Cariste, retraitée, coach en santé, homéopathe… Que deviennent les médecins suspendus ? [ENQUÊTE]

20/07/2022 Par Sandy Bonin
Témoignage
Depuis le 15 septembre 2021, les professionnels de santé non vaccinés contre le Covid n'ont plus le droit d'exercer. Alors que la question de leur réintégration est régulièrement débattue, le ministre de la Santé François Braun a annoncé le 13 juillet avoir saisi la Haute Autorité de santé (HAS) et le Conseil national d’éthique (CCNE) sur ce sujet hautement polémique. L'Académie de médecine a d'ores et déjà rendu son verdict, se positionnant contre cette éventualité. En attendant le résultat de ces consultations, Egora a cherché à savoir ce que devenaient les médecins suspendus. Entre écriture d'un livre, participation à une ONG, apprentissage des "médecines" alternatives ou encore retraite anticipée, trois généralistes suspendus ont accepté de témoigner.

  "Ils ont tous un sentiment d'injustice et la sensation que le sésame de la santé publique a prédominé sur tout le reste." Maître Fabien Stucklé, avocat au barreau de Besançon en charge de plusieurs dossiers de médecins suspendus pour non-vaccination contre le Covid, résume l'état d'esprit de ses clients. L'homme de loi dénonce "la violence inouïe" de ces suspensions et "l'acharnement" dont ont été victime les praticiens. "Certains sont passés complétement à autre chose. Ils ont été trop dégoutés et ont préféré arrêter la médecine. Il y a eu une cassure, une fracture totale. Un de mes clients est devenu cariste", rapporte l'avocat. Si plusieurs médecins suspendus ont tenté une action en justice, aucune n'a abouti. Seuls les soignants qui étaient en arrêt de travail au moment de l'entrée en vigueur de l'obligation n'ont pas été privés de salaire. Et encore. "Les établissements ont demandé des contres visites qui mettaient fin aux arrêts de travail", s'indigne l'avocat, qui a reçu "une fin de non-recevoir" à toutes ses procédures. "Une cliente en congé maternité a été interdite d'être remplacée", ajoute Maître David Guyon, avocat de soignants suspendus au barreau de Montpellier.

"Ça ne sert à rien d'avoir un avocat, pas un n'arrive à quelque chose", constate, dépitée, le Dr Véronique Rogez. Cette médecin généraliste installée à Noyon, dans l'Oise, a définitivement fermé son cabinet le 1er janvier 2022. "Je suis interdite d'exercer. Mon crime, c'est de ne pas être d'accord avec le Gouvernement, avec sa politique sanitaire et en particulier vaccinale", expliquait la praticienne dans une vidéo postée le 1er janvier sur son compte Facebook. "J'étais à trois ou quatre ans de la retraite, je l'ai donc prise en anticipé", rapporte la généraliste à Egora.   "Les patients m'ont critiquée, ça a été la double peine" Une retraite forcée qui a toutefois du mal à passer pour la soignante. "J'ai été virée, pire qu'une criminelle, menacée de prison si j'ouvrais mon cabinet. Je suis qualifiée de dangereuse et irresponsable. Du jour au lendemain, j'ai laissé une patientèle de 1.500 personnes dans un désert médical. Les patients m'ont critiquée de ne pas avoir donné l'exemple Ça a été la double peine", s'indigne le Dr Rogez. Si la soignante se dit non opposée à la vaccination, elle s'est insurgée contre l'obligation vaccinale et contre le pass sanitaire, qui est une "aberration" selon elle. "Il m'est arrivé de prescrire des vaccins pour des patients à risques." Mais chez les patients vaccinés, elle dit avoir rapidement constaté des effets secondaires. "J'ai vu des maladies auto-immunes, des problèmes cardiaques sur des jeunes patients après leur vaccination", rapporte la généraliste, qui déplore un "manque de recul sur les vaccins ARN". "J'ai refusé de me faire vacciner au nom de tous ceux qui sont venus pleurer dans mon cabinet", ajoute la soignante, qui dénonce une "omerta sur les effets secondaires". "Si le virus du Covid avait été mortel comme celui d'Ebola, je n'aurais pas été contre la vaccination", plaide Véronique Rogez. En cas de réintégration des soignants suspendus, Véronique Rogez ne sait pas encore quel serait son choix. "Cette attente que l'Etat veuille bien nous réintégrer, c'est une deuxième humiliation. Nous sommes nombreux à ne plus vouloir de cette médecine d'Etat où l'humain a disparu." En mal de médecin, une commune a déjà contacté la généraliste pour lui proposer un poste en cas de réintégration.

