Indemnités trop généreuses, proximité avec les syndicats… Ce que révèle le rapport de la Cour des comptes sur les URPS
54 millions d'euros. C'est le montant total du financement alloué en 2022 aux 168 URPS, censées représenter face aux ARS les membres des 10 professions de santé libérales conventionnées et participer à l'organisation territoriale des soins. Un budget composé pour une large partie (41.8 millions d'euros) par la contribution obligatoire versée annuellement par chaque professionnel libéral* et dans une moindre mesure par les crédits versés par les ARS au titre du Fonds d'intervention régional (FIR, 12.2 millions d'euros). Mais plus de 12 ans après leur création par la loi HPST de 2009, force est de constater que toutes les URPS n'ont pas fait preuve de leur utilité, démontre un rapport de la Cour des comptes publié lundi 5 février, fruit du tout premier contrôle exercé par les Sages sur ces associations chargées de mission de service public. Bon point pour les URPS médecins Les URPS médecins, infirmiers, pharmaciens, et dans une moindre mesure masseurs-kinésithérapeutes, "sont celles qui exercent globalement le mieux la diversité de leur missions", reconnaît ainsi la Cour des comptes. Bénéficiant d'une "antériorité historique" (les premières unions datent de 1993) et des "budgets les plus élevés", les URPS médecins participent à la permanence des soins, "jouent un rôle significatif" dans le développement de structures d'exercice coordonné (MSP, CPTS) sur les territoires et mettent en place des dispositifs d'aide à l'installation. L'URPS ML de Bourgogne Franche-Comté a par exemple monté des cabinets "éphémères", tandis que l'URPS d'Ile-de-France a mis en œuvre un plan d'aide à l'investissement immobilier, subventionnant 239 structures à hauteur de 47 millions d'euros, illustre le rapport de la Cour des comptes. Les URPS médecins et infirmiers ont enfin joué un rôle de premier plan durant la crise sanitaire, salue-t-il. Mauvais point pour les URPS chirurgiens-dentistes Mais "nombre d'entre elles n'exercent aucune activité, hormis la représentation des professionnels de santé dans diverses instances, quand du moins celles-ci est assurée", déplore la Cour des comptes, qui considère qu'elles n'apportent pas "de plus-value au système de soins". C'est le cas de la "majorité" des URPS biologistes, orthoptistes et pédicures-podologues, qui pâtissent de leur petite taille, et que la Cour des comptes recommande de supprimer, purement et simplement. De leur côté, les URPS sages-femmes manquent de financement, considèrent les Sages. Financièrement bien dotées, les URPS chirurgiens-dentistes, elles, ne sont guère plus actives et n'ont pas ces excuses, charge la Cour des comptes. A défaut de mettre en place un dispositif de péréquation interprofessionnelle, la Cour suggère de tripler la contribution versée par chaque maïeuticienne (de 0.1% du CA à 0.3%) et de diminuer sensiblement celle des chirurgiens-dentistes (de 0.3% à 0.2%, voire 0.1%). Le rapport pointe les investissements immobiliers jugés "disproportionnés" de certaines URPS, comme celle des chirurgiens-dentistes d'Ile-de-France, propriétaire d'un immeuble de 723 m2 situé à proximité de la place Charles de Gaulle, à Paris, où évoluent 24 élus et moins de 2 ETP… Les URPS médecins sont également épinglées : "malgré le caractère spacieux (843 m²) de son siège, l’URPS ML Paca organise des réunions de ses collèges et des assemblées générales dans des hôtels, générant ainsi des surcoûts évitables", reproche le report.
40 000 euros d'indemnités en trop pour l'URPS Bourgogne-Franche Comté Le rapport de la Cour relève par ailleurs des "anomalies fréquentes" concernant le versement des indemnités censées compenser la perte d'activité des professionnels de santé membres des URPS : "dépassements des plafonds réglementaires"**, "forfaits à la demi-journée éloignés des pratiques constatées (visioconférences)", ou "indemnisations déconnectées de toute perte d’activité". L'URPS Bourgogne-Franche-Compté "indemnise ainsi 'sur la base de 4 C par heure et/ou pour 100 km', ce qui l’a conduit, en 2019, à indemniser à seize reprises des journées pour des montants supérieurs à 1 000 €, soit près du double du montant plafond prévu par la réglementation, épingle le rapport. La même année, cette union a indemnisé 149 fois des élus pour des montants supérieurs à 600 € par jour, à l’origine d’un trop-versé de 40 538 € pour ces seules indemnisations." Le budget alloué à l'indemnisation des élus est "très variable, selon les professions de santé mais également parmi les URPS d’une même profession et de taille comparable, reflétant au-delà des politiques plus ou moins généreuses d’indemnisation des élus" ainsi qu'"un dynamisme hétérogène des associations". "Dans l’échantillon contrôlé, un médecin a perçu en moyenne près de 8 000 € par an au titre de ses fonctions dans l’URPS, tandis qu’un orthoptiste aura perçu moins de 300 €", illustre la Cour. Et "les indemnités versées par les URPS aux médecins et aux infirmiers varient du simple au quadruple selon les régions."
