Hormis le continuum neurocognitif depuis les stades précliniques jusqu’à la démence, il existe aussi un continuum comportemental lié aux troubles cognitifs : les symptômes psycho-comportementaux existent chez environ la moitié des personnes ayant des troubles cognitifs légers et sont quasiment systématiques au stade de démence. Il existe aussi des modifications comportementales dès le stade préclinique. Il s’agit généralement de modifications subtiles et progressives de la personnalité. Mais parfois, dans certaines autres situations, des décompensations psychiatriques peuvent inaugurer l’entrée dans le processus neurodégénératif. Ainsi, les prodromes psychiatriques sont un mode d’entrée dans la maladie d’Alzheimer dans un quart des cas. Mais parce que les troubles psychiatriques font partie de la clinique des maladies neurodégénératives et que des symptômes cognitifs accompagnent souvent les troubles de l’humeur, notamment chez les sujets âgés, le diagnostic peut s’avérer complexe.
Aussi, toute primodécompensation psychiatrique du sujet âgé doit faire rechercher une cause neurologique et suggérer une imagerie et un bilan neuropsychologique. "On pense que ces décompensations pourraient révéler une vulnérabilité antérieure mais méconnue chez quelqu’un qui n’a pas été exposé à de forts facteurs de stress au cours de sa vie, notamment pour les troubles associés à une participation génétique", a précisé le Dr Jean-Michel Dorey (CH Le Vinatier, Lyon).
Distinguer apathie et dépression
Il est aujourd’hui bien établi que la dépression est à la fois un facteur de risque, du fait de sa neurotoxicité, et un prodrome de la maladie d’Alzheimer. Chez les sujets âgés, ceux qui ont une dépression évoluent vers la démence de façon plus rapide que ceux qui n’en ont jamais eu ou que ceux qui ont eu une dépression par le passé. Parallèlement, l’association entre les deux est particulièrement forte lorsque le délai entre entre dépression et démence est inférieure à 5 ans, ce qui sous-entend épidémiologiquement que la dépression est aussi une expression prodromale de la maladie d’Alzheimer. Distinguer l’apathie, qui touche une majorité de patients Alzheimer, et le mode d’entrée d’allure dépressive dans la maladie neurodégénérative demande une évaluation spécialisée, avec bilan neuropsychologique et imagerie, car leur prise en charge est distincte. "Toute dépression résistante doit faire penser à une fausse dépression et suggérer une apathie, qui doit motiver un bilan paraclinique à la recherche d’un trouble neurocognitif ", a insisté le spécialiste. Parallèlement, les épisodes dépressifs relativement sévères avec des caractéristiques psychotiques mélancoliques et les schizophrénies tardives peuvent faire penser à une maladie à corps de Lewy. La démence frontotemporale, qui reste plus rare, est le plus souvent associée à des variants langagiers ou comportementaux ou des symptômes psychotiques, et s’avère souvent difficile à suspecter parce que les manifestations psychiatriques sont plus fortes que les cognitives, et parce qu’elle peut répondre au traitement initial psychotrope.
Tous les troubles psychiatriques sont associés à un sur-risque de démence
À mesure que les populations de patients schizophréniques ont vieilli, on a pu décrire plus volontiers leur trajectoire neurocognitive : "On pense que les troubles cognitifs prééxistent et s’aggravent sur les 5-10 ans suivant le diagnostic, a décrit le Dr Nicolas Hoertel (hôpital Corentin-Celton, Boulogne-Billancourt). Ensuite, le processus se stabilise hormis chez les patients institutionnalisés. Aussi, quand une aggravation cognitive brutale a lieu au-delà de cette première période, il faut soupçonner un délirium, une dépression ou une démence."
Enfin, outre les formes vieillissantes, des schizophrénies à début tardif (après 40 ans) ou très tardif (après 60 ans) existent : leur présentation clinique et neurocognitve ressemble à celle des schizophrénies de survenue plus précoce mais leur profil neurodégénératif est souvent plus sévère. Les études décrivent que les antipsychotiques LP injectables sont associés à une évolution cognitive défavorable moins accentuée, "sans doute parce que ce traitement impose un suivi plus étroit de ces patients, protecteur par rapport à ceux qui prennent des traitements per os", a-t-il commenté.
Enfin, le risque global de démence est multiplié par trois chez les sujets âgés ayant des troubles bipolaires, et 30 % des sujets bipolaires âgés ont des troubles cognitifs : ils touchent surtout la mémoire épisodique verbale, le processus attentionnel, les fonctions exécutives et la vitesse de traitement de l’information. Ils impactent le fonctionnement global et augmentent avec la sévérité, la durée des épisodes et le nombre de récurrences des épisodes bipolaires, de manière croissante à mesure que le sujet vieillit. Les liens entre les deux sont multiples : la bipolarité est un facteur de risque biologique de processus neurodégénératifs, du fait de la neurotoxicité des épisodes thymiques répétés, et probablement en raison d’évènements cérébrovasculaires plus fréquents. De fait, les troubles cognitifs des sujets âgés bipolaires nécessitent une prise en charge multidisciplinaire. Les traitements médicamenteux doivent être optimisés en diminuant la charge anticholinergique, certains thymorégulateurs comme le valproate et, bien évidemment, les benzodiazépines. Concernant ces dernières, il faut rappeler qu’il est aujourd’hui démontré que leur utilisation est associée à un risque accru de développer une maladie d’Alzheimer après 65 ans. Sur le plan biologique, ce lien repose notamment sur l’induction d’une amnésie antérograde, d’une confusion et d’effets délétères de ces médicaments sur la réserve cognitive. La Pre Marie Tournier (CHU Bordeaux) a insisté : "Cette association est absente pour les durées de traitements de moins de 3 mois. Mais elle existe ensuite, avec un risque qui augmente avec les doses croissantes, des durées de traitement plus longues et le recours à des demi-vies plus longues". Statistiquement, le mésusage des benzodiazépines concerne le plus souvent les plus de 65 ans. Le sevrage progressif du traitement est donc indispensable, selon les recommandations de la Haute Autorité de santé.
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