Ancien médecin militaire, il devient généraliste dans un désert : "C'est difficile de remettre le pied dedans"

19/07/2022 Par Mathilde Gendron
Témoignage
À 37 ans, le Dr Damien Aubert a décidé de quitter son poste de médecin militaire pour s’installer en tant que généraliste à Availles-Limouzine, petite commune située dans un désert médical de la Vienne. Un choix qu’il a fait pour se concentrer sur l’exercice de la médecine plus que sur de l’opérationnel, après dix ans passés dans l’armée. Journées de consultations, visites à domicile, spécificité du libéral… le jeune praticien doit tout apprendre ou réapprendre. Témoignage.

    Djibouti, le Mali ou encore la Guyane, c’était le quotidien du Dr Damien Aubert, médecin militaire. Depuis le 3 mars, il a décidé de s’installer définitivement en France et plus particulièrement dans la commune d’Availles-Limouzine (Vienne), 1.200 habitants, située en zone sous-dotée. Fils de parents militaires, le tout nouveau médecin généraliste en libéral a toujours le souvenir d’avoir déménagé. “Je n’ai jamais habité plus de six ans au même endroit, je pense que j’en avais marre”, reconnaît-il. À 37 ans et après dix années en tant que médecin au Service de santé des armées, il a sauté le pas et s’est installé entre Limoges et Poitiers. A l’armée, le Dr Damien Aubert était très polyvalent et touchait aussi bien à la médecine générale qu’à la médecine du travail ou à la médecine d’urgence. Au fil des ans, le métier correspondait cependant de moins en moins à ses attentes. A la fin de sa carrière militaire, il était chef d’antenne. “Quand on monte en ancienneté et en grade, on est de plus en plus pris par des tâches de commandement. C’est plus dur de trouver du temps pour le soin. C’est pour ça que j’ai envisagé de retourner au soin pur grâce à la médecine libérale”, explique-t-il. Il passait, en effet, la plupart de son temps à gérer les ressources humaines, les mutations ou encore les réunions de commandement. Alors, le généraliste s’est décidé à se tourner vers l’exercice libéral. “Je ne voulais pas rater le coche, parce que je pense que si on ne pratique plus la médecine générale, c’est difficile de remettre le pied dedans”, assure-t-il.

  Une assistante médicale à tout prix Dès le début de ses recherches, il s’oriente vers le Limousin. “J’avais de la famille à Limoges donc tant qu’à m’installer quelque part, je voulais que ce soit là où j’ai de la famille. Je cherchais des zones où il y avait des déserts médicaux et autour, il y en avait plein”, reconnaît le médecin en riant. Il décide finalement de s’établir à Availles-Limouzine, où le médecin vient tout juste de partir à la retraite. S’il est prêt à s’engager pour plusieurs années dans une zone sous-dotée, il a une condition pour s’installer : travailler avec une assistante médicale. “Je voulais absolument travailler avec une assistante médicale, parce que j’avais déjà entendu parler du dispositif et que je connaissais quelqu’un qui pourrait m’accompagner”, explique-t-il. Il y a quelques années, le praticien a en effet travaillé avec une assistante médicale, en Auvergne. Ils sont restés en contact depuis et ont décidé de reprendre du service ensemble. C’est d’ailleurs elle qui lui a trouvé le cabinet d’Availles-Limouzine. À la limite, les aides financières, je m’en fichais un peu, mais je voulais surtout pouvoir être éligible au dispositif des assistants médicaux*”, admet-il. Il a l’habitude de comparer son installation en cabinet à un accouchement, tellement ce fut long et fastidieux “J’ai pour objectif de rester longtemps ici, parce que déjà l’installation c’était un parcours du combattant avec les démarches administratives, la logistique, les inscriptions, l'Urssaf… ”, grince t-il. Inscrit à l’Ordre des médecins au début du mois de janvier, il n’a pu commencer à exercer qu’au début du mois de mars. “Pourtant, j’avais anticipé tout ce que je pouvais car j’ai quitté l’armée le 16 novembre 2021, je ne pouvais pas aller plus vite”, assure-t-il. Au total, il touchera près de 48.500 euros d’aides pour sa première année d’installation sans compter les aides pour embaucher une assistante médicale. L’ARS fournit également un “salaire de sécurité”, si son cabinet n’est pas rentable. Au début je n’avais pas beaucoup d'assurance, donc ça m’a incité à me lancer en ayant au moins un revenu minimum. J’ai aussi pris un crédit, ça ne m’a pas fait peur puisque je sais que je vais rembourser”, confie-t-il. Ce pro-numérique a pu acheter beaucoup de matériel informatique ainsi qu’une table d’examen et du matériel médical. Prochaine étape : s’équiper d’un spiromètre et une nouvelle table d’auscultation plus adaptée à sa patientèle âgée. Son cabinet est situé dans une future maison de santé pluridisciplinaire, avec un second médecin, un cabinet d’infirmières, un ostéopathe, un kinésithérapeute, un ergothérapeute, deux chirurgiens-dentistes et une nutritionniste. “On a un bon fonctionnement de groupe, c’est vraiment sympa, on gère ensemble les patients”, raconte le Dr Damien Aubert. Il a d’ailleurs rapidement sympathisé avec l’autre généraliste. C’est main dans la main que les deux médecins commencent à travailler. “On a de bons rapports, on n’hésite pas à prendre du temps pour parler de nos cas. Quand on a un patient qui pose problème, on va sonner chez l’autre”, explique le Dr Aubert. Une aubaine pour les patients qui se retrouvent avec deux jeunes généralistes de moins de cinquante ans. L’ancien médecin militaire a réussi à soulager son confrère dans la prise en charge de sa patientèle. Quatre mois après son arrivée, il vient tout juste de passer le cap des 500 patients.

