Désert médical, zone sous-dense, accès aux soins… Depuis plusieurs mois, ces adjectifs se multiplient dans l'actualité. A un mois de l’élection présidentielle, les candidats se succèdent pour donner leur solution afin de résoudre l’épineuse question de démographie médicale, quitte à se mettre les professionnels de santé à dos en proposant des mesures coercitives. Qu’en pensent les principaux concernés ? Présent au congrès de l’InterSyndicale nationale autonome représentative des internes de médecine générale à Tours qui a réuni plus de 600 carabins en février, Egora a décidé de leur laisser la parole afin de connaître leur état d’esprit, dans une période où ils sont peu écoutés. Ils nous confient leurs craintes, leur colère, leur désarroi mais aussi leurs solutions pour une meilleure médecine. Il est de coutume d’entendre que les médecins sont des citadins préférant travailler à l’hôpital et évitant volontairement les déserts médicaux. Une idée-reçue qui colle encore plus à la peau des futurs et jeunes médecins, rendus au fil du temps en partie responsables des zones sous-denses… Et qui est d’ailleurs largement reprise par les candidats à l’élection présidentielle, qui l’utilisent pour justifier la mise en place de mesures coercitives. Depuis plusieurs mois en effet, les candidats de droite comme de gauche ont décidé de faire de l’accès aux soins, l’un des axes phares de leurs programmes santé. Mais au lieu de parler incitation, formation et revalorisation… ils misent plutôt sur la contrainte, en ciblant les libéraux, les généralistes en particulier. Car c’est bien sur le premier recours que se concentrent les principaux griefs. Outre les candidats à l’élection, les députés déposent à tour de rôle des propositions de loi depuis plusieurs années à l’Assemblée nationale afin de redensifier leurs territoires avec - ou non - l’accord des professionnels de santé : installation conditionnée au départ à la retraite d’un médecin dans les zones sur-dotées, conventionnement sélectif et stages obligatoires dans un désert, les exemples sont nombreux. Si les internes en médecine générale ont longtemps été opposés à la création d’une quatrième année d’internat pour leur spécialité, elle semble n’être qu’une question de temps et désormais actée en intégrant des stages en zones sous-dotées. Les syndicats, pour leur part, appellent à mettre des garde-fous, rappelant que le prolongement de leur internat ne peut en aucun cas être la solution pour résoudre la problématique, encore moins si l’année ne se fait pas au bénéfice de la formation des internes.
“C’est décourageant d’entendre qu’on sera directement catapultés dans les zones sous-denses” Bien qu’au premier plan de ces discussions, les futurs généralistes observent, eux, le débat de loin, faute d’être sollicités et écoutés. Quand on les interroge, c’est la colère qui vient en premier. “On dit que les médecins sont riches, privilégiés, que c’est normal de les forcer à venir dans des endroits qu’ils n’ont pas choisis. Mais en soit, on passe déjà dix ans de notre vie à perdre nos cheveux, du poids, à bosser comme des fous du matin au soir sans compter nos heures, à être les larbins de l’hôpital. Quand est-ce que ça s’arrête ? Je ne vais pas donner toute ma vie à la médecine. Moi je voulais être médecin, pas volontaire pour sauver l’humanité”, s’emporte Sarah, interne à Périgueux, farouchement opposée à la quatrième année d’internat. "Ça me fait rire ce discours des personnalités politiques parce qu’on parle d’endroits où eux non plus ne voudraient pas vivre avec leurs familles car il n’y a rien à proximité ! C’est facile de taper sur le dos des jeunes médecins. On entend souvent qu’on doit quelque chose à l'État, qu'on paie nos études… mais en fait, ce n’est pas comme ça que ça se passe, on est carrément rentables en étant sous-payés”, estime de son côté Violette, de Rouen. Plus tempérée, Appoline considère, elle, qu’il faut effectivement trouver des solutions pour résorber les déserts médicaux, sans pour autant passer par les étudiants. “On va finir nos études à 28, 29 ans. C’est décourageant d’entendre qu’on sera directement catapultés dans les zones sous-denses”, grimace cette interne en premier semestre à Bordeaux. “Je ne pense pas être la solution des territoires. Admettons que je m’installe dans un endroit, ça ne va pas ouvrir des boulangeries, des entreprises, des clubs de sport pour autant. J’ai l'impression d’être un élément parmi d’autres pour rétablir la bonne santé des territoires mais c’est un tout. Si je viens seule et qu’on me balance sur place en me disant ‘c’est ton rôle, tu dois faire revivre le village”, alors qu’au final ça ne bouge pas…”, poursuit-elle. Ce sentiment d’injustice, Julie, rouennaise, le partage également. Comme Violette, elle est attirée par le semi-rural une fois son internat terminé. “Si je découvre un village avec une pharmacie, une boulangerie, un supermarché, une école ou au moins un bus, j’y vais, bien sûr ! Je n’ai pas envie d’habiter en ville. Mais si les gens ne veulent pas aller dans les zones sous-denses car il n’y a rien, moi non plus”, tranche la future généraliste. Comme beaucoup, ce qui compte pour elle c’est la qualité de vie. “De quoi faire nos courses, aller déposer nos enfants à l’école sans faire 45 minutes de route alors qu’on a déjà un emploi du temps chargé. Du pratico-pratique finalement”. Pour Violette, comme pour elle, les politiques et le grand public ont une image erronée des désirs et projets des professionnels de santé. “Dans notre groupe de formation, on veut tous aller en ruralité. Ce n’est pas le Saspas* qui nous aura convaincus de le faire, puisque c’est l’argument des décisionnaires”, assure Violette.
