Cancers : des troubles cognitifs à prendre en compte
De nombreux patients atteints de cancer se plaignent de troubles cognitifs qui peuvent, malgré leur caractère souvent modéré et transitoire, avoir un impact majeur sur la qualité de vie.
"Dans le cancer, la gestion des traitements est tellement lourde et compliquée qu’il n’est pas évident de détecter les troubles cognitifs", a signalé la Dre Sylvie Dolbeault, chef du service psycho-oncologie et social de l’Institut Curie (Paris). Ces altérations concernent certains domaines : mémoire de travail, mémoire verbale, fonctions exécutives, vitesse de traitement, concentration… et peuvent survenir pendant les traitements et/ou après. "Elles sont souvent légères à modérées. La plainte subjective n’est pas toujours confirmée par les tests. Dans 70 % des cas, les troubles vont se stabiliser ou s’améliorer au bout d’un à deux ans. Ils sont source d’anxiété et ont un impact certain sur la qualité de vie, l’autonomie et l’observance", a décrit la Pre Bénédicte Giffard, professeure de neuropsychologie à l’université de Caen Normandie.
Une étiologie multiple
Leurs causes peuvent être diverses : la maladie en elle-même, l’âge avancé, les comorbidités (risque vasculaire, diabète, obésité…), le style de vie (tabagisme, alcool, alimentation…), la génétique, les facteurs psychologiques ou encore les effets des traitements. La chimiothérapie entraîne en effet des changements neuronaux : diminution du volume de la substance grise et de l’hippocampe, anomalie de la connectivité fonctionnelle... "Les molécules les plus utilisées dans le cancer du sein et les plus mises en cause sont le méthotrexate, le 5-fluorouracile, les anthracyclines, et peut-être les taxanes. Il existe un effet dose et un effet cumulatif (nombre de cycles)", a détaillé la Pre Florence Joly, professeure en oncologie médicale au centre François Baclesse à Caen. Si le "brouillard cognitif" est surnommé "chemotherapy-related cognitive impairment" (CRCI), le lien entre les deux n’est pas si évident. Et des risques existent aussi avec les thérapies ciblées ou l’immunothérapie. "Les inhibiteurs des points de contrôle de l’immunité peuvent engendrer des maladies auto-immunes. Les effets neurologiques sont de l’ordre de 3 à 4%. Les CAR-T cells entraînent des réactions inflammatoires très importantes, avec des encéphalopathies dans 40% des cas en hématologie", a poursuivi la Pre Joly. Quant à l’hormonothérapie, les données manquent encore.
Les facteurs psychologiques en cause
Les troubles cognitifs sont également la résultante de troubles psychologiques, également présents pendant la phase de rémission : sentiment de vulnérabilité, anxiété, dépression, isolement, séquelles fonctionnelles et physiques, fatigue… "Le sommeil est important pour l’intégrité cognitive (santé psychique, phénomènes mnésiques...). Or chez les patients atteints de cancer, il y a plus de plaintes pour insomnie et apnées du sommeil qu’en population générale", a relevé Joy Perrier, chercheuse en neuropsychologie et imagerie de la mémoire humaine au sein de l’unité Inserm/EPHE/PSL/Unicaen. Ces plaintes sont enregistrées avec la chimiothérapie et la radiothérapie dans le cancer du sein, tandis que les effets de la chirurgie et de l’hormonothérapie sont "plus hétérogènes".
Nécessité d’une prise en charge globale
L’accompagnement du patient nécessite d’évaluer de très nombreux paramètres : personnalité, état psychologique, hygiène de vie, entourage, reprise des activités sociales et professionnelles… "l faut intégrer précocement la dimension cognitive dans le parcours de soins", a plaidé la Dre Dolbeault. "Le professionnel de santé doit être à l’écoute, légitimer la plainte, évaluer les besoins qui sont très évolutifs, donner des perspectives au patient, expliquer le parcours de soins, mettre en place un programme personnalisé, en coordination avec les soins de support (consultation mémoire, atelier onCOGITE, réseau Onconeurotox)."
Cancer et grand âge : des fragilités qui s’additionnent
Près de 2/3 des patients diagnostiqués d’un cancer ont plus de 65 ans et 1/3 plus de 75 ans. Dans cette population, le dépistage des fragilités cognitives (tests Mini-Cog, MMSE, test de l’horloge, test MoCA) est recommandé en amont des traitements. "Cela permet de prédire les toxicités et les complications, la survie et l’observance pour ajuster le projet thérapeutique si besoin. Cependant, il est rare que l’on puisse le faire", a indiqué la Dre Bérangère Beauplet, gériatre au CHU de Caen Normandie. Un bilan neuropsychologique peut alors être initié en cours de traitement ou après. "En agissant sur les troubles du sommeil, le niveau d’activité physique, on peut contribuer à améliorer les capacités cognitives. Il faut une prise en charge holistique."
Les autres articles de ce dossier :
- Sclérose en plaques : mise à jour des recommandations de prise en charge
- Epilepsie : un impact multiple sur le quotidien des patients
- AVC : de nouvelles orientations dans la prévention secondaire
Références :
Sources : Journées de neurologie de langue française (JNLF, 9 - 12avril, Paris). D’après les présentations des Pres Bénédicte Giffard (Université de Caen Normandie), et Florence Joly (Centre François Baclesse, Caen), des Dres Bérangère Beauplet (CHU de Caen Normandie), et Sylvie Dolbeault (Institut Curie), et de Joy Perrier (Inserm/EPHE/PSL/Unicaen), lors de la session "Cognition et cancers hors SNC".
La sélection de la rédaction
Etes-vous favorable à l'instauration d'un service sanitaire obligatoire pour tous les jeunes médecins?
M A G
Non
Mais quelle mentalité de geôlier, que de vouloir imposer toujours plus de contraintes ! Au nom d'une "dette", largement payée, co... Lire plus