31 décembre 2020. A quelques heures d’une retraite bien méritée après plus de 40 ans d’exercice à Cergy (Val-d’Oise), le Dr Jacques Buvry, 70 ans, termine de déjeuner en compagnie de sa femme, sa secrétaire et son conjoint quand on sonne à l’entrée. “Jacques, Jacques, il y a un truc dehors…”, lui lance un Cergyssois. Étonné, le généraliste ouvre la porte… Et découvre plus de 150 de ses patients l’attendant devant son cabinet, l’applaudissant et le hélant chaleureusement pendant de longues minutes. Malgré le froid et les masques, les sourires et l’émotion sont perceptibles. Surpris, ému, le praticien “lâche quelques larmes”, partagées par les familles venues ce jour-là.
Sa retraite, le Dr Buvry a pourtant mis du temps à se décider à la prendre. En recherche d’un successeur depuis plus de cinq ans, c’est finalement ses petits-enfants qui l’ont poussé à franchir le pas, demandant avec insistance quand leur grand-père allait “enfin s’occuper d’eux”. Car jusque-là, ce sont ses 3.000 patients que le praticien prenait soin de soigner et même de bichonner. Sur le pont de 6h30 à 22h30, en visite à domicile, à l’Ehpad, en consultation libre et sur rendez-vous, le Dr Buvry s’est investi corps et âme pendant plusieurs décennies. Et ses patients lui rendent bien : après avoir préparé une surprise pour son départ, ils l’ont aussi couvert de cadeaux. A tel point qu’une pièce entière, chez lui, a été nécessaire pour tout réceptionner. “C’est émouvant. C’est émouvant, c’est émouvant”, répète-t-il la voix encore secouée par les souvenirs. “On se serait revu au temps où les Français tapaient dans les casseroles pour les soignants”, s’amuse-t-il. A la différence que cette fois, tous étaient là pour lui, leur généraliste.
Une partie des cadeaux reçus par le médecin de la part de ses patients.
“Le Dr Buvry, je pourrai vous en faire un roman, des milliers de lignes”, nous raconte Emily, l’une de ses patientes. “J’ai eu deux cancers dans ma vie. Un à 8 ans, l’autre à 30 ans. C’est grâce à sa réactivité, à la prise au sérieux des symptômes même minimes que je suis encore en vie. En plus d’être d’une compétence qui se fait réellement rare, il est d’une gentillesse bienveillante et d’une rigueur paternelle. Il va me manquer, nous manquer à tous”, témoigne encore la jeune femme, elle aussi émue. Emily insiste d’ailleurs sur un point : “Jacques Buvry n’est pas un médecin traitant. C’est avant tout un médecin de famille.”
Modeste, le praticien n’insiste pas sur ce point. Pourtant… Pourtant, difficile, pour lui, de...
couper vraiment les ponts avec ceux qui ont rythmé plus de la moitié de sa vie. “Voyez hier, je ne travaille plus depuis un mois. Mais j’ai une dame qui a Alzheimer-Parkinson. Son mari m’a appelé au secours parce qu’il n’arrivait pas à mettre en place un système d'hospitalisation à domicile. Il n’avait pas retrouvé de médecin traitant”, précise-t-il. “Alors, vous y êtes allés ?” oserait-on demander, tout en devinant la réponse. “Bah oui !” répond-il aussi sec. Depuis quelques semaines, il est aussi “médecin bénévole” à l’Ehpad de Cergy, où il consultait déjà. Bénévole, car il ne veut plus se faire rémunérer ni payer des cotisations à la Carmf et à l’Urssaf. Il a donc effectué une demande spéciale auprès de la CPAM pour conserver son droit de prescrire, sans toucher de salaire. “L’Ehpad, ils ont un médecin coordinateur mais qui ne vient que deux jours et demi par semaine. Donc j’aide, une fois par semaine, avec un de mes anciens remplaçants, à poursuivre et tenir correctement la maison Ehpad. Quand je leur ai dit pour ma retraite, ils m’ont demandé si je voulais continuer, en me disant qu’ils ne pouvaient pas me salarier. Je leur ai répondu ‘attendez, je demande pas à être réglé ! Si vous me le demandez, je le fais bénévolement’. Pour beaucoup, ce sont des patients que j’avais avant leur entrée dans l’établissement”, explique-t-il.
