Purge, bouillon et petit-lait : comment les médecins du 18e siècle traitaient la goutte, "maladie des rois" ?

29/01/2022 Par Pr Jean-Claude Nouët
Histoire
À quoi doit-on "la goute", aujourd'hui orthographiée "goutte" ? L'Université de Montpellier, dans un extrait de ses Consultations publiées en 1750, la lie au "dérangement des digestions". 

Cet article est rédigé par le Pr Jean-Claude Nouët, ancien PU-PH et vice-doyen de La Pitié Salpêtrière.    L'extrait

"La goute dont Monsieur est fatigué depuis plusieurs années, & dont il vient d’essuyer une attaque des plus fortes, est l’effet de l’embarras des glandes mucilagineuses situées dans les articulations affectées, & de leur disposition phlogistique. L’épaississement & la saumure de la lymphe articulaire, qui ont occasionné l’obstruction & le gonflement des glandes, supposent que tout le corps de la lymphe, la portion blanche du sang & le reste de toute la masse du sang ont acquis la même constitution viciée.

Les attaques de goute que Monsieur a essuyées aux deux pieds, & les différents incidents qui ont accompagné les accès de goute prouvent clairement ce à quoi on doit les rapporter. Le dérangement des digestions peut être mis au rang des causes qui « ont développé l’état vicieux de la masse des liqueurs, & la constitution gluante et épaisse de la lymphe des articulations. En fournissant un chyle épais et mal conditionné, le dérangement des digestions entretient ce désordre & par conséquent la durée & l’opiniâtreté de la goute.

Le tempérament plein de feu & de vivacité de Monsieur, les fatigues de la chasse, l’intempérance dans les plaisirs de la table & le régime de vivre peu régulier, ont renforcé l’action des autres causes & ont troublé la température proportionnée, comme on le déduira très aisément de l’enflure des pieds. On éprouve journellement chez les gouteux que les remèdes délayant & adoucissants leur fournissent les secours les plus efficaces.

L’on doit, chez Monsieur, rectifier les digestions, procurer une division douce et ménagée à la lymphe et au reste de la masse du sang, en corriger la saumure dominante, et rétablir le ressort des glandes mucilagineuses et des parties voisines des articulations. […] Monsieur commencera par se purger avec une décoction de la pulpe d’un quarteron de casse, de fleurs de violette et de pêcher, de follicules de séné, de manne et de syrop de roses.»

 

 
* Extrait tiré des « Consultations de l’université de Montpellier », Paris, 1750. Tome 5, observation 57.
 

Le décryptage  Cette observation suit les conceptions de la physiologie et de l’étiologie auxquelles s’accrochait la médecine d’université: toute maladie était à rapporter à un désordre des humeurs et de leur équilibre. Cela conduisait à donner aux symptômes observés des explications tarabiscotées et pompeuses, conclues par un "Voilà pourquoi vos pieds sont enflés !", équivalent du célèbre "Voilà pourquoi votre fille est muette !". Quant au traitement prescrit à Monsieur, il a été programmé sur plusieurs saisons et consistera en cures successives de purges, de bouillons de plantes et d’animaux (poulet, tortue, cloportes), de petit-lait de chèvre ou de vache, et de cures thermales à Vals. Le seul conseil utile a été de prendre "au coucher demionce de syrop de pavot blanc" pour calmer les douleurs, de "modérer les occupations" et de "s’abstenir de ragouts, de pâtisseries, de fritures". La fluxion du gros orteil était connue depuis l’Antiquité. Appelée "podagre" depuis Hippocrate (en grec : "attrapé par le pied"), ce terme désignait la maladie et le malade. La goutte, mot introduit au IXe siècle, a désigné l’existence d’une humeur nocive instillée goutte à goutte dans une articulation, et provoquant des douleurs intenses. Au XVe siècle, le terme se restreindra au gros orteil ; il sera finalement consacré par Ambroise Paré, qui éliminera le terme "podagre".

Le traitement restera longtemps limité à protéger l’orteil de tout contact, même celui du drap, et à alléger le régime alimentaire, la goutte atteignant de préférence les individus pléthoriques. Pourtant, la colchique était déjà connue : Jacques le Psychriste, médecin byzantin du Ve siècle, l’utilisait chez les podagres. Mais la colchique a été oubliée jusqu’au XVIIIe siècle, où des médecins eux-mêmes goutteux l’ont réutilisée. La présence de cristaux d’urate dans les tissus périarticulaires atteints a été démontrée au XIXe siècle. C’est au début du XXe siècle que la physiopathologie de la goutte a été comprise, et que la colchicine a été consacrée. Dans les années 1950, on observait encore des cas de tophus, cette concrétion d’urate dans les tissus périarticulaires et au pourtour du pavillon de l’oreille, qui pouvait nécessiter un curage chirurgical. En 1967, l’allopurinol va simplifier la thérapeutique, toujours complétée par un régime diététique rigoureux.

 

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