Egora.fr : Ces derniers mois, les études sur la désertification médicale et les propositions de loi coercitives se multiplient à l’Assemblée… Vous avez vous-même rendu un rapport en septembre dernier. Qu’apporte-t-il ? Jean-Pierre Cubertafon : J’ai rendu ce rapport en septembre et il est vrai que, depuis quelques mois, tout le monde fait des propositions dans le cadre de la présidentielle. Ce rapport m’a été confié par le Premier ministre concernant l’action publique et la ruralité à l’ère de la différenciation. Il n’est donc pas uniquement consacré à la santé. Il se trouve que j’ai rencontré 120 institutions, des élus, des associations, des Français, et le problème numéro 1 qui est revenu, c’est la santé. Personnellement, dans ma circonscription, le Périgord Vert, je suis alerté depuis plusieurs années sur ce sujet, mais ce n’est pas facile d’agir car on va dans le mur et on manque de médecins. Je connais par exemple des personnes qui sont venues pour travailler à Nontron [3 800 habitants, ndlr] et qui sont reparties parce qu'elles n’ont pas trouvé de médecin référent. La situation est donc grave : comment voulez-vous qu’on développe un territoire économiquement parlant si on ne peut pas se soigner ? Vous soumettez au total 70 mesures dont neuf sur la santé. Vous y prônez le développement de la médecine foraine, aujourd’hui interdite. Pourquoi envisagez-vous d’y avoir recours ? Je me trouve dans un département où un opticien, basé à Périgueux, a mis en place deux minibus qui parcourent la campagne et vont de village en village. Ça a un succès fou ! Cette histoire m’a fait penser à ce chantier de développement de la médecine foraine dans les territoires ruraux. Et puis je constate que les médecins ont aujourd’hui une très grande patientèle et se déplacent par conséquent moins à domicile. Cela permettrait de s’adapter aux nouvelles pratiques. Comment cela serait-il encadré ? Il faudrait que cela passe par des contrats avec les communautés de communes ou avec les communes dans des zones définies comme rurales. Car la désertification médicale est encore plus importante dans les zones rurales. Aujourd’hui, les médecins préfèrent aller à Biarritz ou à la montagne que dans le Périgord. Cette médecine foraine serait organisée autour d’un médecin, qui serait lui-même rattaché à une maison de santé. Il y aurait une permanence avec une organisation interne, de manière à ce qu'un ou deux jours par semaine, les médecins se déplacent dans les villages où il n’y a plus de praticiens ni de médecins référents. J’insiste vraiment sur cette notion “d’aller vers” le patient avec des médecins nomades. C’est important, car dans les territoires ruraux aujourd’hui, il y a des problèmes de mobilité, des personnes âgées, qui n’ont pas de moyens de transport. A mon sens, la médecine foraine à un vrai potentiel de lutte contre les déserts médicaux.
Cela vaudrait-il uniquement pour la médecine générale ? Non, je crois que cela pourrait aussi concerner d’autres spécialités, qui ne pourraient pas user facilement de la télémédecine. Mais, pour l’instant, c’est la médecine générale qui est la plus déficitaire. En parallèle, vous appelez à s'appuyer sur les CTPS ? Bien sûr. Il faut en créer de plus en plus. A mon sens, elles doivent devenir la matrice en matière d’offre de soins en ruralité. Cela permet un exercice coordonné grâce à une expertise mutualisée et d’offrir ainsi un vrai parcours de soins adapté aux patients. Comme d’autres députés, vous êtes également en faveur de la création d’une quatrième année d’internat de médecine générale avec un stage obligatoire dans une zone sous-dotée… Je ne pense pas nécessairement à une année d’internat entière. Les médecins font dix ans d’études et ça suffit bien. Ce qu’il faut, c’est créer au minimum six mois pour que les jeunes soient obligés d’aller en milieu rural, dans les régions sous-denses. Sur ma circonscription, des maisons médicales ont réussi à se monter car elles font appel à des étudiants en médecine en stage qui viennent de l’hôpital. D’ailleurs, ça a donné à ces jeunes l’envie de travailler en rural ! Il faut les inciter très fortement à faire ces stages, c’est pour cela que j’ai fait cette proposition au Premier ministre. Les internes en médecine générale alertent sur le risque de détournement de la spécialité avec ce type de mesure, ainsi que sur une "médecine à deux vitesses”. Les comprenez-vous ? Je ne pense pas que les internes se détourneront de cette spécialité. Ils pourront choisir leur lieu d’exercice et seront bien entendu rémunérés, ils travailleront avec un généraliste de manière pratique. Attention : il faudra que le tuteur de stage puisse leur fournir une solution d'hébergement ou les aider à en trouver un, et leur permettre de toucher des indemnités de transport. Dans tous les cas, ce sera une étape qui leur permettra de connaître tous les modes d’exercice et de pouvoir choisir de manière éclairée entre le milieu urbain et le milieu rural. Car aujourd’hui, on voit bien que les internes sont attirés par les grandes villes, les villes côtières, la montagne. La ruralité est beaucoup plus pénalisée. D’autant qu’une telle mesure permettrait de ne pas remettre en question