
Allergies au lait de vache : attention aux "dangerous bottles"
Les allergies aux protéines de lait de vache constituent pour l’enfant et sa famille un poids quotidien. Les «dangerous bottles», ces compléments de lait administrés à la maternité, doivent être absolument évitées.

Face à un nourrisson atteint de coliques ou de régurgitations, il est commun de soupçonner une allergie aux protéines de lait de vache (APLV). À tort, estime la Dre Anaïs Lemoine, du service de nutrition et gastroentérologie pédiatrique de l’hôpital Armand-Trousseau (Paris) : «Des coliques isolées, des régurgitations bénignes, ne doivent pas évoquer une APLV en première intention mais des troubles fonctionnels intestinaux.» Conséquence de cette confusion, les APLV «sont sûrement surdiagnostiquées par excès, et leur prévalence est probablement inférieure à 1 %».
Comment s’assurer de la présence d’une APLV ? Comme le rappellent les recommandations européennes publiées en 2024 par l’European Society for Paediatric Gastroenterology, Hepatology and Nutrition (Espghan) (1), c’est le test d’éviction, mené sur une période de deux à quatre semaines, qui doit faire foi. Quant aux APLV médiées par les anticorps de type IgE (immunoglobulines E), le diagnostic doit, en outre, s’appuyer sur le prick test et/ou le dosage des IgE spécifiques aux protéines de lait de vache.
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En matière de traitement, les experts européens préconisent de remplacer le lait de vache par un hydrolysat poussé de lait de vache ou un hydrolysat de protéines de riz. L’étude française Grito n’a pas montré de différence significative entre les deux options en termes de croissance ou d’âge à l’acquisition de la tolérance aux protéines de lait de vache (2).
Si l’enfant présente une réponse insuffisante à ces produits, ou en cas de dénutrition sévère, l’Espghan propose de recourir à une formule enrichie en acides aminés. Quant aux hydrolysats partiels, ils n’ont «plus leur place» dans la prise en charge, observe Anaïs Lemoine. Nouveauté de ces recommandations : la nécessité pour la mère d’éviter la consommation de lait de vache (mais pas d’autres mammifères) lors d’une suspicion d’APLV chez un enfant sous allaitement maternel exclusif.
Une rupture de tolérance
En termes de prévention, il est crucial d’éviter, lorsque les parents souhaitent l’allaitement maternel exclusif, toute mise en contact avec le lait de vache à la maternité. Surnommés « dangerous bottles», ces biberons engendrent un sur-risque d’APLV, du fait d’une «rupture de tolérance» lorsque le lait de vache est réintroduit quelques mois plus tard. Pour Anaïs Lemoine, «l’allaitement maternel est à promouvoir dans tous les cas, mais il faut respecter le choix parental d’allaiter ou non son bébé. Surtout, il est important de ne pas exposer les enfants au lait de vache si l’allaitement exclusif est souhaité». Sauf nécessité médicale, par exemple en cas de petit poids ou d’hypoglycémie, auquel cas il faut privilégier un hydrolysat extensif de protéines de lait de vache ou de riz, complète la Dre Dominique Sabouraud, du service de pédiatrie générale et spécialisée du CHU de Reims.
Si des compléments de lait de vache ont malgré tout été administrés, ou en cas de terrain familial atopique, les experts évoquent la possibilité d’administrer des compléments à l’enfant sous allaitement maternel, à raison de 10 ml/j administrés à la cuiller ou à la seringue, afin de maintenir la tolérance.
«Plusieurs études montrent que la prévalence d’APLV est plus faible chez les enfants exposés régulièrement et précocement aux protéines de lait de vache», note Anaïs Lemoine. En raison des biais que comportent plusieurs de ces travaux, l’Espghan ne se prononce pas quant à l’intérêt de cette pratique. Pour Anaïs Lemoine, cette complémentation présente «plutôt des avantages, et peu de risques».
Une réintroduction après six mois d’éviction
Quant à la réintroduction du lait de vache, les recommandations de la World Allergy Organization, publiées en 2024, proposent de l’effectuer après six mois d’éviction et/ou dès l’âge de 9-12 mois (3). Dans les formes non médiées par les IgE, cette reprise, d’abord sous forme cuite, puis non cuite ou fermentée, peut s’effectuer à domicile, mais toujours à l’hôpital si l’APLV est liée aux IgE, en raison d’un risque de choc anaphylactique.
Chez l’enfant, cette dernière forme est la plus redoutable. «Le vécu de ces enfants est vraiment difficile, leur qualité de vie très altérée. Les familles n’ont pas droit à l’erreur, d’autant qu’il s’agit d’un allergène ubiquitaire, qui nécessite une vigilance constante», explique Dominique Sabouraud. Selon les données du Réseau d’allergo-vigilance, qu’elle préside, 129 cas d’anaphylaxie ont été recensés en France entre 2002 et 2023, dont deux mortels chez des enfants de 5 et 9 ans exposés en milieu scolaire. Alors que l’immunothérapie orale aux aliments, visant à améliorer la tolérance, demeure difficile chez l’enfant, de récents travaux ont suggéré l’intérêt de la pratiquer au plus tôt, dès le diagnostic (4).
1. Vandenplas Y, et al. Journal of Pediatric Gastroenterology and Nutrition, 19 février 2024.
2. Lemoine A, et al. Nutrients, 31 décembre 2024.
3. Bognanni A, et al. World Allergy Organization Journal, 26 mars 2024.
4. Boné Calvo J, et al. European Journal of Pediatrics, 11 juillet 2020.
Au sommaire de ce dossier :
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Références :
D’après un webinaire de la Société française de pédiatrie, «Allergie aux protéines de lait de vache : du nouveau !» (3 février 2025).
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