"C’est une mine d’informations", n’a cessé de répéter le directeur général de la Caisse nationale de l’Assurance maladie, Thomas Fatôme, ce lundi 20 juin, lors de la présentation à la presse d’une toute nouvelle plateforme interactive, "Data pathologies". Il s’agit d’un site qui met à disposition de tous, les données sur la prise en charge des pathologies des Français, sous la forme d’une cartographie médicalisée des dépenses. Depuis 2015, l’Assurance maladie analyse en effet les données tous régimes confondus afin d’enrichir cette cartographie. "Cela permet de comprendre les évolutions à l’œuvre dans le système de santé", a expliqué Thomas Fatôme. Avec ce nouveau portail, l’Assurance maladie rend ces données disponibles en open data, et accessibles via Ameli. Ce sont des "données brutes", a précisé le directeur de la Cnam. Chaque utilisateur (agences régionales de santé, caisses primaires, professionnels de santé, mais aussi les patients) peut les extraire, construire des graphiques. Jusqu’ici, l’analyse médicalisée des dépenses de santé était surtout rendue publique lors de la publication du rapport "Charges et produits" de la Cnam, qui doit intervenir, comme les années précédentes, début juillet et proposer des pistes de maîtrise des dépenses de santé en vue du PLFSS. Data pathologies permet de rendre cette analyse médicalisée accessible à un plus grand nombre. Ce sont au total les données de 66,3 millions de personnes qui ont été agrégées. Plus d’1,5 milliard de feuilles de soins ont été stockées et pseudonymisées. Cela représente un montant global de dépenses de 168 milliards d’euros. "Ce sont des données de grande qualité car elles sont assises sur la tarification", a fait valoir Damien Vergé, directeur de la stratégie, des études et des statistiques de la Cnam. Elles sont ensuite affectées à des pathologies. 57 pathologies, traitements chroniques et épisodes de soins sont ainsi répertoriés. Ils sont classés en plusieurs catégories : cancers, maladies psychiatriques, traitements psychotropes, hospitalisations ponctuelles, etc.
Pour certaines pathologies, comme les cancers, une distinction est faite entre les phases actives et de surveillance ; ou pour les maladies cardiovasculaires notamment, entre les phases aiguës et chroniques par exemple. "Tout n’est pas traçable : si vous allez chez votre généraliste et que vous consultez pour un syndrome grippal, une gastro, on voit seulement apparaître une consultation dans notre système d’information. Ce n’est pas la prescription qui va nous aider à identifier la pathologie. C’est une des limites", a néanmoins admis Damien Vergé. Sont disponibles sur Data pathologies, les données pour l’année 2020 mais aussi sur la période 2015-2020 afin de comparer l’évolution des pathologies et des dépenses. "On ne produit que maintenant les données 2020 car tout cela prend beaucoup de temps, notamment la remontée des données des hôpitaux", a indiqué Damien Vergé. L’on retrouve des données sur la prévalence et les effectifs pour chaque pathologie, traitement ou épisode de soins (ex : maternité), mais aussi des éléments sur les dépenses totales, par pathologie, et sur les dépenses moyennes, par assuré concerné. Un focus est également proposé par grand poste de dépenses : hôpital, ville, prestations en espèces (dont les IJ). Deux entrées permettent de visualiser les données : Par pathologie :
Par territoire (région ou département) :
"L’intérêt c’est aussi de pouvoir comparer [les données d’une région] avec d’autres régions, voire avec la France entière", souligne Thomas Fatôme. Le poids de maladies chroniques confirmé L’Assurance maladie a tiré plusieurs enseignements de l’analyse de ces données entre 2015 et 2020 et constaté "des évolutions lourdes". Sur cinq ans, les dépenses ont progressé...
de plus de 15 milliards d’euros, avec un ralentissement en 2020 lié à la crise. "On voit une concentration des dépenses de santé autour des personnes qui souffrent de pathologies chroniques", a déclaré Thomas Fatôme. Sur les 168 milliards d’euros de dépenses concentrées dans la cartographie, 104 milliards sont liés à ces maladies, soit "deux tiers des dépenses" pour un peu plus d’un tiers des assurés (4.300 euros en moyenne). "Le système d’Assurance maladie couvre prioritairement des gens malades, avec un rythme de croissance de ces pathologies chroniques qui est important." En cinq ans, 440.000 personnes supplémentaires souffrent de diabète, et 540.000 de maladies cardiovasculaires. Au-delà de la hausse des effectifs, on constate également une hausse du coût des traitements. Pour les cancers en phase active, cette hausse a été de +18% en cinq ans, et jusqu’à 50% pour le cancer du poumon avec l’arrivée de l’immunothérapie : le coût moyen par patient est passé de 16.900 euros à 25.300 euros en cinq ans. "On n’est évidemment pas là pour dire que ça coûte trop cher mais pour donner à comprendre", a indiqué Thomas Fatôme, qui a mis en avant des "innovations médicamenteuses", "ce qui est une bonne nouvelle pour la prise en charge des patients". Sur les cancers actifs, est observée "une bascule entre l’hôpital et la ville", avec une hausse des soins de ville (+13% sur la période, soit +281 euros par patient). "Cela montre à quel point les chimiothérapies orales se développent." Par ailleurs, la santé mentale "représente à la fois en termes d’effectifs concernés et de dépenses un enjeu majeur", a souligné le directeur de la Caisse nationale de l’Assurance maladie. 