"Le remplacement intérimaire, c'est précaire" : "médecins mercenaires" ou boucs-émissaires?

09/12/2020 Par Marion Jort
Votée à l'Assemblée nationale ce mardi 8 décembre, la proposition de loi Rist renforce l'arsenal législatif contre les "dérives" de l'intérim médical, dans le viseur du ministre de la Santé depuis plusieurs années. Le texte bloque les rémunérations supérieures au plafond fixé en 2018 et permet au directeur de l'ARS de déférer les contrats de vacation irréguliers "au tribunal administratif compétent". Opposé à ces mesures, le Syndicat national des médecins remplaçants des hôpitaux (SNMRH) tarde pourtant à contre-attaquer, indiquant hésiter sur la forme à donner à leur action. Egora.fr a souhaité donner la parole à son vice-président, le médecin anesthésiste Jean-Pierre Rey, qui confie son agacement et affirme qu’Olivier Véran se trompe de problème en s’attaquant ainsi à l’intérim médical.

  Egora.fr : La proposition de loi portée par la députée Stéphanie Rist visant à lutter contre les "excès" de l'intérim médical en bloquant les rémunérations des contrats de vacation ne respectant pas le plafond réglementaire a été votée hier. Quel regard portez-vous sur cette mesure ? Dr Jean-Pierre Rey : Depuis la publication du décret 1601, le syndicat s’oppose fermement à ces limitations réglementaires des émoluments des médecins remplaçants en milieu hospitalier. Nous avons d’ailleurs créé le syndicat pour avoir une unité d’action représentative.    Dans le cadre de la présentation de cette proposition de loi, le ministre de la Santé s’est engagé à lutter contre le "mercenariat de l'intérim médical” qui désorganise l’offre de soin dans les territoires. Le comprenez-vous ? Les propos du ministre de la Santé n’engagent que lui. Il s’est fait un nom sur un article paru en 2014 qui dénonçait 500 millions d’euros(1)… Je ne sais pas où il a trouvé ce chiffre, c’est extrêmement difficile de colliger les données, nous n’arrivons même pas à savoir quels sont les besoins exacts de remplacements.  Nous estimons qu’il y a à peu près 30% des postes de praticiens qui sont non-pourvus(2). Quand il balance les 500 millions, Olivier Véran oublie simplement de dire combien coûteraient des titulaires à temps plein, à qui on devrait des congés payés, des RTT, etc. En tant que remplaçant, nous sommes payés à la tâche. Le surcoût est lié au différentiel entre le même travail rempli en heure de travail par les médecins titulaires et le coût, si ce même travail est effectué par des médecins remplaçants. Sa démarche à l’époque est donc purement malhonnête et médiatique, cela lui a valu qu’on parle de lui.  Notre ministre, comme l’administration, se trompe de cible. Le problème n’est pas celui des remplaçants mais celui de l’organisation fondamentale des structures hospitalières et pourquoi autant de médecins ont choisi de quitter leurs postes pour effectuer des remplacements. 

  Pourquoi, à votre avis ? Nous sommes très clairs : la première des motivations, c’est le ras-le-bol de lutter contre une institution qui ne nous demande pas notre avis. D’ailleurs, le mouvement s’est amplifié ces derniers mois. C’est à cause de la technocratie administrative.    Comme cela avait été le cas en 2018, votre syndicat pourrait-il appeler à ne pas remplacer dans les établissements qui appliqueront le plafonnement ?  Nous n’avions pas. vraiment appelé au boycott. Nous sommes actuellement en train de réfléchir à un moyen d’action et de prendre des conseils autour de nous. Cette action pourrait être juridique, constitutionnelle. Nous ne savons pas encore. La meilleure forme, c’est l’inertie. Je tiens à préciser que ce n’est pas nous qui avons créé ce rapport de force. C’est l’évolution du système hospitalier géré par nos structures, qui arrive à cette ineptie.   

