"C'est ma première grève, je suis à bout, j'envisage de déplaquer"
Rares sont les occasions où les médecins libéraux, souvent isolés dans leur cabinet, descendent dans la rue. Ces 1er et 2 décembre marqueront peut-être le début d'une mobilisation sans précédent. Alors que près de 80% se sont déclarés en grève selon les chiffres de l'UFML-S, plusieurs centaines de praticiens libéraux étaient réunis en face du ministère de la Santé, à l'appel du collectif Médecins pour demain. Ils ont été rejoints par quelques syndicats, dont la FMF et l'UFML-S. Ensemble, ils revendiquent une hausse du tarif de la consultation à 50 euros, indexée sur l'inflation, et une amélioration des conditions de travail, devenues intenables pour la plupart des soignants.
C'est le cas notamment de Patricia, médecin généraliste dans le Loir-et-Cher. Banderole affichant des médecins bâillonnés à la main, la praticienne de 56 ans a le sentiment qu'on "empêche les médecins de parler". "Nous sommes conventionnés, alors nous sommes obligés de suivre la ligne. Et on nous demande de faire de plus en plus de choses", déplore la praticienne, le regard las. En grève pour la première fois de sa carrière, Patricia en a "vraiment ras le bol". "Je suis à bout, j'envisage de déplaquer. C'est d'ailleurs ce que me conseille de faire ma famille", confie la soignante qui continue pour ne pas laisser ses patients sur le carreau. Mais sa pratique devient de plus en plus difficile. "Je suis obligée de voir de plus en plus de patients et de faire de l'abattage. Si on demande un C à 50 euros, ce n'est pas pour partir aux Seychelles, c'est pour pouvoir embaucher du personnel", explique la généraliste qui embauche une secrétaire à mi-temps.
Car le Gouvernement et l'Assurance maladie semblent oublier que les cabinets libéraux sont "aussi une entreprise". C'est le sentiment de Ruddy, médecin généraliste de 39 ans, qui a décidé de fermer son cabinet aujourd'hui et demain. C'est la première fois qu'il fait grève. Il plaide pour un C à 50 euros. "Nous voulons être payés à notre juste valeur", explique le généraliste, qui juge que les Rosp et autres forfaits sont "en inadéquation avec notre pratique". "A 25 euros [la consultation], aujourd'hui, on perd de l'argent", déplore le jeune médecin, installé avec deux confrères, eux aussi en grève.
Si dans l'imaginaire collectif, "les médecins sont des nantis", leur situation n'est pas toujours aussi rose. Guillaume est venu aujourd'hui à la manifestation pour soutenir son épouse Coralie, médecin généraliste remplaçante de 35 ans. En poste aux urgences et en cabinet de ville, la jeune femme ne souhaite pas s'installer car "les conditions actuelles" ne lui "conviennent pas". "Je constate le désarroi de ma femme tous les jours", témoigne Guillaume. "Je comprends qu'elle ne veuille pas s'installer, mais financièrement c'est compliqué", explique-t-il.
"Les généralistes, tout le monde s'en fout" L'attractivité de la médecine est aussi un point clé de cette mobilisation. Les médecins sont essorés, et...
ils constatent que les jeunes ne veulent plus s'installer. Jérémy, médecin généraliste de 44 ans, est en grève pour la première fois. "On a trop de patients, on aimerait que des jeunes viennent, mais il y a trop de contraintes administratives", analyse le praticien installé à Vélizy.
"Revaloriser le C à 50 euros est nécessaire pour contribuer à l'attractivité de la médecine", observe Sandra. Installée dans un désert médical des Ardennes, la généraliste s'inquiète pour l'année 2023. 60% de ses confrères du secteur partiront à la retraite, et ils n'ont pas trouvé de remplaçants. "Si l'attractivité n'est pas financière, les médecins ne plaqueront pas leurs amis ou leur famille pour venir vivre loin de tout", estime-t-elle. A 76 ans, Michel est un retraité actif. "Je continue à exercer parce que je n'ai pas de remplaçant. Si j'arrête, 1.200 patients n'auront plus de médecin traitant", explique le médecin francilien, le dos courbé par le poids des années. Ancien professeur de médecine générale, il a décidé de faire grève "parce que les généralistes, tout le monde s'en fout". "Nous sommes des spécialistes en médecine générale, mais nous sommes payés 25 euros l'acte alors que les autres spécialistes sont rémunérés entre 50 et 80 euros, c'est une manière de dire que les médecins généralistes, c'est de la merde", tranche-t-il amer.
Les médecins en grève ont battu le pavé pendant plus de deux heures, bravant le froid glacial parisien. S'ils ne sont pas entendus par les pouvoirs publics au-delà de ces deux jours de grève, ils annoncent un mouvement social plus dur et illimité à compter du 26 décembre. Poursuivre le mouvement et ne rien lâcher, c'est le conseil donné par l'iconique Dr Jean-Paul Hamon, président d'honneur de la FMF, venu soutenir ses confrères. "Médecins pour demain, c'est la relève. Ça me fait plaisir de voir que les médecins ont cessé de courber l'échine." "Il ne faut pas qu'ils croient que le combat peut être gagné en deux jours, il va falloir durcir le mouvement, ça pourra durer plus de six mois", prévient le généraliste de Clamart, toujours en activité à 76 ans.
Le ministre de la Santé est venu à la rencontre des manifestants en fin d'après-midi. Face à la colère des quelques grévistes restants, le locataire de l'avenue de Ségur a tenté l'apaisement. Celui-ci a toutefois réaffirmé être "dans une logique de droits et de devoirs". Une posture qui passe mal chez les médecins libéraux, épuisés, qui ont hué l'ancien patron du Samu-Urgences de France. Ce dernier a dit être ouvert aux solutions issues du terrain. "Les solutions [aux problèmes d'accès aux soins], elles sont derrière vous !" a crié une praticienne, pointant une pancarte inscrivant "C = 50 euros".
Le ministre a également été interpellé par un généraliste, exaspérée par les pertes de temps liées aux certificats enfant malade. François Braun a répliqué que le sujet avait été abordé lors des travaux du CNR Santé et que des mesures devraient en découler avant la fin des négociations conventionnelles entre la Cnam et les syndicats de médecins libéraux.
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