8,4 millions de personnes souffrent d’une pathologie liée à la santé mentale. "Ça représente 23 milliards d’euros de dépenses, soit près de 2.800 euros par personne." Les hospitalisations ponctuelles, "qui ne sont pas directement reliables à une maladie chronique", représentent 33 milliards d’euros de dépenses sur un an, soit 4.000 euros environ par patient. 7.800 euros pour les patients atteints de Covid et hospitalisés "Les grands équilibres en termes de pathologies sont restés les mêmes en 2020, mais sur certaines pathologies, on a pu avoir des perturbations importantes", a ajouté le Dr Ayden Tajahmady, directeur adjoint de la stratégie, des études et de la statistique. D’abord sur les hospitalisations : la cartographie montre que près de 200.000 patients ont fait un séjour à l’hôpital pour Covid-19, dont 42.000 ont fait un passage en soins critiques. Au total, cela a représenté une dépense totale de 1,6 milliard d’euros, dont 90% sont dues aux hospitalisations. Le reste correspond à des dépenses de ville ou d’indemnités journalières. Cela représente un coût de 7.800 euros par patient, c’est-à-dire davantage que le coût moyen pour un cancer (6.800 euros). Effet direct du Covid : l’Assurance maladie a constaté une forte augmentation des épisodes d’embolies pulmonaires aiguës de 7% (3.000 patients supplémentaires), avec une dépense totale en hausse de près de 13 milliards d’euros (+3%). Les hospitalisations ponctuelles ont également été bouleversées. Il s’agit notamment de la chirurgie programmée (cataracte, orthopédie…). En l’occurrence, elles ont chuté considérablement avec 1,2 million de patients en moins et une baisse de la dépense totale de 4 milliards d’euros (-10,6%). Conséquence des déprogrammations en masse notamment durant le premier confinement. En revanche, la dépense moyenne par individu a augmenté de 2,6%. "Cela prouve que ce sont probablement les patients les plus lourds qui ont fait l’objet de ces prises en charge", a avancé le Dr Ayden Tajahmady. Les maladies cardiovasculaires, et en particulier les épisodes d’insuffisance cardiaque aiguë, ont également été impactées...
Ces épisodes ont diminué de -10,5% en 2020, soit près de 21.000 patients en moins. "Cela s’explique de plusieurs façons. La première est que l’insuffisance cardiaque est un facteur de risque d’avoir un Covid grave. On a donc un certain nombre de patients pour lesquels le Covid a été ‘en concurrence’ avec l’insuffisance cardiaque ; ces derniers ont été hospitalisés pour un Covid et n’ont pas eu de décompensation de l’insuffisance cardiaque. D’autre part, pour un certain nombre de ces patients, cela peut s’expliquer par une moindre prise en charge de ces épisodes aigus." Le nombre de patients avec une maladie coronaire a augmenté moins rapidement qu’avant, note l’Assurance maladie : +1,5% en 2020 contre +2,4% en 2019, "du fait d’une incidence plus faible et d’épisodes aigus moins nombreux" (-3,7% en 2020). Le Dr Ayden Tajahmady a en effet expliqué qu’une "disparition" des infarctus du myocarde avait été observée et documentée dans la plupart des pays du monde pendant le premier confinement. "Après le premier confinement, ces effectifs sont revenus à la normale." Comme l’avaient signalé plusieurs associations de patients, les cancers ont, eux, été moins dépistés. Le nombre de patients avec un cancer a augmenté moins vite qu’en 2019, en raison d’une baisse de l’incidence (-3% pour le cancer du sein, -5,1% pour le cancer colorectal).
Rupture de tendance sur les psychotropes D’autres effets "indirects" ont été soulevés, à commencer par une hausse des délivrances de traitements psychotropes : + 2,3% en 2020 de patients ayant eu au moins 3 délivrances de 4 catégories de traitements (hypnotiques, anxiolytiques, antidépresseurs, antipsychotiques), "mais qui n’ont pas de diagnostic au cours d’une hospitalisation ou en ALD", a indiqué le Dr Tajahmady. "Ce sont donc des traitements qui sont pris de manière chronique." 127.000 nouveaux patients ont été identifiés au total en 2020, soit une hausse de 9% alors les années précédentes, une baisse de -2% était repérée. Cela représente une hausse de +6,2% pour les dépenses totales. En revanche, les maladies respiratoires chroniques (BPCO, asthme sévère…) ont diminué au début de la pandémie, que ce soit en termes de prévalence (-1,4% soit 51.000 patients en moins), d’incidence (-7,8%) ou d’épisodes d’exacerbation. La conséquence des mesures d’isolement et des mesures barrières, ainsi que de la baisse des épidémies hivernales et des pics de pollution. "Il sera très important de regarder ce qu’il s’est passé en 2021", a conclu Thomas Fatôme, en termes de dépistages, retards, rattrapages, prises de médicaments… S’il note des "rattrapages" dans certains domaines, il allume des signaux d’alerte sur la santé mentale. Le DG de la Cnam plaide ainsi pour l’ouverture encore plus grande des données de l’Assurance maladie afin de garantir une pertinence des soins et des actions prioritaires en matière de santé. "On a tout à gagner à travailler et à comprendre ce qu’il se passe, et à sortir des éventuelles intuitions et postures des uns et des autres", a-t-il dit.
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