Les patients, c’est la corde sensible du Dr Buvry. Très attaché à tous, ayant même développé des rapports privilégiés avec certains, le médecin peine encore à réaliser que c’est “fini”. “Je suis libre”, murmure-t-il en riant. N’empêche que lorsqu’il a dû annoncer son départ, il s’est “dégonflé”, comme il le décrit lui-même. Trop dur. “En rentrant de vacances, j’ai mis une pancarte dans la salle d’attente. Je vais vous lire ce que j’ai écrit", décide le Dr Buvry. Puis, prenant sa respiration : “A tous et à toutes, je vous informe solennellement de ma cessation d’activité à effet du 31 décembre 2020. Mon dévouement auprès de vous s’achèvera dans quelques mois. Le gong a sonné, je l’ai entendu. C’est l’heure de penser à mes proches et à moi-même, de surcroît, je leur dois toute mon attention. C’est l’âme en peine que je franchirai le seuil de la porte de mon cabinet….” Incapable de terminer, il s’arrête quelques instants et reprend, la voix brisée par l’émotion : “le 31 décembre 2020 pour la verrouiller définitivement. Je vous souhaite à chacun et à chacune une agréable continuation dans vos vies”.
Après quelques secondes de blanc, la gaieté habituelle du médecin reprend le dessus. Comment ? En parlant… médecine, évidemment ! “J’ai proposé de leur faire leur dossier sur une clé USB”, explique-t-il, en reprenant son souffle. “Je fais un résumé de tous leurs antécédents et des deux dernières années de consultations pour qu’ils aient tous leurs traitements dans les mains de façon à faciliter le travail de leur nouveau généraliste”, dit-il. Une activité qui devrait l’occuper au moins jusqu’au mois de mars. Il a même décidé d'organiser une permanence, le jeudi matin et le samedi matin - pour ne pas oublier ceux qui travaillent - afin que tout le monde puisse récupérer sa clé USB bien remplie. Les vieilles habitudes ont la vie dure !
Malgré ses efforts, les Cergyssois ont du mal à retrouver un généraliste. En effet, sur les 3.000 patients du praticien, certains ont pu être repris “à droite, à gauche”, par des amis médecins ou son ancienne remplaçante. Mais à Cergy, il reste à peine...
90 généralistes pour un bassin de 250.000 habitants, dont 70.000 dans la ville. Il y a quelques années, ils étaient plus de 120. “Je ne cherche plus de successeur. J’ai tout tenté pendant cinq ans. Je laisse tout, le suivant n’a qu’à s’installer sur ma chaise et répondre au téléphone. Franchement… Ce n’est pas normal de ne pas trouver”, se désole-t-il. La nouvelle génération de généralistes est-elle différente ? “Oui”, tranche le médecin. "Je ne veux pas me jeter des fleurs, mais des scènes comme ça, je ne sais pas si beaucoup en vivront…”, lâche-t-il, estimant aussi que les jeunes ne sont plus vraiment incités à reprendre des cabinets en ville ni à préserver le statut de “médecin de famille”. “Ils veulent de l’exercice regroupé, et ils touchent des subventions pour ça. Des horaires plus cadrés. A côté, on ne les fait pas rêver”, admet le médecin qui a pour l’instant le projet de céder son cabinet à un jeune ostéopathe. “Mais il reste un bureau avec mon cabinet, j’attends toujours qu’un médecin s’y installe !” espère le jeune retraité.
Impossible enfin d'évoquer le Dr Buvry sans parler de sa secrétaire. La médecine de famille, il l’aura exercée jusqu’au bout puisque cette dernière est aussi sa petite sœur. “Anne-Marie était son pilier”, témoigne Emily. Et le praticien le reconnaît, il y a des avantages à travailler ensemble. “Tout le monde le savait", sourit-il. “Elle était gage d’efficacité, de constance… et de psychothérapie ! Il y avait une sorte de pré-consultation téléphonique, parce qu’ils savaient que les informations remontaient !” Derrière lui, Anne-Marie rit discrètement.
En attendant, la retraite du généraliste s’annonce active. Entre les dossiers des patients à terminer et sa présence à l’Ehpad, le Dr Buvry ne s’ennuie pas. Puis, il pense aller à Nantes pour se rapprocher de sa famille. “Bon… Ce n’est pas évident que je resterai sans rien faire à Nantes”, plaisante-t-il pour conclure.
Le médecin nous a expliqué laisser tout son matériel à son successeur. Si cela vous intéresse, contactez-nous et nous vous mettrons en relation avec le médecin.
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