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"On m'a formé à devenir un charlatan" : un ancien ostéopathe devient lanceur d'alerte

Il s'est senti "trompé", "arnaqué". Ostéopathe de formation, Arthur Dian a mis fin à sa pratique seulement un an après avoir été diplômé. À 32 ans, il a entamé un Master d'histoire et de philosophie des sciences et mène un combat quotidien sur les réseaux sociaux pour dénoncer les dérives de l'ostéopathie. Pour Egora, il explique les raisons qui l'ont poussé à sortir du rang. "On a abusé de ma crédulité et de mon ignorance."

02/08/2024 Par Louise Claereboudt
Ostéopathes
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C'est "un peu par hasard" et par "manque d'information" qu'Arthur Dian s'oriente vers l'ostéopathie à l'âge de 24 ans. Il vient de passer plusieurs années à l'université, où il a étudié les mathématiques et l'informatique, sans grand enthousiasme. Attiré par la science, le jeune homme cherche sa voie : "Je ne savais pas trop vers quoi me diriger." Il se rend dans un centre d'orientation à Paris en espérant trouver son bonheur : en feuilletant une brochure, il tombe sur l'ostéopathie aux côtés de professions paramédicales. Il ne connaît pas bien la discipline. "J'avais plein de clichés en tête", reconnaît le jeune homme, qui hésite avec la kinésithérapie. "Pour moi, il était plus commun de voir des kinés devenir ostéos a posteriori que l'inverse. Puisque l'ostéopathie semblait être l'aboutissement de la kinésithérapie, je me suis dit : 'autant faire ça directement'. En plus l'accès aux études était bien plus facile", se souvient-il.

Arthur Dian débute ainsi ses études d'ostéopathie en 2016, à Nanterre. Un cursus à près de 10 000 euros par an. Au cours des premières années, il assiste à des cours de physiologie, d'anatomie, de biomécanique, de sémiologie et bien sûr de thérapie manuelle. "Il y a quand même un décorum scientifique et médical. On a vraiment l'impression de s'engager dans quelque chose de valide." Mais petit à petit, il trouve certains enseignements "douteux".  "Dès la 1ère année, on nous a enseigné des pratiques telles que l'ostéopathie crânienne ou la fasciathérapie, avec beaucoup d'appels au ressenti. Ces enseignements se sont multipliés par la suite." L'étudiant, qui s'initie à l'esprit critique, commence à poser des questions, à interroger ces enseignements. Mais les réponses qu'on lui apporte ne lui donnent pas satisfaction.

Alors qu'il s'apprête à entrer en 4e année, Arthur décide de changer d'école. "À partir de la 4e année, on prend en charge des patients dans les cliniques intégrées aux écoles. On a des créneaux sur lesquels on est normalement supervisés et on applique ce que l'on a vu en cours. Mais à Nanterre, la clinique était très peu fréquentée, j'avais peur de ne pas voir assez de patients", explique-t-il. Ses doutes sur la qualité des enseignements finissent par le convaincre d'aller voir ailleurs. Il s'inscrit dans un établissement du 14e arrondissement de Paris. Mais déchante rapidement... "Je m'aperçois que c'est encore plus mystique dans cette école." "Je me souviens avoir demandé à un responsable pédagogique pourquoi on apprenait l'ostéopathie crânienne, qui est classée comme technique illusoire par le Conseil national des masseurs-kinésithérapeutes. Il m'a répondu quelque chose du genre : 'Soyez ouvert d'esprit'", se rappelle l'étudiant, sidéré.

"Plus on avance, plus c'est le foutoir au niveau des cours, il y a tout et n'importe quoi", déplore Arthur. Le jeune homme, qui n'a pas sa langue dans sa poche, exprime son agacement sur sa page Facebook privée. "Je qualifie certaines pratiques de mystiques." Ses posts sont capturés par des camarades mal intentionnés et transmis au corps enseignant. Très vite, ses propos font le tour de l'école. "J'ai commencé à être stigmatisé, à avoir des problèmes, les profs me challengeaient", confie l'étudiant, qui vit très mal la situation. "Saqué" aux examens de fin d'année, ce dernier est contraint de redoubler. Mais pas question pour lui de rester entre ces murs. À la rentrée, il entre à l'école de Saint-Denis, "qui se présente comme enseignant les données les plus probantes". "C'est un peu le dernier espoir", souffle l'élève.

