"Des médecins dans la précarité, il y en a plus qu'on ne le pense" : l'Ordre fait le point sur les aides financières

19/06/2020 Par Sandy Bonin
L'épidémie de coronavirus a laissé des traces. Pour faire face aux difficultés financières des médecins, ou à celles des familles de praticiens décédés des suites du Covid, le Conseil national de l’Ordre des médecins a décidé de débloquer une enveloppe de quatre millions d’euros d’entraide ordinale.  Le Dr Jacques Morali, délégué général du Cnom aux relations internes, nous explique à quoi correspond cette somme et comment en bénéficier.  

 

Egora.fr : Nous parlions, il y a quelques jours sur Egora, du cas de la veuve du Dr Djemoui, médecin généraliste décédé des suites du Covid, qui déplore ne recevoir aucune aide de l'Ordre. Que lui répondez-vous ? 

Dr Jacques Morali : Cette dame a été contactée directement par la commission d'entraide du conseil national. Dans un premier temps, elle n'a pas déclaré le décès de son mari au conseil départemental. Nous lui avons envoyé le 30 avril, de notre propre initiative, un dossier d'entraide, comme nous le faisons avec toutes les familles de médecins décédés. Mais elle ne nous a jamais répondu. Si elle ne fait pas les démarches, nous ne pouvons rien faire. Nous pouvons comprendre que remplir le dossier ne soit pas simple mais, si besoin, nous avons des assistantes sociales qui peuvent l'aider. 

L'Ordre a débloqué au mois de mai dernier une enveloppe de quatre millions d'euros “pour soutenir les médecins et leurs familles en grande difficulté́, victimes des conséquences de la pandémie de Covid-19”. De quoi s'agit-il ? 

Il faut d'abord savoir que toutes les institutions de l'Ordre (départements, régions et national) contractent tous les ans deux millions d'euros pour aider financièrement les médecins. Il ne s'agit pas que d'une aide financière directe aux médecins mais aussi d'une structure qui permet d'accompagner les praticiens dans toutes leurs difficultés, qu'elles soient médicales, psychologiques ou sociales.  

Nous disposons d'une plateforme téléphonique d'orientation, d'une hotline sociale, d'assistantes sociales... Nous travaillons également avec des médecins d'accompagnement ou des associations régionales de médecins qui prennent en charge à moyens et longs termes les difficultés des praticiens dans leur globalité. Nous avons aussi des établissements de soin réservés aux médecins et aux professionnels de santé et des psychologues mobilisés 24 heures sur 24. Tout cela est financé par l'enveloppe annuelle de 2 millions d'euros.  

Nous faisons également appel à une association indépendante nommée Afem qui aide les familles de médecins décédés en fournissant par exemple des bourses d'éducation aux enfants des praticiens jusqu'à leurs 25 ans, à hauteur de 6.500 euros par an. L'Afem aide entre 100 et 150 enfants de médecins par an. Le Cnom finance en grande partie...

cette association parce que l'Ordre a pour mission d'aider les médecins et leurs familles dans l'adversité. C'est le texte du code de déontologie et du serment d'Hippocrate.  

Cette année, comme il y a eu la crise du Covid, nous avons décidé d'allouer quatre millions de plus, soit six millions au total pour aider les médecins en difficulté. Bien évidemment, le conseil de l'Ordre n'est pas une compagnie d'assurance. Nous n'assurons pas la perte d'exploitation des médecins. Ça n'est pas possible. Nous aidons les plus précaires. Malheureusement, des médecins dans la précarité, il y en a plus qu'on ne le pense.  

Quelles sont les critères ? Comment bénéficier de l'aide ?  

Nous avons un dossier d'entraide qui se base sur des critères de revenus et de patrimoine. Un médecin qui n'a pas eu de revenus pendant deux mois mais qui a des biens immobiliers de deux ou trois millions d'euros ne sera pas aidé ! Il n'est pas question de compenser le train de vie pour préserver le patrimoine. Aujourd'hui nous voulons aider ceux qui sont en grandes difficultés.  