leur liberté d’installation. Vous n’êtes donc pas favorable à la coercition ? Peut-être qu’on sera obligés d’y venir… Mais pour l’instant, on peut encore l’éviter. La question n’est pas mûre, il y a une opposition ferme des syndicats et de l’Ordre. Et puis, l’installation obligatoire a tout de même un fort... inconvénient : à la première occasion, les médecins pourront chercher à partir. Je ne dis pas qu’il ne faudra pas un jour s’attaquer à ce sujet mais aujourd’hui, ce n’est pas la bonne solution. Quelle est donc la bonne solution, selon vous ? Le salariat des médecins en est une. Et puis j’aimerais la mise en place de deux nouvelles entités : les centres de soins en ruralité et les centres hybrides de santé. Qu’apporteraient ces deux nouvelles structures à l’offre de soins déjà existante ? Les communautés de communes pourraient mettre à disposition un centre de santé et les médecins seraient rémunérés via l’hôpital de proximité. Un praticien hospitalier pourrait, par exemple, conserver son activité hospitalière et consacrer quatre jours dans la semaine à un exercice libéral. Les centres hybrides, eux, seraient rattachés à des maisons médicales. Si un patient vient et n’a aucune urgence, alors il pourra être reçu par un infirmier par exemple, en utilisant la télémédecine pour consulter un médecin. Vous évoquez la télémédecine, pourtant dans votre rapport, vous restez mesuré sur son apport qui n’est pas “adaptée au monde rural”. Pourquoi ? Actuellement, il existe des élus qui installent des bornes de télémédecine dans leurs communes. Malheureusement, les patients doivent souvent se débrouiller seuls. Je suis favorable à la télémédecine, mais encore faut-il qu’il y ait une infirmière ou un personnel soignant pour encadrer les personnes qui y auront recours, notamment les personnes âgées. Et puis, l’illectronisme est important et la connexion internet n’est pas satisfaisante partout dans le rural, il faut le prendre en compte. Pour la télémédecine, il faut une bonne couverture. Dans d’autres endroits en revanche, comme dans les Ehpad, elle est indispensable. Pour résoudre le problème de démographie médicale rural, vous suggérez aussi de renouveler le cadre du conventionnement des médecins… Si je prends l’exemple d’une consultation à 25 euros, on pourrait, dans les zones sous-denses, proposer une consultation à 30 euros toujours remboursée par la Sécurité sociale. Le conventionnement serait différent selon l’endroit où les médecins s’installent. 30 euros, est-ce suffisant pour donner aux médecins l’envie de s’installer en zone rurale, sachant que beaucoup demandent déjà une consultation à 50 euros ? Je sais bien… On peut déjà partir sur 30 euros et augmenter si cette mesure fait ses preuves. Le problème, c’est qu’il faut aussi trouver des recettes. C’est pour cette raison que j’ai proposé de faire une différence entre un médecin installé en zone sous-dense qui aurait un conventionnement “A” et un médecin de zone sur-dotée avec un conventionnement “B”. Vous écrivez que cette mesure pourrait permettre, à vos yeux, de supprimer les forfaits d’aides à l’installation, “dont les effets d’aubaines” étaient trop importants. Que voulez-vous dire ? Je ne veux pas supprimer les incitations financières à proprement parler. Vous savez qu’il existe des zonages faits par les ARS. Dans certaines communes, le dernier zonage remonte à 2018… et ce dernier permet d’avoir des avantages, par le biais du classement en zone prioritaire. Il n’est pourtant revu que tous les quatre ou cinq ans. Pourtant, la situation peut évoluer très vite en cinq ans, des médecins peuvent partir à la retraite. Je souhaite donc que le zonage soit révisé tous les ans, de manière à ce que les aides à l’installation soient distribuées aux communes qui en ont réellement besoin. Ce n’est pas le cas aujourd’hui car le diagnostic est trop ancien.
Vous appelez également à un “fonctionnement révisé” des ARS. Dans quel sens ? Les ARS doivent être davantage en contact avec les élus et le corps médical. Une mesure sur laquelle vous comptez beaucoup et que vous n’avez pas fait apparaître dans votre rapport : l’appel aux médecins retraités pour remplacer… Absolument ! Il existe un potentiel important du côté des médecins retraités. On pourrait les faire travailler sur des courtes durées. Aujourd’hui, les médecins en exercice travaillent beaucoup et ont du mal à prendre les vacances qu’ils souhaitent parce qu’ils ne trouvent pas de remplaçant. Un médecin qui prend sa retraite à 67 ans et qui est en pleine forme, pourrait continuer à travailler un an ou deux sur des périodes courtes. Pourquoi ne le font-ils pas aujourd’hui ? Car ils sont obligés de continuer à payer l'Urssaf et surtout les caisses de retraite qui représentent des charges très importantes. Cela revient souvent pour eux à une opération blanche. Il faudrait donc modifier la loi pour que les médecins retraités soient soumis à une moyenne acceptable de cotisations, indépendamment de celle de l’Ordre qui est obligatoire. Ainsi, on pourrait trouver facilement une cinquantaine de médecins disponibles par département. Ce serait un vivier très important.
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