On a essayé d'exercer des pressions sur moi

Le presque trentenaire assiste à peu de cours. Ses années de galère et de désillusion, ainsi qu'un diagnostic de trouble autistique – posé entre sa 3e et sa 4e année, l'ont éreinté. Mais Arthur s'accroche. Il veut en finir avec ce parcours du combattant. "J'étais vraiment mal d'avoir dû redépenser 10 000 euros pour cette nouvelle année, de m'être engagé dans une voie qui, finalement, ne me correspondait pas… Il fallait que je termine."  L'étudiant tombe de haut une fois de plus. Son dernier espoir n'était-il qu'une "vitrine" ? "J'ai eu un cours avec un prof sans aucune référence qui disait se baser uniquement sur son expérience… Un autre nous a dit de poser nos mains au niveau de l'abdomen des patients pour sentir des choses… le mouvement des fascias. Elle m'a même parlé de physique quantique quand j'ai voulu en savoir plus."

Arthur Dian décroche péniblement son diplôme en 2022. Dès lors, le jeune ostéopathe entreprend de dénoncer les dérives qu'il a pu constater et celles auxquelles il sera confronté à l'avenir sur les réseaux sociaux. Il crée sa page Facebook en septembre, intitulée "Ostéopathie - dérives et esprit critique", sur laquelle il se décrit comme un "lanceur d'alerte". En parallèle, il intègre le Groupe d'études des mouvements de pensée en vue de la protection de l'individu (Gemppi). "J'entends de plus en plus parler d'ostéopathie biodynamique et je fais un lien avec l'anthroposophie, qui est une secte connue", ajoute le jeune homme. Il mène son enquête. "Je décide de faire une première vidéo Youtube sur le sujet." Première d'une série consacrée aux "charlatans de l'ostéopathie". Naîtront ensuite un compte Instagram puis un compte X, "en réaction à la création du BOT Dingueries ostéo". "Les ostéopathes disaient aux kinés qu'ils devraient balayer devant leur porte. Quel culot !"

"On a créé un monstre" : le combat de la présidente de l’Ordre des kinés contre les dérives de l’ostéopathie

Sa présence et son contenu sur les réseaux sociaux dérangent. "J'ai eu des problèmes avec le directeur de ma dernière école qui a essayé d'exercer des pressions sur moi, sur ma communication, une fois que j'étais diplômé, avance Arthur, indiquant avoir porté plainte à trois reprises. Il m'a harcelé pendant plus de huit mois, il a même contacté ma mère. Il ne voulait pas que j'associe l'ostéopathie au charlatanisme." Le diplômé décide de ne pas s'installer à son compte, ne sachant pas bien ce qu'allait donner sa démarche de lanceur d'alerte. "À ce moment précis, je ne veux pas prendre le risque de m'engager davantage." Il n'en a aussi pas les moyens. L'année redoublée a mis à mal ses finances. "J'ai emprunté 10 000 euros à mon grand-père, je ne suis pas sûr de pouvoir le rembourser avant qu'il ne décède, je suis écœuré", confie Arthur, qui a épuisé l'enveloppe de 50 000 euros constituée par ses parents, plutôt modestes, pour l'aider dans sa vie future.

J'ai une démarche très anti-commerciale

Il choisit de faire principalement des remplacements et de la collaboration. Et débute sa vie active à la rentrée de septembre 2022, avec l'espoir "que quelque chose change". Le jeune homme s'efforce d'exercer de façon éthique. "Je me sens chanceux à ce moment-là d'avoir remis les choses en question dès mon cursus, car cela nécessite tout un travail de déconstruction. Mais après on se dit : 'Qu'est-ce que je garde de ce que j'ai appris finalement ? C'est tout le raisonnement clinique qu'il faut remettre en question parce qu'on nous apprend à réfléchir d'une certaine façon, et c'est un problème." Il refuse par exemple de faire "de l'apposition des mains", sauf si le patient le demande expressément, mais il ne prétend pas guérir quoi que ce soit. Il tâche aussi de faire de l'éducation thérapeutique, n'hésitant pas à dire aux patients venus pour soulager un lumbago que "ça va passer". "J'ai une démarche très anti-commerciale, mais pour moi c'est important d'être honnête. J'ai été formé à être un charlatan et je n'ai jamais voulu en être un."