J'ai plusieurs exemples. Nos jeunes médecins remplaçants qui n'ont pas de statut pour la sécurité sociale ne vont pas bénéficier des aides d'État. Pendant deux mois de confinement, la plupart n'ont pas eu de revenus. D'autant qu'ils ont des revenus variables d'un mois sur l'autre. Nous pensons aussi aux jeunes médecins qui se sont installés juste avant le Covid et qui ont contracté des emprunts. L'idée est aussi de les aider à obtenir ceux à quoi ils ont droit, comme les assurances d'emprunt. Nos assistantes sociales sont formées pour cela. Elles ont répertorié toutes les aides possibles pour les médecins et vont d'abord essayer de les obtenir. Si ça n'est pas suffisant, nous compenserons avec les aides financières. Les quatre millions d'euros sont là pour ça. 

Nous avons en moyenne 150 médecins que nous aidons à vivre, tous les ans. Il s'agit de praticiens qui n'ont pas de quoi manger ou se payer le chauffage parce qu'ils sont malades, qu'ils ont des addictions ou qu'ils ont eu des accidents de la vie. J'ai vu des médecins arriver au conseil national avec zéro centime en poche, ou d'autres qui sont SDF. Nous avons des veuves de médecins qui demandent de l'aide pour un appareil auditif ou des lunettes. La pension de réversion d'un médecin décédé est...

d'en moyenne 1.200 euros par mois. Aujourd'hui dans beaucoup de couples de médecins, les deux travaillent, mais dans la génération qui a précédé, les épouses aidaient leurs maris sans être déclarées. 

Combien de médecins, touchés par la crise du Covid, ont déjà sollicité votre aide ? 

Aujourd'hui, nous avons une soixantaine de dossiers en cours, qu'ils s'agissent de médecins en difficultés ou de familles de médecins décédés.  

Entre mars et avril, 305 médecins sont morts. Sur les 305, 75 étaient en activité. Parmi eux, nous avons établi que 30 sont décédés du Covid. Nous demandons à chaque département d'appeler les familles pour savoir si les praticiens sont décédés du Covid. Il est très important que les familles nous signalent la mort des médecins, notamment s'ils sont décédés du Covid. Dans ce dernier cas, il s'agit d'une maladie professionnelle et les familles bénéficieront d'une rente de la sécurité sociale pour les conjoints et les enfants.  

Les familles de médecins en activité morts du Covid ont toutes reçu une lettre du service d'entraide se mettant à leur disposition pour les aider à remplir le dossier. On essaye de leur obtenir avec nos assistantes sociales toutes les aides auxquelles ils peuvent prétendre. Et si les besoins sont réels, le conseil de l'Ordre va les aider en complément avec les quatre millions. On ne veut pas faire du saupoudrage et donner 50 euros par médecin comme cela a été proposé par une ARS.  

 

Concrètement, à combien pourrait s'élever cette aide ordinale ? 

La Cour des comptes nous a demandé d'encadrer ces aides financières. Au conseil national il a été décidé que ces aides ne pourront dépasser 15.000 euros par an et par personne. Il faut savoir que nous attribuons très rarement des aides de ce montant. La fourchette est plutôt entre 3.000 et 5.000 euros. Par contre, lorsque nous donnons une somme telle que 6.000 euros, nous l'étalons sur plusieurs mois, comme par exemple 1.500 euros mensuels pendant quatre mois. 

 

Pendant combien de temps sera-t-il possible de se faire aider pour les médecins impactés par le Covid ? 

Nous irons jusqu'à épuisement de la somme. Il est évident que nous allons essayer d'aider un maximum de gens. Il faut que les médecins soient raisonnables. Les médecins qui ont des réserves ou des économies devront laisser la place à ceux qui n'ont rien. Cela va être difficile d'étudier les dossiers et de choisir. Si on pouvait aider tout le monde, on le ferait.  

Certains médecins nous ont reproché de ne pas supprimer les 300 euros de cotisation. Cela serait revenu à donner 300 euros à tous les médecins de France. Mais les trois quarts n'en n'ont pas besoin. L'idée de l'entraide est de se concentrer sur la précarité.  

Limiter la durée de remplacement peut-il favoriser l'installation des médecins ?

François Pl

François Pl

Non

Toute "tracasserie administrative" ajoutée ne fera que dissuader de s'installer dans les zones peu desservies (et moins rentables)... Lire plus

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