"Ce soir, on a assisté à un numéro de communication", fustige le Dr Jérôme Marty, président de l'Union française pour une médecine libre (UFML), au sortir de quatre heures de discussions avec la Caisse nationale de l'Assurance maladie (Cnam). Ce jeudi, les six syndicats représentatifs des médecins libéraux avaient rendez-vous à 14 heures au siège de la Cnam, porte de Montreuil à Paris, pour une troisième séance plénière de négociations, au cours de laquelle la Caisse leur a présenté les points clés de sa proposition d'accord. Quelques minutes à peine après le début des hostilités, la Cnam a annoncé être prête à financer une revalorisation de la consultation du médecin généraliste traitant à 30 euros. Un prérequis posé par les représentants de la profession, après le "mépris" du règlement arbitral qui n'a accordé qu'une hausse de 1,50 euro du tarif de la consultation. "Les 30 euros étaient un préalable. Cela veut dire qu'on peut continuer à avancer, on ne part pas tout de suite" de la table des négociations, indique la Dre Agnès Giannotti, présidente du syndicat MG France, à l'issue de cette "longue" séance de travail. Problème : aucun calendrier n'a été avancé par la Caisse... qui précise que le sujet sera abordé "dans les semaines qui viennent". "Les 30 euros, ce sera pour quand ?, interroge le Dr Luc Duquesnel, président des Généralistes-CSMF. Si c'est pour décembre 2024 ou janvier 2025, ce sera un échec total." Dans cette configuration, "il n'y aura pas de choc d'attractivité pour le médecin traitant, le médecin de famille", prévient-il, craignant que les jeunes médecins ne se détournent de ce rôle, pourtant essentiel. "La profession a vraiment besoin de cette revalorisation", abonde la Dre Giannotti. "On ne sait pas du tout où on va. On est à 26,50 euros depuis des mois, et on ne sait pas jusqu'à quand on restera à ce tarif. Ce n'est pas du tout ce qu'on attendait !, s'insurge le Dr Marty. Donc ce soir, on n'a rien. Et pendant ce temps-là, l'Etat économise de l'argent." Du côté du Syndicat des médecins libéraux (SML), on dénonce également l'absence de calendrier, mais aussi le montant de la revalorisation... "Le G à 30 euros, ce n'est pas mirobolant. Ça rattrape seulement l'inflation, ce n'est pas une augmentation pour nous. Ça ne va pas permettre aux médecins généralistes d'agrandir leur cabinet ou d'embaucher du personnel." Point positif néanmoins souligné par les syndicats de généralistes, la Cnam veut faire du forfait médecin traitant, la rémunération socle du médecin traitant. Il s'agirait de créer un forfait unique annuel, individualisé par patient, composé d'une part fixe calibrée selon la complexité du dit patient (âge, pathologie chronique…) et une part variable selon l'atteinte d'objectifs de prévention : vaccins, dépistages, consultations obligatoires pour les enfants... "On passe d'une logique patientèle à une logique patient", a résumé la directrice déléguée de la Cnam, Marguerite Cazeneuve, lors d'un point presse organisé à l'issue de la séance plénière. Des majorations seraient en outre mises en place pour les médecins installés en ZIP, de plus de 67 ans et les jeunes installés. La Rosp - largement critiquée par les médecins - et le forfait structure seraient supprimés, ce dernier étant transformé en forfait "numérique". "C'est un système beaucoup plus lisible : un seul forfait médecin traitant avec une sorte de bonus santé publique. Tous les médecins traitants auront ce forfait socle. C'est un signal important", vante le directeur général de la Cnam, Thomas Fatôme. "On était preneurs de cette simplification", reconnaît la Dre Giannotti, qui note qu'il va tout de même "falloir faire des simulations". "Tout cela doit se travailler." Le Dr Richard Talbot de la Fédération des médecins de France (FMF) y voit de son côté une nouvelle "usine à gaz", à côté de laquelle la Rosp et le forfait structure sont "clairs comme de l'eau de roche". Il relève par ailleurs que "les éléments pour le mettre en place" ne seront pas prêts "avant 2025, pour un paiement... en 2026". Et d'ajouter : "déontologiquement, monétiser les patients ça me semble plus que limite". La Caisse a également proposé une "augmentation de l'aide à l'emploi d'un assistant médical de 5%" pour "soutenir le dispositif", avec l'objectif d'atteindre les 10 000 contrats signés d'ici la fin de l'année. Là encore, un simple rattrapage de l'inflation, pointe le représentant de la FMF. En revanche, certaines "attentes" n'ont pas été entendues. A l'instar de la visite à domicile et de la consultation longue, déplorent les Généralistes-CSMF, la FMF et MG France, qui demandait un tarif de 60 euros pour la consultation longue sur le modèle de la VL. Le Dr Duquesnel souhaitait également que soit actée "la possibilité pour les généralistes de pouvoir associer un acte clinique et un acte technique". Cela n'a pas été abordé par la Caisse.
