"Je ne peux être garant d'un système où les médecins vont en garde la boule au ventre": la fronde d'un président de l'Ordre face aux réquisitions

03/01/2023 Par Marion Jort
Depuis vendredi dernier, les médecins généralistes chargés d'assurer la permanence des soins ambulatoires d'une maison médicale d'Eure-et-Loir font valoir leur droit de retrait pour protester contre les agressions dont ils sont victimes et la désorganisation des soins de leur territoire. Une action qui ne plaît pas à la préfecture, qui a décidé de les faire réquisitionner à leur domicile et au cabinet par les gendarmes ce week-end, en menaçant les récalcitrants de 3 750 euros d’amende. Furieux, le président du Conseil départemental de l’Ordre des médecins, le Dr Julien Cottet, a décidé de sortir de sa réserve pour les soutenir. Pour l’allergologue, en colère contre l’État, il est temps de “mettre un terme” à une situation “devenue intolérable, gravissime et alarmante”. 

  Egora : Depuis vendredi, les médecins de votre département participant à la permanence des soins ambulatoire font valoir leur droit de retrait, éreintés par les agressions et les incivilités de leurs patients. Quelle a été la goutte d’eau ?   Dr Julien Cottet : C’est un ras-le-bol global. Dans notre département, depuis des mois, l’agressivité et les incivilités s'accroissent dans les cabinets. Les médecins sont la cible régulière d’insultes, de provocation, de menaces ou de menaces de mort, car on ne peut plus prendre de nouveaux patients. Même les secrétaires se font démonter, elles sont en première ligne. On ne peut plus s’en sortir. Tout le monde est au courant. Malgré tout… on en vient à comprendre les patients et à les excuser. C’est normal, ils n’ont pas accès aux soins et ils n’en peuvent plus. Rendez-vous compte de la situation dans laquelle on est : on est les agressés et on comprend les agresseurs. C’est horrible, ce que l’État nous fait vivre. Moins d’un habitant sur trois n’a pas de médecin traitant en Eure-et-Loir… Comment en est-on arrivés là ? Ce n’est pas une situation catastrophique, c’est pire que ça. C’est un état d’urgence sanitaire et sécuritaire. Quand vous n’avez pas de médecins, pas de CHU, des hôpitaux qui sont morts, des urgences de la clinique de Chartres qui ferment leurs portes pendant sept jours d'affilée comme c’était le cas la semaine dernière, plus de dentistes, de kinés… Les gens deviennent agressifs. Ils ne comprennent pas, ils cotisent pour la Sécurité sociale mais l’État a failli. Contrairement à ce qu’on cherche à faire croire, le problème ne date pas de la semaine dernière mais remonte à 20 ans. Les autorités disent que c’est lié à la triple épidémie mais, il y a trois mois, c’était autre chose, et les trois mois d’avant, autre chose encore, etc… Les plans blancs sont déclenchés quasiment toutes les semaines. Ça ne remonte pas au début de l’hiver, ni à avant le Covid. Vous imaginez, vous avez deux gosses avec 40 de fièvre et vous ne savez pas où aller ?  On a une maison médicale de garde qui est un bordel pas possible. Il n’y a pas de régulation, les gens se battent entre eux dans la salle d’attente pour passer les premiers. Les médecins sont obligés de se faire escorter à la fin de la garde pour retourner à leur voiture. Une consœur me racontait la semaine dernière qu’elle est partie aux toilettes cinq minutes et qu'elle s’est fait insulter par les patients qui lui ont demandé ce qu’elle était partie faire. Elle allait remplir un besoin primaire ! Alors qu’ont fini par dire les médecins ? Qu’il y avait une menace pour eux, et qu’ils allaient exercer leur droit de retrait. On ne peut plus exercer comme ça. Ce phénomène n’est pas isolé : on vit ça partout en ville, chez les pharmaciens… 

