Déconventionnement, contrôles, prescription électronique : comment la Cour des comptes veut lutter contre la fraude des professionnels de santé
En 2019, l'Assurance maladie a détecté 286,7 millions d'euros de fraudes. Si les assurés et les employeurs sont à l’origine de 50.6% des cas de fraudes et de fautes détectées (avec 42.4 millions d'euros de fraudes aux IJ pour les particuliers, par exemple), les professionnels de soins de ville concentrent une part "prépondérante" du montant global des préjudices subis et évités : 136.4 millions d'euros de surfacturation ou facturations d’actes, biens et prestations fictifs, contre 89.2 millions pour les établissements. En ville, les infirmiers libéraux arrivent en tête, avec 39.3 millions d'euros de fraudes et fautes détectées, devant les médecins, les transporteurs et les pharmaciens.
Si le montant global des fraudes et fautes détectées par l'Assurance maladie a été multiplié par 1.8 depuis 2010, c'est grâce à la "professionnalisation croissante" de la lutte contre la fraude, constate le rapport de la Cour des comptes. Mais ces sommes seraient dérisoires comparées à l'ampleur de la fraude réelle. Pour les seules prestations de la Caf, unique organisme qui a été en mesure de fournir une estimation aux sages de la Cour des comptes, elle s'élèverait à 2.3 milliards d'euros.
La Cour déplore à ce titre le manque de contrôles menés par l'Assurance maladie auprès des professionnels de santé : 4% "au plus" des infirmiers libéraux sont contrôlés chaque année "de manière plus ou moins approfondie, à comparer à 8,5% des infirmiers ayant perçu au moins 150000€ d’honoraires en 2018, avec de fortes disparités territoriales" ; "dans les Bouches-du-Rhône, qui comptent 3% de la population française, mais 7,2% du total des honoraires facturés, moins de 1% des infirmiers sont contrôlés chaque année". Même constat du côté des établissements de santé : 0.7% "au plus" des séjours facturés sont contrôlés. Dans les trois quarts des cas, les contrôles menés auprès des professionnels libéraux ont débouché sur le constat d'indus. Mais il est parfois trop tard, les indus frauduleux étant prescrits au bout de 5 ans et les indus non frauduleux au bout de deux ans. Or, deux ans, c'est le temps qu'il faut aux CPAM pour les constater, "faute d'adaptation de leur système d'information", charge la Cour des comptes. "En outre, lorsqu’elle contrôle des échantillons de factures, l’Assurance maladie ne peut, sous réserve de certaines jurisprudences qui lui sont favorables, constater des indus qu’au titre de ces seules factures, alors même qu’elles ne représentent souvent qu’une part limitée des facturations irrégulières 'en série' (comme la surcotation systématique de certains actes)", relève le rapport. Pour la Cour, un changement de la réglementation s'impose pour que l'Assurance maladie puisse récupérer une plus grande part des préjudices subis en constatant les indus sur la totalité de la période de prescription de 5 ans, et en extrapolant les indus mis en recouvrement "à partir des contrôles opérés sur des échantillons".
La Cour recommande de bloquer "a priori" les facturations irrégulières en implantant des "contrôles automatisés de la conformité des facturations à la réglementation applicable dans la chaîne informatisée de règlement des frais de santé" ainsi que dans les logiciels des professionnels de santé. De nombreuses "interdictions" de cotation ne sont en effet pas intégrées à l'informatique de l'Assurance maladie, comme l'interdiction pour un infirmier libéral de facturer plus de 4 actes AIS3 par assuré et par jour. Les contrôles automatisés qui existaient ont été démantelés "lorsqu’une garantie de paiement sous sept jours* a été accordée en 2016 aux professionnels pratiquant le tiers payant", déplorent les Sages. Ils recommandent par ailleurs de rendre obligatoire la prescription médicale électronique, en ville comme à l'hôpital, d'individualiser chaque acte et prestation dans les nomenclatures, de maintenir une facturation individualisée par professionnel de ville, "même salarié" et de permettre aux caisses de consulter les données d’horodatage dans les logiciels de facturation des professionnels de santé. La Cour des comptes juge par ailleurs impératif d'interrompre la fraude lorsqu'elle est détectée, en durcissant les sanctions. "Il n’est pas rare que des professionnels de santé financent le remboursement d’indus et le règlement d’amendes pénales ou de pénalités administratives en continuant à surfacturer à l’assurance maladie", relève le rapport. "Ils le peuvent tant que leur ordre professionnel ne leur interdit pas de donner des soins à des assurés sociaux ou que l’assurance maladie continue à les conventionner". Or, "l’assurance maladie dépose de moins en moins de plaintes devant les sections des assurances sociales des conseils régionaux des ordres (157 en 2019 contre 346 en 2011)", relève la Cour. En 2018, elles ont débouché dans 84% des cas sur une interdiction temporaire d'exercer (13% d'une durée inférieure à un mois, 56% d’un à 6mois, 19% de 6 mois à un an et 11% de plus d’un an). Le déconventionnement est encore plus rare : toutes causes et tous professionnels confondus, 34 déconventionnements sont intervenus en 2019. La plupart concernaient des transporteurs sanitaires, des taxis conventionnés et des infirmiers. Entre 2010 et 2016, 317 médecins ont été déconventionnés, majoritairement à la suite de décisions judiciaires et ordinales. La Cour recommande ainsi d'instaurer "un déconventionnement d'office" des professionnels de santé fraudeurs sanctionnés à deux reprises. Enfin, afin de lutter contre la fraude à la carte vitale, la Cour prône sa dématérialisation et son individualisation (quel que soit l'âge de l'assuré) ainsi que l'extinction immédiate de "l'excédent" de cartes valides (153 000 fin juin 2020). *5 jours dans la convention des médecins.
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