Il constate toutefois avec effarement que les dérives sont monnaie courante dans sa profession. "Je le vois au travers des dires des patients." S'il a eu "la chance" de rencontrer de "rares" ostéopathes qui se contentent de faire de la thérapie manuelle au regard des connaissances, Arthur s'indigne de voir que sur les plateformes de prise de rendez-vous, la plupart des ostéopathes proposent des prestations qui outrepassent leur champ de compétences, et, surtout, qui s'écartent des données de la science. Ostéopathie hémodynamique, biodynamique, ostéopathie somato-émotionnelle, approche tissulaire, ventouses… "On a l'impression qu'ils ont le droit de tout faire !" La faute, selon lui, à l'absence d'instance de régulation et de code de déontologie encadrant la discipline.

"J'ai un vrai problème avec le fait que les ostéopathes soient sur Doctolib car c'est une discipline pseudo-scientifique. Aux yeux des gens, ça légitimise encore plus : ils sont sur Doctolib, on les prend pour des professionnels de santé", déplore Arthur.

Ce dernier dénonce le fait que "les ostéopathes prétendent tout soigner". "Enfin, ils ne disent pas 'soigner' mais 'prendre en charge', il y a des indications…", ironise-t-il. "C'est plus une problématique épistémologique, je pense. Comme les pseudo-sciences commettent un peu la même erreur de raisonnement, c'est-à-dire qu'elles ne se basent pas sur la preuve scientifique, il y a une certaine porosité entre les différentes disciplines, avec tout type de pratiques douteuses. J'ai plein d'anciens camarades qui sont aussi devenus naturopathes ou kinésiologues", observe le lanceur d'alerte. Et de poursuivre : "On nous incite dès l'école à diversifier notre pratique. On nous disait qu'on devait 'garnir notre palette d'outils thérapeutiques'."

Étendre son champ de compétences est aussi, pour les jeunes sortis d'école, une façon de survivre financièrement, alors que la pratique a explosé et que les ostéopathes ont inondé le marché. Arthur Dian, lui, ne parvient à se verser que 750-900 euros de salaire mensuel environ. Pour lui, le "fort lobbying" et le fait que "les ostéopathes font eux-mêmes une sorte de prosélytisme pour l'ostéopathie" ont provoqué l'explosion de la discipline. "Quand l'ostéopathie est reconnue en 2002, il y a une explosion des écoles qui se créent partout, ensuite il y a une régulation de la formation qui n'intervient qu'en 2014, qui se traduit par une réduction des écoles. Aujourd'hui il y en a 31. C'est beaucoup. On crée une offre donc quelque part ça crée de la demande." Preuve en est, d'après un sondage Odoxa, l'ostéopathie est la thérapie alternative à laquelle les Français ont le plus recours.

Pour moi, l'ostéopathie ressemble à une structure sectaire

Refusant de se dévoyer, Arthur Dian a mis fin à son activité d'ostéopathe il y a quelques mois. En septembre 2023, il a entamé un Master histoire et philosophie des sciences à Paris Cité, dans lequel il s'épanouit désormais et qui l'aide à faire la lumière sur certaines pratiques. Il est aujourd'hui convaincu, l'ostéopathie est "une secte". "Elle répond à beaucoup de critères du risque sectaire donnés par la Miviludes. Moi j'ai l'impression d'avoir vécu des dérives sectaires*. Ça m'a porté préjudice parce qu'on a abusé de ma crédulité et de mon ignorance. Je n'aurais jamais dépensé cet argent, j'aurais fait autre chose de ma vie [si j'avais su]", confie l'étudiant de 32 ans, amer. "Derrière il y a une vraie emprise, des formes d'autorité avec des gourous du côté des formateurs… Il y a un culte de la personnalité envers celui que j'appelle le prophète, le fondateur [Andrew Taylor Still], et toute une doctrine que les ostéopathes vont répéter parce que c'est ce qu'ils ont appris. Pour moi, cela ressemble beaucoup à une structure sectaire."