"La principale motivation des remplaçants c’est de s’extraire de la structure administrative médicale qui désorganise le système"
 

Par ailleurs, je vous renvoie à la plainte organisée par le ministère de la Santé en octobre 2018 à l’encontre de certains membres de notre bureau auprès du Conseil de l’Ordre. Agnès Buzyn avait demandé la sanction elle-même : trois mois. Elle déposait plainte et en plus, indiquait le tarif de la sanction. La plainte a été déboutée. La ministre, à l’époque, exigeait que les médecins sans contrat avec les hôpitaux, les “électrons libres”, si on peut dire ça comme ça, soient forcés d’aller travailler. Dans notre pays, on ne peut pourtant pas forcer quelqu’un sans contrat d’aller travailler, sauf s’il y a une réquisition administrative.

  D’où vient le problème selon vous ? A cette époque et après plusieurs réunions de concertations avec le SNPHARE élargi pour réfléchir à la problématique, nous sommes arrivés à une conclusion : le problème n’est pas d’avoir des remplacements de médecins. C’est l'ampleur du phénomène. Le vrai problème ce sont les causes des remplacements. A ce moment, nous avions même demandé un entretien avec la ministre pour discuter du fond du problème. Je le répète : la principale motivation des remplaçants c’est de s’extraire de la structure administrative médicale qui désorganise le système. On le voit avec le Covid. Récemment d’ailleurs, Jean Castex a affirmé lors d’une de ses conférences de presse que nulle part le personnel soignant n’est en demande de lits ou de personnel. Pour nous, le problème c’est celui d’une gestion administrative chronique de lits et des soignants.    Quid des salaires ? Les tarifs de remplacement, je ne vous les donne pas mais vous pourrez vérifier, ils n’ont pas bougé depuis 18 ans. Or, pendant ce temps, les salaires des médecins se sont améliorés, il y a eu des astuces qui ont permis de les revaloriser. 

Considérez-vous alors que c’est un faux problème de s’attaquer aux remplaçants ? Bien sûr.    Le ministère affirme que les médecins ne prendraient malgré tout pas le risque de ne pas avoir de travail… C’est toujours la même chose en France avec l’État… C’est la lutte du pot de terre contre le pot de fer. L’État, c’est le pot de fer, nous, le pot de terre. Comme tout autre citoyen, comme les soignants, les infirmiers, aides-soignants, brancardiers d’un petit hôpital qui sont un peu contraints et sont une variable d’ajustement quand il faut faire des économies. On parle du principe de “Lean management” conceptualisé à la fin des années 1950 aux États-Unis et dès les années 60, les spécialistes ont pourtant averti que cela ne s’appliquait pas au domaine de la santé. On est partis pour dire “tous les jours, les lits de l’hôpital doivent être remplis”, mais ce n’est pas possible. Le ministre actuel, comme sa prédécesseur, oublie que deux ans auparavant l’hôpital était en révolte. Nous en avons marre de faire les choses à bout de souffle, de manière borderline.  

  Si la rémunération est effectivement plafonnée, quels seraient encore les avantages à ce mode d’exercice ? L’anomalie, c’est ce qu’il y a autour de remplacements. Cela ne devrait pas exister. Tous les systèmes ont besoin d’une petite variable d’ajustement, sans compter les arrêts maladie, les congés maternité, etc. Donc il faut des remplaçants. Il faut aussi se demander pourquoi est-ce que cela dysfonctionne et effectivement, peut être optimiser les conditions de travail de certains pour les rendre plus attractives, de façon à ce que les gens reprennent des postes plutôt que de rester en électron libre.    Ne risque t-il pas alors d’y avoir moins de remplaçants ? C'est bien possible. Il faut arriver à avoir une discussion constructive sur le statut de praticien hospitalier, son évolution, sa gestion. C’est un problème compliqué parce que cela implique aussi la gestion de l’hôpital, la relation ville-hôpital, qui n’est pas si mauvaise que cela. On a toujours l’impression que c'est un fossé mais ce n’est pas vrai. On tombe souvent sur les idées reçues, les grands clichés. Il y a des tas de choses qui se font au quotidien pour que les patients aient un suivi quand ils sortent de l’hôpital. Il faut donc retravailler sur le fond des problèmes et pourquoi ils préfèrent le remplacement. Car ce type d’exercice n’est pas une sinécure.   

