L’ostéopathie n’a été reconnue officiellement que récemment comme une thérapie complémentaire. Les principes qui la sous-tendent, - peu scientifiques -, de même que les risques parfois graves qui lui ont été associés, font que cette pratique a longtemps fait l’objet de scepticisme de la part des professionnels de santé, mais aussi du grand public. Cependant, avec sa reconnaissance et sa réglementation en 2002, et dans un contexte de défiance globale vis-à-vis des thérapeutiques traditionnelles, la profession est en plein essor. Et ce d’autant plus qu’elle propose des solutions non médicamenteuses et non chirurgicales pour un ensemble de pathologies fonctionnelles banales et très fréquentes. Alors, dans notre série sur les thérapies complémentaires et leur éclairage scientifique, réalisée à la suite de la tribune de 124 professionnels de santé anti "pseudo médecines à l’efficacité non prouvée", voici le troisième épisode : l’ostéopathie.
Que dit la science sur cette discipline qui peut faire l'objet de titres et mentions autorisés sur les plaques et ordonnances des médecins ? Les ostéopathes ont connu une très forte croissance démographique ces dernières années, le nombre de praticiens étant passé de 4 000 en 2002 à 26 000 aujourd’hui. En effet, c’est seulement en 2002 que la médecine manuelle - ostéopathie a été reconnue officiellement et réglementée au travers de la loi de 2002 (loi Kouchner) et des décrets de 2007. "L’usage professionnel du titre est réservé aux personnes titulaires d’un diplôme sanctionnant une formation spécifique à l’ostéopathie, délivrée par un établissement de formation agréée par le ministère chargé de la Santé. L’exercice de l’ostéopathie, de par la loi, est actuellement effectué par des professionnels de santé diplômés d’État (médecins, kinésithérapeutes, sages-femmes, infirmières) et par des professionnels issus d’écoles de formation spécifique agréées sans diplôme d’État" rappellent J.J. Renzulli et al. (Rev Fr Dommage Corp 2017-4,385-98). En conséquence, la formation des ostéopathes reste très hétérogène. Les indications de l’ostéopathie varient même d’une école à l’autre. "Certaines se limitent aux troubles touchant la colonne vertébrale et les membres ; d’autres incluent également des troubles digestifs, génitaux urinaires ou neuropsychiatriques" précisait ainsi une "Evaluation de l‘efficacité de la pratique de l’ostéopathie" publiée le 30 avril 2012 par l’Inserm (U 669), sous la direction de Caroline Barry et Bruno Falissard. Les ostéopathes sont actuellement mieux connus du grand public et ont intégré les établissements hospitaliers. Cependant, si les Français sont de plus en plus nombreux à y avoir recours, leurs connaissances sur le sujet sont encore floues. Ainsi, selon un sondage de 2010 réalisé par OpinionWay pour le Syndicat de Médecine Manuelle-Ostéopathie de France (Smmof), plus de neuf sondés sur dix considèrent que l'ostéopathie permet essentiellement de soigner des problèmes de dos et 37 % des personnes interrogées croient que l'ostéopathie est réservée aux adultes. Des effets indésirables parfois graves ont par ailleurs été rattachés à l’ostéopathie. Alors quelles sont les données scientifiques sur lesquelles repose la reconnaissance officielle des pratiques ostéopathiques ? Et celles en évaluant les risques ? Trois principes fondamentaux La Haute Autorité de Santé (HAS) n’a pas établi à ce jour de recommandations globales dans ce domaine. L’Académie nationale de médecine, qui a publié le 5 mars 2013 un rapport sur les thérapies complémentaires, concède que l’ostéopathie se réclame «"d’une théorie simpliste et non dépourvue de base scientifique", qui ne peut que "susciter la défiance des milieux scientifiques". Il faut en effet rappeler que c’est un américain, Andrew Taylor Still, passionné d’anatomie, et déçu de la médecine traditionnelle, qui a élaboré la théorie fondatrice de l’ostéopathie, selon laquelle la guérison se trouve à l’intérieur même de notre corps. Les maladies seraient liées à un mauvais alignement des organes entrainant une "circulation difficile des fluides". Et encore aujourd’hui "l'ostéopathie vise à comprendre les causes des symptômes du patient à partir d'une analyse des différents systèmes du corps humain dans leur ensemble. Il s'agit d'une approche dite "systémique" qui permet d’agir sur les troubles fonctionnels et sur les symptômes" résume le syndicat des ostéopathes, la Sfdo, sur son site osteopathe-syndicat.fr. Les principes fondamentaux de l’ostéopathie sont l’unité de fonction du corps humain, tant sur le plan biologique, émotionnel, que spirituel ; l’auto-défense, auto-régulation