Les autres spécialités "oubliées" S'agissant des autres spécialités, la Cnam propose de porter l'avis ponctuel de consultant (APC) à 60 euros, contre 56,5 actuellement. Pour améliorer l'accès au second recours, elle permettrait aux spécialistes de coter une MCU jusqu'à 4 jours, contre 48 heures. Afin de réduire les déséquilibres de rémunération entre spécialités médicales, la Caisse a également avancé plusieurs revalorisations portant sur un certain nombre de spécialités cliniques. La consultation obligatoire avec certificat (COE) des pédiatres serait augmentée, passant de 47,50 euros à 60 euros, et la consultation obligatoire (COH) pour les enfants de 0 à 2 ans passerait de 38,50 euros à 50 euros. La consultation des psychiatres serait portée à 57 euros (contre 51,70 euros), celle des gériatres, des médecins MPR et des gynécologues médicaux à 40 euros ; quant aux endocrinologues, la MCE pourrait être revalorisée à hauteur de 60 euros (contre 53,5 euros). "Il est évident qu'il faut avant tout valoriser les spécialités médicales en bas de l'échelle de revenus, on est sur le bon chemin sur ce plan", indique le Dr Franck Devulder, président de la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF). Mais "le compte n'y est pas" pour la Dre Sophie Bauer, présidente du SML. "Les endocrinologues demandaient à pouvoir associer dans un même temps une consultation et une ponction d'un nodule thyroïdien quand on suspecte un cancer. [La Caisse] propose que ce deuxième acte soit à 15 euros... Ils ne le feront pas", regrette le président de la Conf', qui s'accorde sur ce sujet avec sa consoeur du SML. "Toutes les autres spécialités ont été oubliées", déplore-t-il, rappelant que certains actes...
sont "gelés" depuis des années. "Le tarif de la coloscopie en 2024 est le même qu'en 1994", illustre le gastroentérologue. "Il y a un trou d'air sur les autres spécialités médicales, médico-techniques et chirurgicales." Le Dr Patrick Gasser, président d'Avenir Spé, s'est dit lui aussi "déçu" : "On va oublier comme d'habitude la médecine pédiatrique, l'endocrino, les spécialités en difficulté..." Or "l'accessibilité aux soins, c'est essentiellement la médecine spécialisée qui pourra la donner", tempête le Dr Gasser, très remonté. Ce dernier prévient : "On est à mille lieues d'une signature. Je rappelle qu'il n'y aura pas de convention si Avenir Spé ne signe pas." "Les spécialistes n'ont rien, je ne vois pas comment cette convention pourrait être signée", estime le Dr Marty. De son côté, le DG de la Cnam pense que "l'appréciation des représentants des médecins spécialistes devrait changer". Les propositions sur les spécialités cliniques, notamment les pédiatres et psychiatres, "sont objectivement très significatives", juge Thomas Fatôme. "On propose une enveloppe dédiée" à la réforme des actes techniques, "à négocier début 2025 quand la nouvelle CCAM sera là". "A nous de montrer aux spécialistes que ce qu'on a mis sur la table est déjà substantiel", expose le DG de la Cnam, ajoutant vouloir "financer de manière pérenne" les équipes de soins spécialisés. "On a l'impression que la copie est injustement perçue comme insuffisamment ambitieuse..." "Encore du travail" Les évolutions tarifaires suggérées par la Cnam ne seront mises en œuvre que si "elles s’accompagnent d’autres évolutions en faveur de l’amélioration de la santé de la population, contenues dans la proposition globale de l’Assurance Maladie", prévient-elle. La Caisse souhaite d'abord que les négociations aboutissent à "une refonte ambitieuse des rémunérations forfaitaires" - "les médecins qui le souhaiteront pourront, en groupe, être rémunérés sous une forme intégralement forfaitaire", précise-t-elle ; à des améliorations en matière d’accès aux soins - notamment sur la PDSA en première partie de nuit - ; ainsi qu'à l'élaboration d'un "programme d’actions très ambitieux" sur la qualité et la pertinence des soins. A ce sujet, les partenaires conventionnels devront se mettre d'accord sur "des objectifs collectifs chiffrés", par exemple contenir l'évolution des dépenses d'indemnités journalières de 2% par an ou diminuer la consommation d’antibiotiques de 10% dès 2025 et de 25% à horizon 2027. "Il s'agira d'objectifs qu'on peut mesurer, avec des chiffres précis chaque année, a précisé Thomas Fatôme. On propose de mettre en place un observatoire conventionnel" pour suivre ces tendances. La Cnam veut également fixer des objectifs collectifs en matière d'accès, par exemple augmenter la patientèle médecin traitant de 2% par an, augmenter la file active moyenne des médecins libéraux de 2% par an... "La Cnam veut qu'on travaille plus. Pas mieux, plus", lance Richard Talbot, de la FMF. "Un engagement collectif à travailler ensemble pour améliorer l'accès aux soins des Français et les questions de pertinence des prescriptions me paraît intelligent", juge la Dre Giannotti. "Cela ne nous choque pas, si la Cnam nous donne les outils pour nous faciliter la vie par rapport à cette pertinence et qualité des soins. On n'est pas dans un monde de bisounours, on sait le coût de nos prescriptions. Qu'on nous responsabilise par rapport à cela, c'est normal", consent le Dr Duquesnel. "On ne va pas y arriver, alerte pour sa part la Dre Bauer, pour qui la Caisse "veut mettre un calendrier très progressif, de façon à nous couper les revalorisations si on n'arrive pas aux objectifs, qui sont actuellement clairement inatteignables !" La prochaine séance multilatérale doit se tenir la première quinzaine du mois de mars, "en espérant qu'on ne soit pas loin d'un atterrissage", a indiqué Thomas Fatôme. En attendant, plusieurs séances bilatérales seront organisées pour approfondir les thématiques évoquées ce jeudi. Et surtout, préciser ce fameux calendrier. "On n'est pas au bout du chemin", souligne la Dre Giannotti. "Il y a encore beaucoup de travail", ajoute le Dr Devulder. Thomas Fatôme rappelle qu'il n'y a "pas de deadline". "Si on n'arrive pas à se mettre d'accord, le règlement arbitral continuera [de s'appliquer]…"
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