Tribune initialement publiée dans Le Journal du dimanche "Dans une tribune collective publiée par Le Figaro, d’anciens directeurs responsables de la Fédération hospitalière de France (FHF), deux anciens ministres, Messieurs Claude Evin et Jean Léonetti, ainsi que le président de la commission des Affaires sociales du Sénat se prononcent pour le changement de statut de l’hôpital public et sa transformation en établissement privé à but non lucratif (établissement de santé privé d’intérêt collectif, Eespic). Ces partisans de la tarification à l’activité y voient l’aboutissement logique de la gouvernance d’entreprise mise en place par la loi HPST en 2009 qui instaurait, comme l’avait dit alors le Président Nicolas Sarkozy « un seul patron à bord : le directeur ». En effet dans un Espic, comme le souligne les auteurs de la tribune, le « directeur signe les contrats de l’ensemble des personnels », ce qui permet de diversifier les salaires en fonction de la rentabilité des différents professionnels et de la concurrence sur le marché. Le manipulateur radio ou l’orthopédiste sont plus recherchés que le gériatre ou le spécialiste du Sida. Le contrat permet également de se séparer plus facilement d’un « screugneugneu », pour reprendre l’expression de Martin Hirsch. Les auteurs de la tribune estiment que le directeur est responsable « du management, de l’organisation et de la stratégie » et trouvent que la loi HPST instaurait un « équilibre des pouvoirs » puisqu’elle ne « remettait pas en cause l’indépendance diagnostique et thérapeutique du corps médical ». Il ne manquerait plus que ça ! Mais pas un mot dans cette tribune sur l’élaboration du projet médical et de santé de l’établissement. Qui doit l’élaborer, le directeur administratif ou les soignants ? Avec quelle finalité, la réponse aux besoins de la population ou la rentabilité de l’établissement, en abandonnant les activités jugées non rentables et en développant les activités rentables, comme la chirurgie ambulatoire ou la dialyse ? Ces partisans de la T2A qui amène l’hôpital à vendre des séjours comme une grande surface vend ses produits, récusent l’accusation de « gestion comptable » et revendiquent « une gestion responsable vis-à-vis de l’argent public ». Comme si depuis l’instauration en 2008 de la T2A pour toutes les activités de soins, les directeurs hospitaliers n’avaient pas poussé à l’augmentation de l’activité en multipliant les séjour quitte à faire revenir le patient, à la maximisation de la facture à la Sécurité sociale en « optimisant le codage », au développement d’activités rentables, comme la chirurgie de l’obésité ou de la thyroïde, pour selon leur propre expression « gagner des parts de marché ». Faut-il leur rappeler ce propos d’un directeur d’un ESPIC connu : « Je ne suis pas là pour défendre la Sécu, je suis là pour défendre mon établissement ». Le même, lors de sa prise de fonction, avait fermé l’activité de suivi des patients atteints du Sida en les renvoyant dans les hôpitaux publics… Et il ajoutait sans détour « on me donne un outil, la T2A, je le fais marcher ». On peut comprendre ce directeur car le statut privé de son établissement à but non lucratif l’oblige à éviter le dépôt de bilan, la mise en liquidation puis le rachat par une chaîne de cliniques privées commerciales.
Mais cette gestion comptable, reconnue et assumée par ce directeur d’Espic et niée par les auteurs de la tribune, est à l’opposé de la règle éthique qui devrait s’imposer à tous, médecins, paramédicaux, gestionnaires et usagers : « le juste soin pour le patient, au moindre coût pour la collectivité ». Et c’est pourquoi, il faut limiter la T2A au financement des activités programmées, standardisées en contrôlant la pertinence de leurs indications. Il faut en finir avec le couple destructeur, budget annuel (Ondam) contraint limitant les moyens et T2A poussant à toujours plus d’activité. Un budget global annuel modulé d’une année sur l’autre en fonction de critères simples et robustes d’évolution de l’activité, comme l’expérimentent certaines ACO américaines, permettrait une cogestion entre la direction administrative et la direction médicale. Cette cogestion devrait impliquer la direction des soins paramédicaux et associer les représentants des usagers. Elle mettrait la gestion au service du soin et non l’inverse. « En situation de conflit qui doit arbitrer ? », le président de la CME élu par ses pairs ou le directeur administratif, se demandent les auteurs de la tribune, « inquiets des déclarations du Président le 15 Mai à la Pitié Salpêtrière ». Il faut en effet en discuter, selon des modalités qui respectent le champ de compétence de chacun et les oblige à s’entendre. Le président de la CME est responsable devant les représentants élus de la communauté médicale, le directeur administratif l’est devant le pouvoir exécutif. Ce tandem pourrait l’être aussi devant le conseil de surveillance qui regroupe élus locaux, soignants et personnalités qualifiées. Mais on imagine mal comment l’ARS maintiendrait dans son poste un directeur désavoué par une écrasante majorité de soignants. Reste un point d’accord avec les auteurs de la tribune « la rigueur budgétaire imposée aux hôpitaux par les gouvernements successifs depuis plus de dix ans a rendu les choix et la vie plus difficiles dans les hôpitaux ». Sauf qu’eux, contrairement à nous, l’ont de fait accepté et n’ont jamais soutenu les mouvements de protestation. Mais si nous avons pu le faire sans relâche depuis 10 ans, c’est que nous étions protégés par un statut qui nous permet d’être au service du public et non au service du directeur de l’établissement. On comprend mieux pourquoi, ils veulent abolir ce statut."
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