"J'ai touché 5500 euros d'indus" : infirmier, il dénonce une faille dans la rémunération en centre de vaccination

21/12/2021 Par Marion Jort
[EXCLUSIF] Il a décidé d’alerter par tous les moyens. En Occitanie, un infirmier se bat contre la CPAM pour rembourser des “indus” qu’il a touchés dans le cadre de la vaccination contre le Covid en centre. Travaillant aux côtés de bénévoles qui génèrent pour les professionnels de santé les actes d’injection via Sivac, l’infirmier a été contraint de leur prêter sa carte CPS à plusieurs reprises afin qu’ils accèdent au téléservice. Résultat : il a touché autant de fois les 5,40 euros de la déclaration que sa carte a été utilisée en dix mois. Il dénonce un système dont profitent les soignants et l'inaction des autorités sanitaires, pourtant prévenues.  

  Début juillet, Stéphane*, infirmier en Occitanie, constate sur son compte bancaire un mystérieux versement de la part de la CPAM d’un montant de… 3.000 euros, intitulé “rému vaccin Covid”. Ce professionnel libéral, qui travaille au centre de vaccination de sa commune à raison d’une vacation de 4 heures par semaine, géré par une CPTS, ne comprend pas à quoi correspond cette somme, qui n’a aucun rapport avec ses facturations ou les soins qu’il a effectué dans le mois. “D’autres virements sont arrivés ! Petit à petit, j’ai touché 800 euros, mille euros, 200 euros… Tenez, j’ai touché 270 euros il n’y a pas très longtemps”, explique-t-il. Au total : plus de 5.500 euros lui ont été versés par la CPAM, en plus de son salaire et de ses vacations de vaccination.   

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  “Ma première réaction a été d’en parler avec mes collègues du centre de vaccination en me disant que c’était une erreur et que j’allais devoir les rembourser. A ma surprise, ils m’ont dit qu’ils étaient dans le même cas”, se souvient Stéphane. En réalité, ce qu’il qualifie de “somme rondelette”, lui a été versé par la caisse pour l’enregistrement sur le portail Sivac de chaque personne vaccinée. “Avec la crise Covid, de multiples cotations de suivi, de télé-suivi, de vaccination, de test PCR, antigénique sont apparus… C’est à ne plus s’y retrouver. Et il existe bien une cotation pour ‘l’enregistrement de données’ à 5,40 euros”, rapporte-t-il. En tant qu’infirmier, il est normalement payé au forfait.   


  Jusqu’à 250 personnes enregistrées en une matinée de vaccination Problème : ce n’est pas lui, ni d’autres infirmiers ou médecins du centre qui enregistrent les vaccinations sur le portail Sivac, mais des bénévoles de la Croix Rouge ou de la Protection civile notamment. Pour pouvoir le faire, ils doivent se faire prêter le code CPS d’un soignant disposant d’une carte CPS et d’un numéro RPPS. “Pour déclarer une vaccination, il leur faut un nom de professionnel de santé associé”, résume l’infirmier. “C’est comme ça qu'une fois, j’ai eu jusqu’à 250 personnes enregistrées à mon nom en une matinée. Ce qui est totalement impossible, je vaccine une soixantaine de personnes en une matinée ! J’ai juste été le seul à donner mon code”, s’agace-t-il.  Stéphane décide donc d’appeler la CPAM dès début juillet pour leur signaler ces “indus”. Mais, son interlocuteur fait la sourde oreille et affirme qu’il n’y a pas d’erreur. “Le comptable m’a dit que tout était normal, légal, et que c’était le robot qui calculait tout seul”, précise-t-il. Décidé à ne rien lâcher et considérant qu’il ne “mérite pas cet argent”, fin juillet, il envoie deux mails à la “correspondante Covid” de la CPAM, qui restent sans réponse. Ses appels au standard également.

 

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“Je suis infirmier libéral. Avant le Covid, si on se trompait dans la facturation pour un pansement par exemple, qu’on avait le malheur de surcoter et qu’il y avait un dépassement de 20 euros, on avait le droit à un signalement, des indus, des mises en demeure. C’était ‘assez grave’ et on pouvait avoir des amendes. Là, arriver à 5.500 euros sans que personne ne s’en inquiète, c'est juste hallucinant”, s’emporte-t-il.  Finalement, il est recontacté par un comptable de la CPAM qui lui assure que ce fonctionnement est “transparent” et validé par les syndicats des professionnels de santé concernés par la vaccination. “J’ai fini par comprendre qu’il me conseillait de dénoncer ces faits par un autre moyen, car pour eux il n’y avait pas de soucis.”  “J’ai ma piscine à finir”  Déçu de ce manque de réaction, Stéphane interroge ses collègues vaccinateurs sur leur éventuel cas de conscience à se faire payer deux fois, dont une fois pour un acte qu’ils n’ont pas réalisé. Il constate alors que beaucoup ne sont pas dérangés par la situation… “Ils m’ont sorti des réponses assez marrantes comme ‘on le mérite bien, on a risqué notre vie au début de la crise’, ‘tu sais, j’ai ma piscine à finir’”, rapporte l’infirmier. D’autres. se sont montrés dissuasifs à propos du remboursement des sommes perçues, arguant du fait que l’infirmier ne pouvait pas être sûr que la CPAM allait bien toucher l’argent et qu’elle allait lui fournir un document prouvant que les indus ont bien été retournés.  Des positions que l'infirmier regrette, pointant du doigt au passage ses collègues qui se “précipitent avec de grands sourires et des brioches” le matin vers les bénévoles pour leur donner leur code. “Les centres de vaccination fonctionnent bien, essentiellement grâce à cette petite rémunération”, lâche le soignant.   

Plus d’un million d’euros perdus par jour  Désabusé, il s’est décidé à contacter le défenseur des droits de son département. Ensemble, ils ont estimé “à la louche” que la Sécu perd environ un million d’euros par jour à cause de cette cotation spéciale pour le téléservice Covid. Dans son centre, 800 à 1000 personnes sont vaccinées quotidiennement par une vingtaine de professionnels de santé. “Il y a peut-être 400 à 500 centres en France, et combien de soignants ?”, relève l’infirmier. “D’autant que moi, j’ai touché 5.500 euros en dix mois et je n’y vais qu’une fois par semaine. Certains y vont jusqu’à cinq fois par semaine… les sommes en jeu sont énormes !”, continue-t-il avant de préciser qu’il ne s’agit pas, pour lui, “de taper sur tous les soignants”. “Je souhaite simplement qu’on règle cette situation.”  En attendant, Stéphane a contacté sa cheffe de centre, qui a à son tour alerté l’ARS, “mais personne n’a eu l’air de réagir”, déplore l’infirmier. “Au début, la cheffe de centre pensait prendre la carte des médecins retraités, qui ne peuvent plus toucher la Sécu, pour la donner aux bénévoles. Mais ça traîne et la semaine dernière encore, les bénévoles avaient toujours besoin de nos cartes.” Lui, aimerait que l’ARS édite une carte pour chaque centre de vaccination en France. “Au moins, l’argent serait bloqué… Mais on nous a répondu que c’était compliqué et pas possible.” Les 5.500 euros, Stéphane n’y a pas touché. “Je me tiens prêt à les rendre dès qu’on me les demandera”, promet-il, glissant au passage. “Je demande au moins que cela cesse. Il s’agit de notre argent à tous.”    *Le prénom a été changé

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