"J'ai traversé une période financièrement très compliquée" : les médecins remplaçants, oubliés du Covid
"Les remplaçants sont beaucoup trop nombreux lorsqu'il s'agit de parler de la démographie médicale et d'accès aux soins. Mais pas assez pour discuter avec les institutions !" Le Dr Laure Dominjon, présidente du syndicat de remplaçants et jeunes installés ReAGJIR*, tape du poing sur la table. Depuis désormais huit mois, les remplaçants attendent une indemnisation qui ne vient pas. Comme les installés, à qui la Cnam a versé en moyenne 4100 euros de compensation de charges, les médecins remplaçants ont souffert d'une importante baisse de l'activité due au confinement et à la stratégie hospitalo-centrée du Gouvernement. D'après l'enquête menée au printemps par le syndicat, 68.4% des répondants ont eu au moins un remplacement annulé. En mars et en avril, les répondants ont évalué leur perte de chiffre d'affaires moyenne à 41% et 53.7%.
Et pourtant, comme les installés, les remplaçants ont des charges, martèle ReAGJIR. Si les charges fixes de cabinet sont effectivement déduites des honoraires à la rétrocession, les cotisations sociales (Urssaf et Carmf) représentent un gros morceau, "entre 25 et 30% des recettes", estime Laure Dominjon. Sans compter les autres frais professionnels (assurance voiture, RCP, adhésion à une AGA, paiement d'un comptable, etc.), les impôts et emprunts immobiliers. Reportées à la rentrée, calculées sur la base des revenus 2019, les cotisations sociales reprennent de plus belle… alors qu'elles n'ont jamais été compensées et que l'activité chute à nouveau. "Avec un acte à 25 euros rétrocédé à 70%, on ne roule pas sur l'or" Problème : du fait de leurs conditions d'exercice irrégulières et de leur début d'activité récent, les remplaçants sont financièrement précaires. "Avec un acte à 25 euros rétrocédé à 70%, on ne roule pas sur l'or", résume Laure Dominjon. "On n'a pas les revenus réguliers des installés, leurs forfaits, leurs aides à l'installation." Bon nombre de ces jeunes médecins n'ont donc pas la trésorerie nécessaire pour faire face à de longs mois de crise. D'après l'enquête de ReAGJIR, 37.7% des remplaçants ne disposaient que de l'équivalent d'un mois, voire moins, de trésorerie. Il a donc fallu trouver l'argent ailleurs...
C'est le cas de Camille, remplaçante "fixe" (4 jours par semaine) dans un cabinet de groupe depuis l'obtention de son diplôme fin 2017. La jeune femme, qui revenait tout juste de son congé maternité quand la crise a débuté, nous confesse avoir traversé "une période financièrement très compliquée", avec une perte de recettes estimée à 60% en avril et mai alors que ses "réserves" étaient au plus bas. "Dès le début du confinement, on a eu une grosse baisse d'activité en présentiel. On a mis en place des téléconsultations pour orienter les cas suspects. Ça a commencé à repartir doucement en juin", relate-t-elle. Et alors que les cotisations trimestrielles de l'Urssaf de mai ont été reportées en partie sur novembre, la baisse d'activité se fait à nouveau ressentir cet automne, même si elle est sans commune mesure avec celle du printemps. "Au lieu d'avoir un planning rempli d'une semaine sur l'autre, là c'est 48 heures à l'avance, les rendez-vous sont pris la veille pour le lendemain, ou le matin pour la journée. Et les jours où on est nombreux dans le cabinet, on a des trous."
10 000 euros de perte sur l'année Au total, la généraliste évalue sa perte de recettes à environ 10 000 euros sur l'année. Une perte compensée à hauteur de 1500 euros par le Fonds de solidarité, accessible aux indépendants dont la baisse mensuelle de CA était supérieure à 50%**. Pour le reste, "j'ai eu la chance d'avoir mes parents qui ont pu m'aider, confesse-t-elle. Et après on a pioché dans des économies qui n'étaient pas destinées à être débloquées de suite." Une situation d'autant plus injuste que ses collègues installés, qui ont pu compter sur la Rosp et les forfaits structure et médecin traitant pour renflouer les caisses, ont touché l'indemnisation de la Cnam. Pourtant, le principe d'une aide aux médecins remplaçants a...