et auto-guérison ; et enfin, l’nterdépendance structure-fonction et fonction-structure. Concrètement, l’ostéopathe réalise des actes de manipulations musculo-squelettiques et myofasciales, exclusivement manuelles et externes, pour "prévenir ou remédier à des troubles fonctionnels". Il "effectue des actes de manipulations et mobilisations non instrumentales, directes et indirectes, non forcées" est-il précisé dans l‘article 1 du décret du 25 mars 2007. Les domaines d’intervention sont assez larges, regroupés en : ostéopathie vertébrale, crânienne, et viscérale. Effet modeste sur les lombalgies En 2006, un premier rapport de l’Académie nationale de médecine, sous la direction du Pr Louis Auquier avait mis en évidence que les manipulations vertébrales étaient les seules à avoir donné lieu à des publications analysables dans la littérature médicale. Plus tard en 2012, les conclusions du rapport de l’Inserm étaient similaires. Globalement, le nombre d’études comparatives et randomisées réalisées pour évaluer l’efficacité de l’ostéopathie était limité. "La plupart de ces études présentent de réelles limites méthodologiques (absence d’allocation des traitements en "aveugle", critère d’efficacité subjectif, etc.)", affirment les auteurs de l’Inserm. Ils soulignent cependant les difficultés à mener des études fiables, en particulier versus placebo, avec ce type de pratique. En outre, les résultats apparaissent inconstants : "certaines études ne montrent pas d’efficacité supérieure des manipulations ostéopathiques par rapport à un groupe contrôle bénéficiant, par exemple, de manipulation factices, d’un traitement médical classique ou de conseils hygiéno-diététiques. Certaines études montrent, elles, un intérêt modeste de l’ostéopathie en addition d’une prise en charge habituelle" détaillent les auteurs dans leur conclusion. Pour le Dr Isabelle Boutron, (Centre d’Épidémiologie Clinique, Hôpital Hôtel Dieu, Centre Cochrane Français, Inserm U 738, Université Paris Descartes), qui commentait ce texte, l’étude la plus importante concerne l’étude UK Beam Trial Team qui a randomisé 1334 patients ayant des lombalgies subaiguës pris en charge en médecine générale en quatre bras et un suivi à un an. Cette étude a montré une supériorité des manipulations versus la prise en charge courante. En 2013, l’Académie de médecine a effectué une nouvelle revue de la littérature concernant les manipulations rachidiennes (MR). Une analyse dans PubMed a ainsi permis de recenser 250 références scientifiques supplémentaires apparues depuis 2006 sur ce thème. 200 portaient la mention d’études contrôlées randomisées. Sept revues Cochrane ont été publiées. Concernant l’effet des manipulations rachidiennes spécifiquement utilisées contre les lombalgies, qu’elles soient aigues ou chroniques, deux revues Cochrane ont été réalisées. La première (Assendelft W.J. et al. Cochrane Data Syst Rev, 2004 jan 30, CD000447) portait sur 39 essais contrôlés et randomisés (ECR). Elle concluait à une supériorité des MR uniquement par rapport à la manipulation simulée, avec une différence de 10 mm sur une EVA de 100 mm, et aux "thérapies jugées inefficaces". Mais aucun avantage statistique ou clinique n’était mis en évidence par rapport aux antalgiques, à la thérapie physique, aux exercices ou à l’école du dos. Le fait que la MR soit effectuée isolément ou en association n’influençait pas le résultat. La deuxième revue (Rubinstein S.M. et al. Spine, 2011, 36(13), 825-846) a porté sur 26 essais publiés jusqu’en 2009, dont les 2/3 n’étaient pas inclus dans l’analyse précédente. Les auteurs ont alors montré, avec un haut niveau de preuve, que la MR a un effet à court terme sur la douleur et l’état fonctionnel, mais que cette action est peu importante et non cliniquement pertinente. Lorsque la MR était associée à une autre intervention, le niveau de preuve devenait variable. Et il n’y avait aucune preuve que la MR n’était pas plus efficace que la manipulation simulée. Une revue relative à la lombalgie aiguë a inclus 14 essais contrôlés randomisés (Dagenais S. et al. Spine, 2010, 10(10), 918-940). Ses conclusions vont dans le même sens en montrant que, comparée aux traitements de référence (médicaments, exercices) ou à la MR simulée, la MR apparait, la plupart du temps, d’efficacité équivalente sur la douleur et la fonction. Pour les auteurs du rapport de l’Académie, ces données montrent que "que la MR est, pour le traitement de la lombalgie, principalement aiguë ou subaiguë, d’efficacité équivalente ou légèrement supérieure aux traitements d’usage courant, mais seulement dans le court terme et