  La préfecture a décidé de réquisitionner les médecins qui avaient fait valoir leur droit de retrait, et les a menacés d’amendes s’ils refusaient. Une démonstration de force qui vous a fait sortir de votre réserve de président de Cdom, dans un long communiqué…   Au lieu de dire que c’est le pire département de France, que les médecins ont besoin d’aide et qu’ils sont dans une situation catastrophique, les autorités envoient les gendarmes. Ils ont été dans les cabinets des médecins, à leur domicile. Donc en fait, si vous vous faites agresser sur votre lieu de travail, ou que vous signalez un problème de sécurité, vous allez chez les flics, vous portez plainte… et ils vous ramènent sur place et vous forcent à bosser C’est normal ? En tant que président de Cdom, je dois les soutenir moralement. Le Gouvernement, la préfecture, ils essaient de masquer le problème à coup d'actions de communication en faisant croire que le problème ne vient que de la maison médicale. Mais non, c’est un problème global. J’ai écrit ce texte parce que ce n’est pas normal que, dans notre pays, quand on appelle à l’aide, qu’on alerte sur des conditions de travail terribles, on nous mette les menottes et on nous force à travailler.    Les 3 750 euros d’amende les ont-ils fait céder ? Non, ils sont restés droits dans leurs bottes. Ils ont pris la réquisition mais n’ont pas été faire leur garde. Aucun médecin depuis vendredi n’en a assuré. Quant aux amendes, ils sont sept à être concernés pour l’instant. On verra si la préfecture les envoie, mais qu’elle le fasse ! On dira partout que des médecins doivent payer 3 750 euros d’amende car ils ne voulaient pas aller travailler là où ce n’est pas sécurisant pour eux.    “Il ne faut pas attendre un drame (...) Le Conseil a décidé de soutenir les médecins dans leur droit de retrait”, écrivez-vous. C’est plutôt rare, un représentant de l’Ordre qui se mouille…  Je suis le plus jeune président de l’Ordre de France, j’ai été élu à 36 ans et j’en ai 38 aujourd’hui. Je ne suis pas là pour faire des ronds de jambe à qui que ce soit, ni au Gouvernement ni aux élus. Je suis là pour défendre mes confrères. Certains répètent que la défense de la profession revient aux syndicats, c’est faux. La mission du conseil de l’Ordre c’est de garantir la déontologie et de protéger les confrères et les patients. Si le Conseil de l’Ordre ne le fait pas, il n’y a personne pour le faire. Je vous rappelle qu’il faut adhérer aux syndicats pour qu’ils vivent et ils ont de moins en moins de demandes. Or, quel est le seul organe qui regroupe tout le monde ? Que vous soyez libéral, salarié, hospitalier, retraité, remplaçant… vous dépendez de l’Ordre ! En tant que président du Cdom, j’aide tout le monde, je veux tout réformer dans mon département. Mon objectif est de faire comprendre qu’il n’y a que l’Ordre qui peut faire quelque chose. Dans cette situation, je défends mes confrères, peu importe ce que ça me demande et je continuerai à le faire. S’il faut taper plus fort, je taperai plus fort même si je subis des menaces. Nous sommes là pour ça.    Pourtant, c’est à vous de remplir le tableau de PDSa… Ne vous l’a-t-on pas reproché ? Bien sûr, mais la PDsa n’est plus tenable. J’en suis garant, certes, mais je ne peux pas être garant d’un système où je vois mes confrères aller en garde la boule au ventre, sous escorte… Si j’en suis garant, ça doit bien se faire. Ça fait des mois, des années, qu’on fait des réunions avec l’Agence régionale de santé et l’hôpital pour pointer du doigt ce qui ne va pas. Rien n’avance, donc c’est normal que les médecins exercent leur droit de retrait. Encore, si on avait été bloquants, si on n’avait rien proposé, rien essayé… on aurait pu se dire qu’on a déconné. Mais ce n’est pas le cas ! On a toujours dit ce qu’il fallait pour que ça aille mieux, qu’il fallait une régulation… Donc le mouvement est justifié. Il faut qu’on nous laisse soigner.    Votre mouvement prend de l’ampleur sur les réseaux sociaux, plusieurs syndicats ont appelé à vous soutenir. Avez-vous échangé avec le président du Conseil national de l’Ordre depuis vendredi ?  Je n’ai pas eu un coup de fil. Il faut les réveiller ! Tant pis, si ça ne leur plaît pas. D’ailleurs, ils ne sont pas les seuls, certains syndicats n’ont pas réagi. Nous avons été soutenus par le SML, la CSMF et l’UFML-S ainsi que l’URPS Val-de-Loire, mais pas les autres. 

  Une réunion en urgence a été organisée hier midi [lundi 2 janvier, ndlr], avez-vous obtenu gain de cause ? C’était une réunion photo avec les députés, les sénateurs, l’ARS, devant la presse. J’en ai déjà fait des milliers des comme ça. J’ai lu un texte et je suis parti, je suis à bout. Ça fait 10 ans qu’on fait des réunions, j’en ai marre. Les gens veulent des réunions ou des médecins ? Ils veulent être soignés ! C’est du foutage de gueule.    Vous avez décidé de rassembler les médecins devant la préfecture hier soir. Quel était votre objectif ? On s’est réunis hier soir, en blouse, le stétho autour du cou en situation d'étranglement avec notre plaque professionnelle dans les mains et du sparadrap sur la bouche pour simuler la mort de notre métier.    Qu’est-ce qui peut calmer votre colère ?  Nous laisser soigner. On a fait une liste de propositions, sans revendications salariales ou d’augmentation de la cotation On ne parle pas de pognon, on veut de l'organisation avec effet rapide dans les cabinets. Pour nous, ça passe par de l’allègement de la charge administrative pour qu’avec le peu de médecins qu’on a, on puisse soigner tout le monde. Par exemple, nous proposons une réforme administrative totale : plus de bon de transport, plus d’ALD, plus de certifs à la con. Le bon de transport, le patient peut le faire ! On propose aussi d’être territoire d’expérimentation pour que les patients de 18 à 65 ans sans comorbidités puissent faire une auto-déclaration sur Ameli pour avoir un arrêt de travail de moins de trois jours, deux fois par an. Arrêtons de mentir : cette tranche d’âge ne vient pas en consultation pour un diagnostic mais souvent pour se faire arrêter. Quand on a une gastro, on a une gastro ! Ça va désengorger les maisons médicales, les urgences, les cabinets.    C’est une “question de survie”, dites-vous. Vous vous inquiétez pour le futur ? C’est pire que de la survie. Nous, médecins, ça fait longtemps qu’on est en mode survie… Mais maintenant, ça touche aussi les patients. Il faut qu’on fasse quelque chose pour eux. Ce qu’on vit dans notre département, bientôt ça sera partout pareil.   

 

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