Alors qu'un quart des élus des URPS ML de l'échantillon contrôlé par la Cour concentraient "les trois quarts" des indemnités versées, les Sages appellent à "harmoniser" le nombre de membres élus ou désignés des URPS afin d'en augmenter le plancher (6 au minimum) et d'en diminuer le plafond (une quarantaine au maximum). Elle suggère également de fusionner les URPS Guadeloupe, Martinique et Guyane. Financements des syndicats "à supprimer" Le rapport relève "d'autres financements discutables" opérés par les URPS, telle une formation à la méditation pleine conscience pour les élus URPS ML de Paca (6348 euros), ou l'équipement de l'ensemble des cabinets dentaires en DAE pour l'URPS CD Océan indien. Coût total de l'opération : 466 181 euros en 2021, auxquels s'ajoutent 268 920 euros de "frais de maintenance prévisionnels". Autre "anomalie de gestion" relevée : le non-respect du droit de la commande publique. "Des marchés sont passés irrégulièrement, au profit de prestataires locaux, de professionnels connus de longue date ou de sociétés proches de syndicats des professionnels de santé, sans que les unions se soient assurés d'obtenir les offres économiquement les plus avantageuses". Notant que "très peu" d'URPS transmettent chaque année leurs comptes aux ARS et que ces dernières n'assurent pas non plus le suivi financier des crédits qu'elles leur allouent, la Cour recommande de "renforcer leur supervision". Enfin, le rapport déplore la "porosité des frontières" entre URPS et syndicats. "La communication de certaines unions reflète un glissement vers le champ syndical", très marqué pour les médecins libéraux et pour la Conférence nationale des URPS [voir encadré]. Certaines URPS ML, comme celles d’Occitanie, d’Île-de-France, des Hauts-de-France ou de Paca, ont en outre alloué des dotations spécifiques à des groupes d’élus de l’URPS appartenant à un même syndicat, en sus des budgets par collège (généralistes, autres spécialistes) prévus par la réglementation. Ces groupes syndicaux bénéficient de budgets dédiés de montants parfois "très significatifs", avec des dotations annuelles variant de moins de 10 000 € (Hauts-de-France en 2021) à plus de 500 000 € (Île-de-France en 2019). Entre 2018 et 2021, 1,91 M€ ont été alloués aux groupes syndicaux par ces URPS ML, pour un montant réalisé de 1,17 M€. Un financement "à supprimer" "sans délai", presse la Cour des comptes, qui appelle à récupérer les sommes indument versées si leur objet était étranger à celui des URPS. Ouvrir aux non syndiqués? De manière générale, la Cour déplore les conséquences négatives sur le fonctionnement des URPS des luttes syndicales entre "majorité" et "opposition". "Les élections aux URPS se jouent en fonction d'enjeux nationaux davantage qu'en fonction d'enjeux régionaux", regrettent les auteurs du rapport. "Les alliances syndicales nationales peuvent conduire à donner la présidence d'une URPS à un syndicat minoritaire en voix", relèvent-ils. L'existence de "baronnies locales" est par ailleurs souvent dénoncée. Surtout, les transitions électorales "conflictuelles" peuvent se traduire par "des ruptures dans les projets engagés". Pointant la "représentativité limitée" des URPS, du fait d'une participation électorale en chute libre -notamment pour les médecins (22.7% en 2021, contre 39.9% en 2015 et 46% en 2006), la Cour des comptes recommande d'ouvrir aux professionnels de santé libéraux non syndiqués la possibilité d'être membres d'une URPS.
Exception dans le paysage des URPS, la Conférence nationale des URPS médecins libéraux est confortée par ce premier rapport de la Cour des comptes, qui recommande "de prévoir juridiquement la possibilité de créer, sous forme associative, une représentation nationale des URPS" pour chaque profession.
Mais l'organisation présidée par le Dr Antoine Leveneur n'a pas apprécié les critiques reprises par les Sages quant à ses prises de position publiques jugées un peu trop "syndicales" et ses échanges avec les pouvoirs publics. "Nous ne voyons pas en quoi le fait de répondre aux sollicitations du cabinet de la Première ministre, du ministre de la Santé et de la Prévention, de son cabinet, de la DGOS et de la Cnam dépasserait le rôle et les missions de la Conférence nationale tels qu’ils sont définis dans ses statuts", rétorque la structure, dans sa réponse à la Cour.
*0.5% du chiffres d'affaires pour les médecins, dans la limite de 206 euros **Pour les médecins, 12 fois la valeur du C. Et non du G, insiste la Cour…
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