d’honoraires médicaux et moins de paiements de non pros de santé
Bref, tout cela pour dire que personnellement et comme plein de copains, notamment ceux du collectif #NoFakemed, je suis absolument et sans hésitation pour que les mutuelles ne prennent pas en charge les pratiques alternatives non médicales."
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