Aujourd'hui, la praticienne est engagée dans une ONG qui regroupe un certain nombre de médecins suspendus, mais aussi des ostéopathes, des naturopathes, des kinés… "Nous soignons des gens gratuitement en téléconsultation. Les personnes sont contentes d'avoir une médecine qui ne fait pas que du renouvèlement d'ordonnance. Chaque consultation dure au minimum 15 minutes." L'ONG est financée grâce aux dons. 10% sont versés à l'organisation. Le reste est redistribué aux soignants.   "J'estime qu'il est illégitime de toucher le RSA" S'il connaît cette ONG, le Dr Grégory Pamart n'en fait pas partie. Ce généraliste de 33 ans, installé depuis trois ans à Jenlain (Nord), après trois ans de remplacement, a lui aussi fermé son cabinet pour avoir refusé la vaccination. "Ça va faire plus de 300 jours que je ne vis pas de l'exercice de ma profession", calcule ce père de quatre jeunes enfants. Ne pas se vacciner a été un "choix douloureux mais facile" pour le généraliste qui estime "que la sécurité et l'efficacité du produit [le vaccin NDLR] n'étaient pas assurés, alors qu'il faut en moyenne 10 ans pour mettre un médicament sur le marché". "Les vaccins de manière générale ne me posent pas de problème parce qu'il y a suffisamment de recul", se justifie le généraliste. Près d'un an après la fermeture de son cabinet, le médecin n'a pas repris d'activité. "Je n'ai plus de revenus, et j'estime qu'il est illégitime de toucher le RSA donc j'ai renoncé à certaines choses de mon mode de vie. Pour l'instant j'ai assez d'argent pour vivre. Je m'occupe de mes enfants et j'essaye de me cultiver", témoigne Grégory Pamart. Le généraliste s'intéresse notamment "aux autres médecines", citant la naturopathie ou la médecine chinoise. "Je découvre d'autres choses dans la façon de s'intéresser aux patients. Ce qui me passionne le plus dans la médecine, c'est l'accueil empathique du patient", explicite le trentenaire. "Il existe d'autres façons de prendre soin des gens et de les rendre acteurs", ajoute-t-il. Les thérapies alternatives, c'est justement ce qu'a choisi de pratiquer le Dr Benoit Akpemado depuis l'arrêt de son activité de médecine générale. "J'ai toujours eu la fibre de l'homéopathie, de la phytothérapie ou de la relaxation, donc je suis devenu coach en santé. Je donne des conseils en hygiène de vie", témoigne le praticien titulaire de diplômes de yogathérapie et d'homéopathie mais aussi d'un DU de médecine, méditation et neuroscience et de phyto-aromathérapie. S'il a rejeté la vaccination contre le Covid, le médecin refuse d'être taxé d'antivax ou de complotiste. Il a d'ailleurs un écrit un livre pour justifier son choix. "Je suis allé sur le terrain scientifique pour expliquer ma décision. Je ne donne que des arguments qui relèvent de la science. Je n'ai pas écrit ce livre pour diviser mais pour, au contraire, amener un apaisement", témoigne Benoit Akpemado, qui a dû affronter une grande incompréhension de la part de sa famille   "J'avais 12.000 euros d'économies, il ne reste rien" Ce père de deux enfants a toutefois été soutenu par sa femme. Car si le choix de ne pas se faire vacciner est personnel, les répercussions financières sont importantes pour le couple. "J'avais 12.000 euros d'économies, il ne reste rien. Mes revenus sont amputés chaque mois d'environ 2.500 euros", calcule le généraliste, qui a profité d'une infection au Covid pour rependre quelques mois une activité de médecine générale salariée dans une structure médico-sociale. Le Dr Akpemado aimerait croire à une réintégration "pour enfin voir le bout du tunnel. C'est dans mon âme de soigner, j'ai fait ce métier par vocation et elle est encore là. Le système de santé est à bout de souffle, je ne comprends pas leurs arguments pour ne pas nous réintégrer", se désole le praticien. Au départ hostile à la réintégration des soignants non-vaccinés, le ministre de la Santé, François Braun a demandé l'avis des scientifiques pour trancher sur ce "sujet épineux". Il a donc saisi la Haute Autorité de santé (HAS) et le Conseil consultatif national d’éthique (CCNE). De son côté, l'Académie de médecine vient de se positionner contre la réintégration des soignants estimant que "l'hésitation vaccinale" est "éthiquement inacceptable". " "La réintégration de professionnels de la santé non vaccinés au sein de l'équipe soignante compromettrait le climat de confiance et la cohésion qui doivent exister entre ses membres et avec les malades" et "mettrait en péril les malades fragiles", a justifié l'Académie. Oliver Véran, désormais porte-parole du Gouvernement, indiquait le 13 juillet dernier que "sur l'ensemble du parc hospitalier, public et privé, 600 infirmières restent suspendues, sur 240.000 salariées", ainsi que "75 médecins et pharmaciens sur un total de 85.000". En novembre 2021, Thomas Fatôme directeur de l'Assurance maladie parlait de 160 médecins libéraux interdits d'exercer pour non-respect de l'obligation vaccinale. Selon la Fédération Hospitalière de France, la réintégration des soignants "ne compenserait pas la grave pénurie de personnel dont souffre l'hôpital".

 
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