"Il leur faut un suicide pour se rendre compte du bordel dans cette fac ?" : quand la fusion de Paris Descartes et Diderot vire au fiasco

06/01/2021 Par Sandy Bonin & Louise Claereboudt
La coupe est pleine pour les étudiants en médecine de l'Université de Paris (fusion de Paris 5 et de Paris 7). Alors que depuis le début de l'année, ils font les frais d'une gestion de la fusion "mal organisée", ils doivent désormais faire face à l'annulation de leurs partiels à cause de problèmes de réseau et d'organisation. Un report des examens annulés ou effectués partiellement a été décidé hier par la faculté.
 
 

"J'ai toujours été de nature joyeuse, malgré les difficultés. Mais là, quand je pense aux études, je deviens triste. Je n'ai jamais été comme ça. J'étais tellement content de pouvoir partir en vacances la semaine prochaine. C'était notre seule semaine de vacances. J'ai dû annuler. Nous n'avons aucune visibilité sur le programme des futures épreuves". Eliott, étudiant à l'Université de Paris est à bout. Il se sent "démuni". Heureux de passer les partiels pour pouvoir "enfin être débarrassé", il a vite déchanté. "Au début de l'épreuve ma tablette ne fonctionnait pas. Il n'y avait pas de réseau. Quand j'ai parlé de mon problème on m'a d'abord dit que c'était de ma faute. Après avoir insisté j'ai fini par obtenir une autre tablette au bout de quelques minutes", raconte l'étudiant parisien de deuxième année. Le jeune homme peut alors enfin plancher sur son épreuve composée de deux cas cliniques. Mais 30 minutes avant la fin de l'examen, il apprend qu'un QCM a été oublié et qu'il va devoir y répondre. "En termes de gestion du temps, c'était une situation très stressante", commente le carabin.

Une fois le partiel terminé, les étudiants patientent 1H30 avant le début de la prochaine épreuve. 15 minutes avant de commencer, ils apprennent que la suivante est annulée à cause d'un problème de connexion à Internet. "On est tous rentrés chez nous sans comprendre et nous avons fini par recevoir un mail à 21h pour nous dire que les épreuves du lendemain étaient également annulées", s'agace l'étudiant. "On se sent abandonnés et peu soutenus. Certains élèves sont au bout du rouleau. "Ils ont mis des psychologues à disposition, mais la ligne ne répond pas", soupire Eitan, autre étudiant P2 de l'Université de Paris. "C'est très stressant. Nous avons travaillé pendant toutes les vacances pour ces partiels. Là, nous ne savons pas si les épreuves ont bien été annulées et quand les prochaines seront reportées. Nous avons le sentiment de n'avoir aucun soutien de la fac", déplore Thomas.   Bug informatique Contacté par Egora, le doyen de la faculté de médecine, Philippe Ruszniewski, confirme...

qu’un "bug informatique" est à l’origine des annulations. "Nous, UFR de médecine, avions pourtant alerté depuis plusieurs mois car on n’était pas dupes du fait que, ayant une promotion de 800 étudiants après la fusion, il fallait sécuriser le système informatique pour que cela tienne." Selon le doyen, des vérifications avaient toutefois été réalisées en décembre. "L’Université nous avait dit que c’était bon et qu’il n’y avait pas de soucis à se faire donc nous y sommes allés contents et confiants", explique le doyen, qui se dit "complètement effondré" par la situation. Pour la première épreuve, Philippe Ruszniewski indique que la quasi-totalité des étudiants ont pu la réaliser. "Il reste une cinquantaine sur 800 qui sont sur le carreau." Ils pourront rattraper cet examen "après leurs vacances", assure le doyen, qui précise que ce rattrapage sera "aussi ouvert à ceux qui, l’ayant passé plus ou moins ‘normalement’, ne sont pas contents des conditions dans lesquelles ils l’ont passé". Pour les épreuves du mardi, qui n’ont donc pas pu se dérouler, le doyen justifie l’annulation très tard la veille par une impossibilité de s’assurer du bon fonctionnement du système informatique. "J’ai pris la décision de ne pas convoquer les étudiants pour les épreuves d’hier parce que j’avais très peur que ça re-plante et que ça devienne ingérable."