"Mais nous ne sommes pas la maladie, nous sommes le symptôme"
 

Vous sous-entendez que l’on tape trop facilement sur les médecins remplaçants ?  Il y a beaucoup de remplaçants que je connais qui font des centaines de kilomètres pour aller faire un remplacement. En général, on a tendance à se “rattacher” à un hôpital ou deux-trois structures. Comme cela, nous nous connaissons et pouvons avoir une certaine harmonie de travail en limitant les effets disruptifs. Néanmoins, ça peut prendre une journée, une demi-journée, ce temps n’est pas compté et payé. On nous défraie le déplacement au tarif train deuxième classe SNCF, idem pour le retour. Et puis, nous ne sommes pas chez nous. Le remplacement, c’est précaire. Et puis les hôpitaux peuvent annuler. Ce n’est donc pas un exercice facile en termes de conditions de vie même s’il y a un certain attrait en conditions de travail. 

  Face à l’ambition affichée d’Olivier Véran, avez-vous le sentiment d’être mis en cause ? Complètement. On a l’impression que le ministre a trouvé la cause du dysfonctionnement de l'hôpital avec les remplaçants. Mais nous ne sommes pas la maladie, nous sommes le symptôme.   Que demande le SNMRH ? Ce qu’Olivier Véran veut, c’est que le remplaçant ne soit pas plus payé que le titulaire. Or, avec le remplacement il y a précarité, les avantages induits par la titularisation (congé maladie par exemple, déplacements) qui sont à pourvoir par soi-même. Il faut comparer ce qui est comparable. Si on calcule un taux horaire net avant impôt, pour un remplaçant et un titulaire, certes le remplaçant est gagnant. Mais ce n’est pas monstrueux, ce n’est pas deux fois, trois fois, quatre fois.     Pourtant, des dérives et des pratiques abusives existent de la part de certains praticiens… C’est toujours pareil, on met un effet “loupe” sur quelques personnes qui ont peut-être de mauvaises pratiques et profitent de situations défavorables à certaines dates des vacances pour faire monter les prix… Mais c’est anecdotique. On fait d’une anecdote une généralité. Le tarif, dans toute la France, pour l’immense majorité des remplacements, est le même. Nous, nous demandons le maintien de ce tarif. Et le Gouvernement veut baisser de presque 40% cette tarification.  De plus, il faut regarder la moyenne d’âge des PH. Dans le cas de l’anesthésie-réanimation, elle se situe autour de 60 ans. Les praticiens sont tous à un échelon entre 11 et 13, même si la nomenclature vient de changer. Et là, quasiment, ça contraint des personnes avec une certaine maturité et expérience à travailler comme des juniors. On leur demande de travailler comme des seniors, rémunérés comme des juniors. La logique du ministère est d’attaquer notre rémunération et nous forcer à prendre des postes. Mais cela ne marchera pas. 

  Pensez-vous que la possibilité d’une poursuite des établissements qui ne respecteront pas la loi en relation avec les ARS fera que cette dernière sera réellement appliquée ?  Je ne sais pas, l’avenir le dira. Pour l’instant, le décret d’application n’est pas sorti. Je n’ai pas de réponse à cette question.    (1) Le Dr Rey fait référence à un rapport réalisé en 2013 par le groupe socialiste de l’Assemblée nationale établi par Olivier Véran, alors député de l’Isère intitulé “Hôpital cherche médecins coûte que coûte. Essors et dérives du marché de l’emploi médical temporaire à l’hôpital public”.  (2) Source : FHF. 

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