Au quotidien, il doit se faire à des profils bien différents de ceux qu’il avait l’habitude de soigner à l’armée. En mission, l’ancien médecin militaire ne recevait en consultation que des personnes de moins de 50 ans. “A l’armée on est super bien entraînés pour tout ce qui est traumatologie, psychiatrie, infectiologie même la pédiatrie (quand on est en mission), on fait beaucoup d’ECG et de médecine du travail. Mais la patientèle âgée pluripathologique, c’est plus compliqué pour moi”, reconnaît-il. Désormais, ses patients sont majoritairement âgés de plus de 70 ans. Pour s’inscrire dans la lignée de son prédécesseur, il continue les visites à domicile. “Il y a des patients qui ne peuvent plus conduire et d’autres, si je ne vais pas les voir, personne ne va se déplacer. Mais je ne peux pas tous aller les visiter à domicile donc je sélectionne. C’est horrible, mais j’ai une cinquantaine de patients qui consultent à domicile et pour l’instant je ne peux pas en prendre plus”, explique-t-il. Il a donc fait le choix de limiter ses visites à deux jours par semaine, dans un périmètre de 20 kilomètres autour de son cabinet.   Pas de consultation après 18h Le reste de la semaine, il alterne les consultations “chroniques” avec des renouvellements d’ordonnances, des visites de sports, des consultations pédiatriques régulières. Puis, il enchaîne avec les consultations de pathologies aiguës : “il faut jongler avec les personnes malades, qui appellent le jour même à 8h”, sourit le généraliste. Pour ne pas sombrer sous la charge de travail, le médecin se pose des limites “Je me mets moi-même une barrière à 18h pour les derniers rendez-vous, ça me fait quitter le cabinet vers 19h ou 19h30. Mon confrère par exemple n’est pas toujours parti avant 21h mais je sais que je ne pourrai pas tenir sur le long terme en terminant à la même heure que lui”, reconnaît le Dr Aubert. Le médecin estime travailler cinquante heures par semaine mais ne se considère pas encore suffisamment efficace pour pouvoir travailler moins.

Quatre mois après sa prise de poste à Availles-Limouzine, le généraliste a enfin retrouvé la partie soin qui lui manquait à l’armée, et compte bien rester dans la commune. “Je suis hyper content, même si je fais des erreurs, les patients sont super reconnaissants. Je travaille dans de bons locaux, j’aime bien ce que je fais et c’est le plus important.”   *exercer en secteur 1 ou 2-Optam, avoir plus de 640 patients, exercer dans un cabinet avec un autre médecin.

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