Maisons de santé, exercice regroupé, coordination : ce qui attire les futurs généralistes Lorsqu’on leur pose la question, les futurs généralistes sont d’ailleurs peu nombreux à vouloir travailler en ville au sens où les candidats à la présidentielle l’entendent, c’est-à-dire dans une métropole ou une ville universitaire. Antoine, interne à Toulouse, par exemple, souhaite travailler lui aussi en semi-rural. “Jusqu’à 45 minutes autour de Toulouse, ça m’irait très bien. Plutôt dans le Tarn, le Gers ou l’Ariège pourquoi pas”, confie-t-il alors qu’il lui reste encore un an de formation. Sarah, actuellement en stage à Périgueux, se voit bien y rester. “C’est une zone sous-dotée mais ce n’est pas la campagne. C’est suffisamment attractif pour s’y projeter en tout cas”, développe-t-elle. Pas un futur généraliste ne parle de salaire, qui leur importe finalement peu. “On sait qu’on aura des revenus suffisants pour vivre convenablement”, témoigne Pauline. Mais tous se rejoignent sur une chose : la nécessité de créer du lien avec d’autres professionnels de santé. “Si les politiques nous connaissaient vraiment, ils sauraient que pour nous ce qui compte c’est de pouvoir échanger entre médecins, renvoyer nos patients aisément vers un spécialiste, un kiné”, assure Alban, en deuxième année de médecine générale à Montpellier. “A quoi je pense pour mon installation ? Une petite maison médicale, avec des collègues qui peuvent assurer quand on veut partir en vacances par exemple, vers qui on peut se tourner quand on a un doute, une question”, illustre Sarah. Ce qui leur fait peur, c’est la médecine rurale, loin de tout recours possible, face à des patients peu voire pas suivis depuis plusieurs années. “Les médecins de campagne font quasiment de la médecine de guerre. Certains assurent les sutures sur place, ils font les radios, les échos. Ils font quasiment tout eux même. Honnêtement, ça me fait un peu peur. Je pense aussi à ma responsabilité, à mon équilibre de vie”, poursuit l’interne Périgourdine. Reste que ces futurs médecins n’auront peut-être plus le choix. Dans le meilleur des cas, la quatrième année d’internat prévoit un ou deux stages en zones sous-denses, sorte de Saspas* élargi. Dans d’autres cas, certains candidats souhaitent limiter leur installation pendant plusieurs années dans les zones sur-dotées, ou leur imposer un passage obligatoire par un désert pendant un, deux, dix ans après l’obtention de leur diplôme. "Ça veut dire quoi zone sous-dotée ? C’est une fausse croyance de dire que les déserts médicaux ne sont que dans la ruralité”, maugrée Julie. “Pourquoi pas” L’opposition des futurs médecins généralistes à ces mesures n’est pas une opposition de principe. Violette, par exemple, estime que la quatrième année n’est pas nécessairement une mauvaise idée. “J’ai un avis contradictoire. Je suis contre en l’état actuel car vu comment on nous présente les choses, cela revient à faire un Saspas en ruralité et c’est clairement du remplacement gratuit. Si c’est une contrainte qui ne m’apporte rien, quel est mon intérêt ?”, commence-t-elle. “Par contre, je suis pour si cette quatrième année me permet au contraire de faire des stages spécialisés, comme de la dermato, de la cardio. Autant de choses qui pourront me servir ensuite en cabinet, au quotidien”, poursuit la Rouennaise. Rémy, lui aussi, est prêt à faire ce qu’il considère être un “sacrifice” mais à plusieurs conditions : une rémunération à l’acte plutôt que le salaire d’interne et une transparence entière des ministères de tutelle. “Il ne faut pas que ça nous soit présenté de manière hypocrite en nous disant que c’est pour nous, sinon on réagit forcément mal. Il ne faut pas se mentir, cette année-là, si elle passe, on sera seuls dans notre cabinet”, estime le toulousain. Une position qui fait débat parmi les futurs généralistes, car beaucoup s’inquiètent du suivi des patients. Pour Adrien, il s’agit d’un “cache-misère” et les Français ne seront pas mieux soignés pour autant. La Rouennaise Violette rejoint Rémy : “En même temps, il peut y avoir du positif. Les gens viennent nous voir parce qu’on n’est pas leur médecin habituel. Parfois, ils peuvent confier plus de choses. Bien sûr, il y a des cas particuliers mais ce n’est pas si négatif”.
Elle pourrait même être favorable à une sorte de médecine itinérante, déjà proposé par plusieurs députés ruraux, pour aller à la rencontre des patients “oubliés”, à condition d’être rattachée à une maison de santé pluridisciplinaire et que ses confrères puissent assurer ses consultations urgentes les jours où elle serait en visite à domicile. “En tout cas, des idées on en a. Même si on reste loin du débat des présidentielles, on peut apporter quelque chose”, affirme la jeune femme. Amandine et Julie, parlent quant à elles des infirmières de pratique avancée (IPA) et des assistants médicaux, sur lesquels ils pourraient s’appuyer à l’avenir pour réorganiser le quotidien classique des généralistes. Pour leur génération, l’exercice coordonné et la délégation de tâches sont souvent perçus comme de véritables clés et reviennent systématiquement lorsqu'on leur demande comment ils envisagent leur installation et leur pratique une fois diplômés. “On ne veut pas de carottes. On a signé pour être médecin, être le premier recours. Mais on ne veut pas être un premier recours sans premier recours”, assume Lise, de Strasbourg. “Médecine, ce n’est pas une vocation qui justifie tout. Le sentiment qu’on a, c’est qu’on est peu ou mal considérés par les politiques. Ceux parmi nous qui n'abandonneront pas malgré toutes ces contraintes seront de toute façon démoralisés par ce climat”, conclut-elle. *Stage ambulatoire en soins primaires en autonomie supervisée
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