pour un bénéfice finalement très modeste". Efficacité sur les cervicalgies et les céphalées d’origine cervicale à court terme Autre domaine phare de l’ostéopathie, les manipulations cervicales et thoraciques. Une revue Cochrane publiée en 2010 (Gross A., et al. Cochrane Data Syst Rev, 2010 may12, CD004249) a recensé la littérature jusqu’en 2009. Elle a mis en évidence, qu’en cas de cervicalgie subaiguë ou chronique, la manipulation cervicale a un effet sur la douleur et la fonction, sur le court terme. La manipulation thoracique, comme thérapeutique additionnelle, pouvait aussi avoir un tel effet. Cependant, "dans les deux cas le niveau de preuve était faible", précise le rapport de l’Académie. Par la suite, un essai contrôlé randomisé, publié en 2012 dans la prestigieuse revue "Annals of Internal Medicine" (Bronfort G., et al Ann Intern Med, 2012, 156(1), 1-10), et qui a porté sur 272 patients souffrant d’une cervicalgie aigue ou chronique, a renforcé les conclusions précédentes, en montrant que la MR était plus efficace sur la douleur que le médicament, avec une différence significative à tous les temps de l’étude. Mais il n’y avait pas de différence statistiquement significative entre résultats des MR et des exercices. Concernant les céphalées, une revue Cochrane de 2003 analysant 32 études, concluait, avec un bon niveau de preuve, que la manipulation rachidienne était aussi efficace que l’amytriptiline sur la prévention des migraines. Une revue de 2011 (Posadski D., et al. Cephalgia, 2011, 31(8), 964-970) est moins affirmative : sur trois essais contrôlés randomisés retenus (jugés de faible qualité méthodologique), un seul montrait un effet par comparaison au traitement de référence. Sur les céphalées de tension, la revue Cochrane concluait que la MR était aussi efficace que l’amytriptiline à court terme mais uniquement après cessation de la crise. Mais les données manquent dans ce domaine : la plus récente revue datant de 2006, et ne mettant pas en évidence de preuve rigoureuse. Concernant les céphalées d’origine cervicale, la MR apparaissait efficace à court et à long terme par rapport à l’absence de traitement, au massage, au placebo de manipulation, et à un moindre degré à la mobilisation cervicale ; ces conclusions allant dans le même sens qu’une autre revue de la littérature (Posadski D., et al Headache, 2011, 51(7), 1132-1139) portant sur neuf essais contrôlés randomisés (de qualité méthodologique dans l’ensemble faible), dont sept montraient les MR étaient plus efficaces que les autres traitements. Enfin une revue et deux essais ultérieurs suggèrent l’efficacité de certaines manipulations sur les états vertigineux d’origine cervicale. Pas de preuve d’efficacité dans les autres domaines d’action des manipulations rachidiennes Les MR peuvent être employées pour traiter d’autres pathologies. Ces situations ont été bien moins étudiées par des méta-analyses. Les études existantes concluent à l’inefficacité ou à l’absence de preuve d’efficacité des MR, que ce soit pour l’asthme, la dysménorrhée, la douleur abdominale de l’enfant, ou encore l’épicondylite. De même, certains essais cliniques ont porté sur des pathologies diverses telles que l’épaule douloureuse, l’entorse de cheville, la fibromyalgie, les suites d’arthroplastie de la hanche ou du genou, la dysfonction temporo-mandibulaire, mais aussi la dépression post-ménopausique, le côlon irritable, la bronchopneumopathie obstructive, les pneumonies… "Ils donnent une idée du champ d’interventions que se propose l’ostéopathe, plus qu’ils ne contribuent à en asseoir la légitimité" considèrent les académiciens dans leur rapport de 2013. L’évaluation de l’Inserm de 2012 va dans le même sens. Ainsi, concernant les indications autres que vertébrales, "les études sont trop rares et/ou possèdent des limites méthodologiques trop importantes pour que des conclusions fiables puissent être proposées. Dans tous les cas l’efficacité de l’ostéopathie apparaît au mieux modeste". Ostéopathie crânienne : des données trop hétérogènes Autre domaine d’activité, l’ostéopathie crânienne, réalisée après fermetures des sutures crâniennes. L’ensemble des données vont dans le sens de l’absence de preuve de son efficacité. Ainsi, une revue de la littérature de 2011 (Jakel A., et al. J Am osteopath Assoc, 2011, 111(12), 685-693), fondée sur l’analyse de sept essais cliniques, est en faveur d’un effet positif sur la diminution des douleurs, le système nerveux autonome et le sommeil ; cependant les données apparaissent trop hétérogènes, et insuffisantes pour conclure. Seul point positif, l’ostéopathie crânienne pourrait