été acté dès le mois de juin par la Cnam, sur la base d'un engagement fort du ministre de la Santé. Mais sa mise en œuvre est laborieuse. D'abord parce que les remplaçants libéraux ne sont pas clairement identifiés auprès des institutions. "Nous ne pouvons pas identifier l’activité des remplaçants dans notre système d’information", relevait la Cnam lors de la commission paritaire nationale en juin. "Ils facturent avec le numéro des médecins qu’ils remplacent, et de ce fait leurs revenus et leur activité sont additionnés à ceux des professionnels de santé qu’ils remplacent, nous n’avons donc aucun élément sur leurs revenus de référence. Ainsi le revenu de référence d’un professionnel de santé qui est remplacé comprend celui de son remplaçant dans le revenu qu’il déclare sur le site." Quant au montant de la participation aux charges fixes, négociée dans le cadre du contrat de remplacement, elle varie d'un médecin à l'autre et échappe au radar de la Cnam. Or, la compensation de ces charges est "l'objet même du dispositif", relevait alors l'Assurance maladie. Une remarque qui a le don d'agacer la présidente de ReAGJIR : "Les cotisations sociales, elle existent même si vous n'avez pas de local", lance-t-elle. Au début de l'été, la Cnam convient avec les syndicats de se rapprocher de l'Acoss, la caisse nationale du réseau des Urssaf. Mais là encore, la distinction entre médecins remplaçants et installés est complexe. Et surtout, il est difficile de calculer le revenu de référence d'un remplaçant, étant donné l'irrégularité de son activité et le décalage du versement des rétrocessions. La déclaration annuelle des revenus de l'année précédente se fait en juin, "mais il y a eu du retard cette année avec des déclarations en septembre", relève Laure Dominjon. Hors de question pour le syndicat d'attendre juin 2021 pour avoir des chiffres complets sur l'année 2020. Par ailleurs, les gros écarts de rémunération entre un interne avec licence de remplacement et un remplaçant à temps plein compliquent la mise en place d'un dispositif unique. "Il faut trouver un autre système que celui des installés, conclut la généraliste. Peut-être définir des tranches de revenus, et en fonction verser un pourcentage ou une somme forfaitaire."
Après une dernière réunion à la Cnam jugée non concluante début décembre, ReAGJIR a diffusé un nouveau communiqué dénonçant le blocage de la situation. Pour Laure Dominjon, le Covid et les changements d'interlocuteurs à la Cnam ne justifient pas "l'insuffisance de la réponse à un dossier vieux de huit mois", tout aussi prioritaire que l'indemnisation des libéraux installés...
ou les négociations conventionnelles. "Mais quand c'est les remplaçants, c'est moins important, moins urgent, moins essentiel", ironise la présidente du syndicat, qui reproche à la Cnam de s'être perdue "dans des détails mathématiques pour finalement se demander si les remplaçants payaient bien des charges". "On n'est pas près d'avoir une convention si en décembre, j'en suis encore à les convaincre que le remplaçant est un effecteur de soin à part entière." Malgré la baisse d'activités en effet, les remplaçants n'ont pas chômé au printemps : la moitié d'entre eux ont assuré des gardes ambulatoires ou exercé en centre Covid, d'après l'enquête de ReAGJIR, tandis que d'autres ont pris des vacations en Ehpad ou à l'hôpital, parfois de façon bénévole. "Pas de blocage", répond la Cnam Sollicitée par Egora, la Cnam dément tout blocage. "Un accord de principe a été acté quant à un versement d'une indemnité. Dès lors que cet accord existe, il n’y a pas de points bloquants, le dispositif va être adapté techniquement pour les médecins remplaçants", assure-t-on. "L’Acoss avait transmis des premières données provisoires cet été (issues des déclarations des revenus des médecins remplaçants qui étaient alors incomplètes), les équipes métiers sont actuellement en train de recevoir des données actualisées et d’adapter le calcul à la situation particulière des médecins remplaçants." La Cnam promet de revenir vers ReAGJIR avec des "premières propositions dans les prochaines semaines". Trop tard? Dès le mois de mai, certains répondants à l'enquête ReAGJIR envisageaient de se tourner vers le salariat, échaudés par cette mésaventure libérale. "J'ai des anciens co-internes qui voulaient quitter l'hôpital et qui se rendent compte que le salariat est finalement plus tentant que l'activité libérale", confirme Camille. D'autres ont dû piocher dans les fonds mis de côté pour leur installation future, qui sera donc retardée. La jeune généraliste, elle, ne remet pas en cause son projet d'installation en collaboration en février au sein du cabinet où elle exerce actuellement. "Je ne reviendrai pas en arrière. Mais alors qu'on croyait qu'on aurait toujours du travail, on se rend compte que ce n'est pas le cas." *Regroupement autonome des généralistes, jeunes installés et remplaçants. **Le dispositif prenait dans un premier temps en compte les revenus d'avril 2020 par rapport à avril 2019. Il a été amendé pour les remplaçants afin de considérer la rémunération mensuelle moyenne sur l'année.
Le règlement du solde de l'indemnisation versée aux libéraux, qui devait être effectué avant la fin de l'année 2020, ne se fera pas avant février ou mars 2021, signale la FMF sur son site. La Cnam, qui n'a fait que verser une avance, attend que Bercy lui communique le montant des autres revenus (chômage partiel pour les salariés du cabinet, indemnités journalières, fonds de solidarité) perçus par les médecins libéraux, qui seront déduits du montant final de l'aide, informe le syndicat. Certains médecins recevront un complément, d'autres pourront être amenés à rembourser une partie des sommes perçues.
La FMF réclame par ailleurs une décision claire quant au statut fiscal de cette indemnisation. "Il devait être fixé par la loi de financement de la Sécurité sociale 2021, il n’en a pas été question. Nous ne savons donc toujours pas s’il s’agit d’honoraires conventionnés, de gains divers, ou d’une subvention d’exercice (non imposable et non soumise aux charges sociales). La FMF réclame évidemment que cette dernière possibilité soit retenue."
La sélection de la rédaction
Les complémentaires santé doivent-elles arrêter de rembourser l'ostéopathie ?
Stéphanie Beaujouan
Non
Je vois beaucoup d'agressivité et de contre vérités dans les réponses pour une pratique qui existe depuis 1,5 siècle . La formatio... Lire plus