Le lanceur d'alerte n'hésite pas à pointer la responsabilité de l'Etat. "Je ne comprends pas pourquoi il n'y a pas de contrôle des écoles, pourquoi il existe des dispositions qui profitent à l'ostéopathie, comme le fait que les ostéos aient un numéro Adeli. J'imagine que les pouvoirs publics ont tendance à minimiser l'impact tant qu'il n'y a pas de gros scandale…" En attendant, "on forme des charlatans en masse, des étudiants sont trompés, abusés, piégés avec un prêt à rembourser. Moi j'estime m'être fait arnaquer. C'est dur pour tous ces jeunes...", s'indigne le jeune homme qui milite pour l'ouverture d'une passerelle permettant aux élèves en ostéopathie d'intégrer une deuxième année de kinésithérapie. Une issue de secours, en somme. "Ça changerait probablement des choses dans l'opinion publique. Ce seraient désormais les ostéos qui deviendraient kinés", estime-t-il encore.

L'Igas, dans un rapport sévère sur la discipline, suggérait par ailleurs de reconnaître les ostéopathes comme "professionnels de santé" afin de garantir une meilleure qualité de la formation. Pour Arthur Dian, ce serait une erreur. "Ce serait reconnaître une pseudoscience comme une profession de santé car l'ostéopathie n'est pas juste une thérapie manuelle, c'est une philosophie pseudoscientifique et spiritualiste." "Cela fait longtemps que je me dis que l'ostéopathie, ça ne sert à rien d'essayer de la sauver", poursuit le jeune homme. Ce dernier milite pour intégrer plus de thérapie manuelle dans la pratique des kinés, mais appelle surtout à protéger les usagers : "Que les ostéos ne soient pas autant libres que ce qu'ils sont aujourd'hui de dire et de faire ce qu'ils veulent. Là c'est un cirque."

Sur la paille mais heureux d'être sorti de ce tourbillon, Arthur s'apprête à entrer en M2 à la rentrée. Il prévoit déjà de faire un mémoire de recherche sur la genèse du concept en ostéopathie "pour interroger la validité épistémologique de l'ostéopathie". Puis souhaiterait poursuivre avec une thèse, avec un prisme plus large, sur le sujet. En parallèle, il continue de poster tous les jours des alertes sur les réseaux sociaux. "Beaucoup d'ostéos qui me suivent ont eu une prise de conscience", assure-t-il, comme un pansement sur sa plaie. Passionné par son nouveau cursus, l'étudiant aimerait devenir à terme enseignant-chercheur. Ce serait, selon lui, une belle revanche.

*La Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires définit la dérive sectaire comme "un dévoiement de la liberté de pensée, d’opinion ou de religion qui porte atteinte à l'ordre public, aux lois ou aux règlements, aux droits fondamentaux, à la sécurité ou à l’intégrité des personnes. Elle se caractérise par la mise en œuvre, par un groupe organisé ou par un individu isolé, quelle que soit sa nature ou son activité, de pressions ou de techniques ayant pour but de créer, de maintenir ou d’exploiter chez une personne un état de sujétion psychologique ou physique, la privant d’une partie de son libre arbitre, avec des conséquences dommageables pour cette personne, son entourage ou pour la société".

Faut-il inciter les spécialistes à être médecin traitant de leurs patients chroniques ?

Michel Rivoal

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Proximité, accessibilité, réseau, coordination… Hyperspécilisation, technicité, fréquence de recours faible… Bien sûr des gériatre... Lire plus

1 commentaire
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Médecine générale
il y a 15 minutes
Est ce que les futurs anciens pharmaciens témoigneront de même?...Lire plus
 
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