être utile en traitement complémentaire de la plagiocéphalie posturale, quand la déformation s’aggrave malgré les postures préventives et la physiothérapie standard. "Quoiqu’il en soit l’ostéopathie "préventive" n’est pas justifiée et l’ostéopathie n’a pas sa place dans le traitement de la craniosynostose [fusion prématurée d'une ou plusieurs sutures crâniennes, entrainant une forme anormale du crâne, ndlr]" complète de rapport de l’Académie. Ostéopathie viscérale : pas d’étude fiable Enfin, certaines écoles pratiquent ce que l’on appelle l’ostéopathie viscérale, et qui correspond, en fait à des thérapies manuelles focalisées sur différents organes : au niveau cervical (trachée…), thoracique (cœur, poumons, plèvre, œsophage, une partie de l’estomac et du foie…), abdominal (organes digestifs), du bassin (organes uro-génitaux). Il s’agit de redonner de la mobilité aux viscères afin qu’ils retrouvent un fonctionnement normal. Une étude récente a été réalisé par le Collectif de Recherche Transdisciplinaire Esprit Critique et Science (Cortec) (Guillaud A et al. BMC Complementary and Alternative Medicine. 2018 18:65). Une analyse de la littérature a été mené jusqu’en décembre 2017. Huit études de fiabilité et six études d'efficacité ont été incluses. Il en ressort qu'il n'existe pas de preuves solides et bien menées sur la fiabilité et l'efficacité des techniques en ostéopathie viscérale. Des risques reconnus L’ensemble des experts s’accordent pour dire que les risques liés aux manipulations du rachis sont peu fréquents mais sévères, et doivent appeler à la plus grande vigilance. « Bien qu’une prescription médicale soit nécessaire pour certains actes – manipulation du rachis cervical, par exemple – on déplore chaque année des complications liées à ces gestes », affrmait ainsi le Dr Philippe Vautravers (CHU Haute-Pierre, Strasbourg) à l’occasion des Entretiens de Bichat 2014. Pour les plus graves, il s’agit principalement de lésions vasculaires à type de dissection des artères vertébrales ou carotidienne, d’accidents vasculaires cérébraux… Ces risques sont connus et reconnus depuis longtemps. En 1997, la Société française de médecine manuelle orthopédique et ostéopathique (Soffmoo) a ainsi publié des recommandations sur la "Prévention des accidents vertébro-basilaires après manipulation cervicale". Elle a estimé à environ un cas sur un million de manipulations, le nombre de ces accidents. "Il est probable qu'il existe des cas mineurs, comportant simplement un état vertigineux ou nauséeux pendant deux à trois jours après la manipulation, l'ensemble régressant spontanément" ajoutent les spécialistes. Ces cas pourraient correspondre à un simple spasme vasculaire. "Ils ont cependant valeur d'alerte et doivent rendre prudent quant aux modalités d’un traitement ultérieur". Dans l’expertise de l’Inserm, le chiffres apparaissent supérieurs : des effets indésirables transitoires qualifiés de "non graves" (aggravation de la douleur essentiellement) seraient ressentis par 30 à 60% des patients. Les estimations de l'incidence des accidents vertébro-basilaires par manipulation cervicale variaient d’un facteur 100 : de 1 cas pour 400 000 à 1 cas pour 5,8 millions. Ces risques semblent survenir préférentiellement chez des femmes de moins de 50 ans, et sont probablement en rapport avec des modifications anatomiques prédisposantes. Les auteurs des recommandations insistent donc sur la nécessité de rechercher des facteurs de risque par l’interrogatoire et un examen neurologique simple. Ils contre-indiquent les manipulations lorsque la douleur pour laquelle le patient est venu consulter ne peut être rapportée au rachis cervical. "En particulier, il est inacceptable que des patients venus pour une lombalgie voient leur rachis cervical manipulé sous des prétextes divers et contestables" précise la Sofmmoo. Enfin, les membres de cette société recommandent de ne pas "recourir aux manipulations cervicales rotatoires chez la femme de moins de 50 ans". Pour les académiciens, les limitations imposées par les lois de 2007 et 2011, sont justifiées et doivent être maintenues. Ils concluent "on peut estimer […] que les manipulations rachidiennes peuvent se montrer modérément efficaces sur la lombalgie aiguë, subaiguë ou chronique, sur la cervicalgie aiguë, subaiguë ou chronique, sur la céphalée d’origine cervicale, les états vertigineux d’origine cervicale, et à un moindre degré sur la migraine Les complications possibles des manipulations cervicales sont rares, mais graves. Leur effet est incertain sur la céphalée de tension".
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