Les épreuves de mercredi 6 janvier, se tiendront finalement en distanciel, "aux heures prévues" pour éviter une situation similaire. Celles qui n’ont pas pu avoir lieu lundi et mardi auront lieu jeudi 7 et vendredi 8 janvier, "toujours en distanciel".   "La goutte d’eau qui fait déborder le vase" "Le problème majeur n’est pas la mauvaise organisation des partiels : c’est uniquement la goutte d’eau qui fait déborder un vase déjà trop plein... Depuis le début de l’année, nous subissons...

les défauts d’une fusion mal gérée. Les programmes sont additionnés (400 pages par semaine), les volumes horaires non respectés, nous avons des contrôles continus en parallèle de cours à regarder. Les partiels ont lieu en présentiel dans des conditions ne respectant absolument pas les conditions sanitaires (dans des amphis non aérés avec une impossibilité de respecter les bonnes distanciations). Mais d’après la faculté ‘la vie est un processus à haut risque’, donc le présentiel se justifie. Aberrant pour une faculté de médecine", s'emporte Camille.

 

Car pour tous les étudiants interrogés, la fusion de Paris 5 et Paris 7 est bien à l'origine de ce fiasco. "Cette fusion prévue depuis un an a été très mal faite. Nous avons l'impression que rien n'a été préparé. Les programmes des deux facultés ont été additionnés", regrette Thomas. "Sur un semestre, nous avons 4.200 pages à apprendre. Nous avons comparé avec les troisièmes années qui n'ont pas encore fait la fusion. Ils ont 1.200 pages à retenir", s'insurge Eitan. "C'est inhumain de devoir apprendre tout ça. J'ai été obligé de devoir faire plusieurs impasses", regrette Eliott. "La fusion n’a pas entraîné une augmentation des connaissances exigibles, rétorque Philippe Ruszniewski. Non pas à cause de la fusion mais du Covid, on n’a pas vu les étudiants. Ils ont donc eu leurs cours sous forme de capsules informatiques sur les ordinateurs qu’ils ont, en général, recopié in extenso, ce qui leur fait des volumes de cours monstrueux...

que d’habitude ils n’ont pas. Ils ont une impression qu’on leur demande davantage depuis la fusion, mais c’est faux." Face à cette situation, la faculté multiplie les réunions pour un résultat inexistant, estiment les carabins. "Lorsque l'on s'adresse à l'équipe pédagogique, une seule personne est compréhensive. On m'a même répondu que si je commençais à me plaindre maintenant, ça serait pire en troisième année", soupire Eliott. "Ils ne nous proposent aucune solution", abonde Eitan.

"Oui, la fusion est responsable de difficultés supplémentaires, reconnaît le doyen de la faculté, parce que les services administratifs sont sous pression. Je ne pense pas que ce surcroît de travail, que représente une fusion, ait été bien anticipé. Trouver des interlocuteurs pour les étudiants, même si on s’efforce d’être à leur écoute et à leur disposition, ça reste quelques fois difficile." "Les étudiants sont en colère contre cette faculté qui ne leur permet pas de passer leurs examens dans des conditions décentes", résume Morgane Gode-Henric, présidente de l'Anemf. Hier, ils ont pris possession de Twitter avec le #mentalbreakup qui a été repris plus de 15.000 fois depuis lundi. Face à cette colère, le doyen souhaite l’apaisement. "Je leur ai dit que je comprenais extrêmement bien leur problème, parce qu’ils cumulent les effets de l’épidémie et de la fusion, que je suis évidemment navré, et qu’on était là pour les accompagner." Au-delà du manque de considération, ils dénoncent dans des vidéos le problème flagrant de distanciation sociale engendré par la tenue des épreuves en présentiel, alors qu'ils réclamaient de pouvoir tenir les examens en distanciel.  

 

"Avec cette fusion la promotion de deuxième année est immense, ils sont 842", explique Morgane Gode-Henric, les examens ont donc dû être organisés dans plusieurs amphithéâtres. L'Université de Paris se targue d'être une des meilleures au monde, mais le classement de Shangaï oublie la qualité de vie et le bien être des étudiants. Il y a un vrai problème de santé mentale des étudiants avec cette fusion", dénonce-t-elle. "Notre pronostic vital est engagé", prévient Camille.

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