Fin de l'obligation vaccinale : "Doit-on tendre la main à des médecins qui mettent leurs opinions au-dessus de leur preuve scientifique ?"

06/04/2023 Par Dr Mathias Wargon
"C’est notre rôle de soignants d’être les gardiens du temple de cette thérapeutique qui a sauvé de nombreuses vies", estime le Dr Mathias Wargon, dans une tribune publiée sur Egora en réaction à la réintégration des soignants non vaccinés contre le Covid. Pour le chef du service des urgences de l'hôpital Delafontaine, à Saint-Denis, "au-delà de la vaccination du Covid", l'avis de la HAS et la décision du ministère remettent en cause "l'ensemble des vaccinations".

 

"Le débat sur la réintégration des soignants est-il un débat valable ? Après tout comme le disent eux-mêmes ses partisans, ils sont très peu, en tous cas en France métropolitaine. Alors oui pourquoi s’arcbouter et perdre de l’énergie pour quelques centaines ou milliers de personnes, une goutte d’eau dans l’océan des personnels hospitaliers puisqu’on ne connait pas avec certitudes combien sont vraiment soignants. 

Et après tout, ces personnes ne sont pas systématiquement des forcenés de la fakemedecine, certains ont simplement eu peur de se faire vacciner par un nouveau produit dont ils entendaient dire qu’il était dangereux, sans recul par des scientifiques, par des médecins et par des politiques pas forcément bien intentionnés. Tous n’étaient pas férus de médecine alternative (le mot poli pour le charlatanisme). Ceux-là sont partis faire naturopathes. Ces infirmiers, ces agents de service hospitaliers, ces aides soignants étaient avec nous pendant la première vague Covid. Doit-on punir ces personnes laissées sans ressources depuis leur suspension ? A ma connaissance personne parmi les politiques qui demandent leur réintégration n’a déposé de projet de loi essayant de les sortir de ce no man’s land juridique de la suspension qui n’est pas un licenciement. On voit là le bénéfice qu’il y avait à les maintenir dans cet état au mépris de leurs propres intérêts.

Parmi ces personnes il n’y avait pas que des paramédicaux dont on peut imaginer qu’ils n’ont pas tous la possibilité de lire les informations à la source. Il y avait aussi des médecins. Peu nombreux, certes. Mais ceux-là ? Doit-on les réintégrer ? Doit-on tendre la main à des gens qui ont prétendu que le vaccin faisait changer de groupe rhésus ? À des médecins qui ne lisent plus d’articles scientifiques ? À des médecins qui mettent leurs opinions au-dessus de leur preuve scientifique ? Soit ils mentent pour des raisons matérielles et c’est contraire à toute déontologie, soit pire (je ne crois pas que la déontologie soit l’alpha et l'oméga de la morale médicale), ils y croient ! Doit-on faire confiance à des professionnels qui préfèrent le complotisme à la science ? Qui refusent le processus complexe de la démarche scientifique. Qui prennent appui sur les fragilités et les complexités des hypothèses scientifiques et s’en servir pour caricaturer ?

On note aussi que parmi les médecins et scientifiques favorables à la réintégration, il y a ceux qui ont défendu pendant longtemps voire défendent toujours les pratiques alternatives comme l’hydroxychloroquine, l’ivermectine, ou autres thérapeutiques n’ayant jamais fait leurs preuves comme les définit l’article 39 du code de déontologie (article que je connais bien pour avoir signé une tribune qui l’évoquait à propos d’autres thérapeutiques et qui m’a valu une condamnation du...

Conseil de l’ordre). Quel intérêt ont ces médecins à la réintégration alors qu’eux-mêmes sont vaccinés ?

 

Et puis, il faut voir la vérité en face. Omicron ne fait pas les ravages que faisait le virus sauvage ou le variant delta. Il est rentré dans nos habitudes. Et je ne suis pas certain que le personnel soignant se vaccine aussi scrupuleusement qu’au début. Comment faire quand la protection contre le virus est laissée de côté jusque dans nos hôpitaux. On pourrait donc se dire que ceux qui ne sont pas vaccinés peuvent revenir. Mais en fait on ne leur reproche pas de ne pas s’être vaccinés contre Omicron. On leur reproche d’avoir dérogé à la règle de la vaccination obligatoire telle qu’elle existait à ce moment-là en 2021, pour se protéger bien sûr mais surtout pour protéger nos patients. Le masque n’est pas une protection absolue, on le sait. Nous vivons dans un pays relativement anti-vaccins. Les plus âges se souviennent des faux scandales de la vaccination de l’hépatite B. On trouve de la littérature qui décrit ces mouvements depuis au moins 20 ans.

C’est notre rôle de soignants d’être les gardiens du temple de cette thérapeutique qui a sauvé de nombreuses vies. Parce qu’au-delà de la vaccination du Covid, c’est l’ensemble des vaccinations qui est remis en cause. Il a fallu une loi pour rendre la vaccination contre plusieurs pathologies obligatoire en 2018. Pourquoi ? Parce que la couverture vaccinale était insuffisante et que des épidémies réapparaissaient. Tout ce travail est mis à bas. Les nouvelles recommandations de l’HAS qui relativisent l’obligation pour les soignants non seulement de la vaccination contre le Covid mais aussi le DTP créent une faille dans les fondations de ces mesures de santé publique. Ne plus l’obliger chez les soignants, c’est envoyer le message que ce n’est plus si important, on le constate annuellement avec la vaccination antigrippale. Les mouvements anti-vaccinations s’en sont saisi immédiatement. Et pas seulement parce que...

la loi obligerait le Gouvernement à réintégrer les personnels non vaccinés contre le Covid. 

Il ne s’agit pas seulement de prévention de maladie infectieuse en elle-même. On a vu ces mouvements attaquer également la vaccination contre le papillomavirus. Que fera-t-on demain si comme on nous le prédit plus de vaccins sortiront contre d’autres formes de cancer ?  

La réintégration n’est donc pas anecdotique. Elle est un coup de tonnerre pour la santé publique et une victoire pour ceux qui pensent que la science et la médecine sont une opinion comme une autre. Ceux qui lâchement pensent que ce n’est pas si grave ne viendront pas se plaindre demain quand on leur opposera des croyances au sein même de l’hôpital ou de leur cabinet ou qu’on n’exécutera plus leurs prescriptions au prétexte qu’on n’y croit pas.  L’hôpital public est notre bien à tous. Il n’a pas vocation chez les soignants à représenter les opinions. On y tient à la laïcité et les signes religieux y sont (normalement) bannis. Doit-on alors laisser y entrer les pratiques ésotériques et le charlatanisme ? Ne doit-on pas au contraire y maintenir le cap de l’excellence et du professionnalisme ? Cet hôpital qui tient difficilement doit conserver au moins ses repères que sont la science et la médecine et alors qu’on parle de qualité de la prise en charge, elle-même scrupuleusement vérifiée par la HAS malgré toutes les difficultés qu’elle feint d’ignorer, c’est cette même HAS qui ouvre la porte à la fin de cette qualité ?"

 
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